Comment le Club Med s'est implanté au Maroc dans les années soixante
Nous sommes en 1963. Une poignée de paillottes du Club Méditerranée sont plantées dans le nord du pays, à Al Hoceima. Deux ans plus tard, le premier club "en dur" s’installe à Agadir.
C’est le début d’une longue saga qui connaîtra une croissance fulgurante au Maroc avec l’ouverture de nouveaux clubs à Ouarzazate, Tanger, Marrakech, Cabo Negro ou El Jadida. Retour sur les premiers pas de la marque au trident dans le royaume, quand le Club Med misait encore sur le bouche-à-oreilles pour se faire connaître.
Y a du soleil…
Treize ans après avoir ouvert leur premier club aux Baléares, la destination Maroc s’impose pour Gérard Blitz et Gilbert Trigano, les deux fondateurs du Club Med. Un pays au temps clément, facile d’accès, où l’on parle français et où le gouvernement marocain est prêt à miser gros sur le tourisme.
C’est à Al Hoceima, au nord du royaume, que le premier club s’installe. Une région un peu excentrée, qui pousse Gilbert Trigano, alors proche du roi Hassan II, à lui demander une faveur: la création d’une piste aérienne à proximité du club, pour faciliter l’arrivée des touristes. "Dans un an, vous aurez votre piste", lui assure le roi. Une promesse tenue qui permet de désenclaver la région et d’assurer la pérennité du club.
Deux ans plus tard, c’est Hassan II lui-même qui fait appel à Gilbert Trigano. Détruite par le tremblement de terre de 1960, Agadir peine à se relever de ses cendres. Pour rebooster la ville et attirer les touristes, pourquoi ne pas y installer un nouveau village de vacances? Grâce à des investissements du club, de compagnies d’assurances et de banques marocaines, le Club Med d’Agadir voit le jour.
"On montait en gamme. C’était le premier club en dur, ouvert toute l’année, et donc la première destination de soleil en hiver", nous confie Serge Trigano, le fils de Gilbert, qui de GO à Chef de Village dans les années 70 finira par prendre les rênes du Club Med à la suite de son père, en 1993. "Comme on dit aujourd’hui, on a fait le buzz".
Serge et Gilbert Trigano
Et pour cause. Agadir était le premier village où les gens avaient une chambre avec une salle de bains, chose qui n’existait nulle part ailleurs puisque dans les villages traditionnels, les vacanciers avaient une case sans électricité et des sanitaires communs.
"La destination Maroc a marché tout de suite", explique Michel Bré, qui a commencé à travailler au club d'Agadir en 1967 en tant que gérant du trafic. "En quelques années, des dizaines de villages ont poussé. Agadir accueillait 600 personnes, Al Hoceima et Malabata environ un millier chacun. A la plus belle époque, on avait environ 10.000 lits touristiques dans le royaume".
Melting-pot
Quand les premiers clubs ouvrent au Maroc, les pays européens ne connaissent pas la crise. On est en pleine période des Trente Glorieuses. Les touristes, français en tête, mais aussi suisses, allemands ou italiens, débarquent en masse. L’accès au Club Med était – presque – à portée de bourse.
"Pour 800 francs tout compris, on venait passer une semaine de bonheur à Agadir, ce qui était un peu cher pour l’époque, mais les gens pouvaient payer en 3-4 fois", explique Catherine Dupont, GO de 1972 à 1977 dans plusieurs villages du Club Med au Maroc. "Ce qui revenait le plus cher, c’était l’avion. La majorité des gens arrivaient en charter".
Les Marocains aussi venaient se détendre dans les clubs du royaume. "C’était une petite partie de notre clientèle. Il s’agissait surtout de la bourgeoisie de Casablanca et de Rabat, qui venait passer un week-end ou une semaine", explique Serge Trigano. "Quand on était à Agadir, les autorités de la place, le gouverneur ou le procureur général venaient dîner ou assister aux spectacles", se souvient Catherine Dupont.
Tout ce monde se mélangeait: musulmans et juifs, Marocains et étrangers. "Ce brassage était assez exceptionnel. On ne le retrouve plus aujourd’hui", ajoute M. Trigano. Même constat pour Catherine: "vous pouviez voir un médecin côtoyer une secrétaire, une infirmière ou un routier. Il n’y avait pas de barrière socio-culturelle".
"Le club paraissait alors indestructible, parce qu’il avait une philosophie et une pratique différente de l’hôtellerie classique. Gilbert Trigano nous disait d’ailleurs: 'nous sommes au service de nos adhérents, mais nous ne sommes pas leurs serviteurs'", se souvient Michel Bré.
Pour chaque village, environ 200 Marocains et 100 étrangers étaient recrutés. "Ils n’étaient pas forcément qualifiés. Mais ils étaient formés sur le tas par leur chef de service, et ils grimpaient vite en grade. On misait beaucoup sur la promotion interne", explique l’ancien numéro un du Club Med. Beaucoup partaient ensuite travailler dans d’autres clubs à l’étranger.
Pur produit du Club Med, Michel Bré a en effet vu son poste et ses compétences évoluer: "j’ai mis six ans à devenir chef de village, j’ai fait de la gestion, de l’économat... À la fin de ma carrière au Club Méditerranée en 1997, j'étais directeur commercial".
Quand elle travaillait à Ouarzazate, en 1972, Catherine recevait 400 dirhams par mois. "On était payés au lance-pierre mais on s’en fichait: on était logés, nourris, et si on avait des problèmes de santé, c’était le club qui payait. En 1976, j’étais relativement bien payée: je touchais 900 dirhams par mois". A titre de comparaison, aujourd'hui, un GO perçoit un salaire différent selon son pays d'origine: 900 euros net en moyenne s'il est européen, 5.000 dirhams s'il est local.
Les recrutements locaux ont aussi permis de faire découvrir la gastronomie marocaine hors des frontières. Car parmi les recrutés figuraient de nombreux cuisiniers marocains: "ils faisaient la réputation du club", explique Serge Trigano, " et on a exporté la table marocaine dans les autres clubs à travers le monde". Certains grands chefs marocains sont même venus en France pour donner des formations.
Pour Serge Trigano, c’était une "époque bénie" où les gens venaient chercher l’exotisme à leur manière. "Certains venaient en famille, d’autres entre amis, ou d’autres encore, des célibataires, venaient seuls pour draguer. C’était une formidable agence matrimoniale!".
Au club, chacun vivait à son rythme. "Il y avait ceux qui faisaient la fête toute la nuit et dormaient le jour, ceux qui partaient en excursion ou visitaient les souks, et les autres qui restaient dans le club et profitaient de la piscine et des animations", explique M. Trigano.
A l’intérieur du village, les gens payaient en "collier bar", une monnaie inventée par le Club Med pour les vacanciers en maillots de bain qui n’avaient pas de poches pour ranger leur argent. "Bien sûr, certains venaient avec trois colliers dorés autour du cou, pour montrer qu’ils avaient de l'argent, mais ceux-là, c’étaient des dragueurs!" se souvient Michel Bré en riant.
Du côté des organisateurs, le rythme était trépidant. "Les gens descendaient du car, on les accueillait en paréos avec une fanfare et des fleurs, et on portait leurs valises dans leur chambre. C’était vraiment festif", explique Catherine Dupont, qui avait la vingtaine à l’époque et ne travaillait pas en uniforme, mais "en maillot de bain ou en short".
"À Agadir, le chef de village était extraordinaire. On se demandait toujours quand il dormait, parce que c’était lui l’animation et la bonne marche du club 24h/24", indique-t-elle. "On travaillait parfois jusqu’à 4 ou 5 heures du matin, parce qu’on avait des spectacles à répéter, les journées à organiser, et tout cela se faisait la nuit, quand les GM, les clients, dormaient".
Des cours de voile, de plongée, de natation et de tennis étaient proposés, la plupart du temps gratuitement, de même que des spectacles et des jeux pour les enfants.
Une variété d’animations qui payait: "les clients étaient fidèles", se souvient M. Trigano. "Ils revenaient parfois 3 ou 4 fois dans l’année. C’était un tourisme de cœur"
Le 07 août 2017
SOURCE WEB Par Huffpostmaghreb
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