SARL : les non-gérants ne sont plus protégés !
Depuis 2014, la jurisprudence qualifie les gérants non statutaires de «dirigeants de fait» dans plusieurs cas. Sa responsabilité est identique à celle d’un dirigeant de droit, sauf pour le cumul des actions… Il appartient à celui qui invoque l’existence d’un dirigeant de fait d’en apporter la preuve.
Le traitement des difficultés de l’entreprise par les juges a clairement évolué. Les formations en droit commercial, ainsi que la pratique quotidienne, ont encouragé les magistrats à aller au-delà des textes. C’est le cas pour les litiges liés à la Société à responsabilité limitée (SARL). Les magistrats des tribunaux de commerce ont ainsi établi une tendance jurisprudentielle liée à la responsabilité des actes de gestions. Depuis 2014, ces derniers peuvent impliquer les associés non gérants, voire des personnes tierces à l’entreprise. «Si le dirigeant de droit est celui qui est désigné par les statuts de la société pour diriger celle-ci, à l’inverse le dirigeant de fait n’est aucunement investi d’un tel mandat social, il n’est pas le représentant légal, mais il va exercer un réel pouvoir de gestion dans la société. Il est souvent perçu au regard de tous, notamment dans les relations avec l’extérieur, comme le représentant de la société. Il n’existe pas de définition légale du dirigeant de fait, mais la jurisprudence s’y est intéressée depuis quelques années», indique Mohamed Koudane, conseiller juridique et professeur de droit.
La responsabilité des «hommes de paille» est écartée
Ainsi, selon les différentes décisions rendues par les tribunaux de commerce, le dirigeant de fait se définit comme celui qui, en toute indépendance et liberté, exerce une activité positive de gestion et de direction et se comporte, sans partage, comme maître de l’affaire. Il va donc exercer cette «activité positive de gestion et de direction de l’entreprise sous le couvert et en lieu et place du représentant légal». Dans le premier cas d’espèce datant d’avril 2014 et qui a amorcé cette tendance, il s’agissait de responsabiliser un associé non gérant à propos de décisions qu’il disait ne pas avoir prises.
Cependant, toute personne peut être considérée comme un dirigeant de fait. Il peut s’agir de l’époux qui, sous le coup d’une interdiction, ne peut pas être le gérant de droit, ou cela peut être le prêteur qui a dépassé son devoir de conseil et a joué un rôle important dans la gestion de la société. Il faut préciser que cette notion relève «du pouvoir souverain des juges, ils vont regarder la réalité des faits pour retenir ou non l’existence d’un dirigeant de fait, et ils vont devoir caractériser un faisceau d’indices puisqu’il n’y a pas un seul critère permettant de détecter formellement un dirigeant de fait», précise de son côté un magistrat de la Cour d’appel commerciale de Casablanca.
En effet, la qualité de dirigeant de fait ne se présumant pas, il appartient à celui qui en soutient l’existence d’en apporter la preuve. Les premiers indices sont connus : si la personne a la signature bancaire, si elle signe les documents commerciaux et administratifs, si elle peut traiter avec la clientèle des contrats d’une grande importance… Ou alors, dans certains cas, simplement une présence quotidienne dans les lieux de travaux et une hiérarchie «de fait» sur les employés (dont le témoignage peut être accepté en l’occurrence, comme l’a décidé la Cour d’appel de commerce de Tanger).
Dans le cas où le dirigeant de droit n’est qu’un «homme de paille», sa responsabilité est écartée. Mais si les décisions litigieuses résultent de «l’action de concert entre ces deux personnes», leurs responsabilités peuvent se cumuler, l’une n’excluant pas l’autre. Toutes les fautes susceptibles d’engager la responsabilité du dirigeant de droit sont donc également imputables à un dirigeant de fait.
La responsabilité du fait personnel ne peut être invoquée
La question de la responsabilité fait l’objet de beaucoup de débats. Si dans la SARL, les associés ne sont responsables qu’à hauteur de leurs apports, lorsqu’il s’agit d’un redressement ou liquidation judiciaire, ce principe saute. Ainsi, au même titre que le dirigeant de droit, le dirigeant de fait peut subir une action en comblement du passif pour des fautes de gestion. Mais, contrairement aux cas classiques (impliquant le seul dirigeant mandaté par les statuts ou délégation de pouvoirs), les juges ont refusé le cumul de cette action et de celle basée sur les articles 77 et 78 du Dahir des obligations et des contrats, concernant la responsabilité du fait personnel. Mais ce non-cumul ne rend pas la situation du dirigeant de fait moins précaire puisque le dirigeant de droit peut en effet déléguer une partie de ses pouvoirs pour s’exonérer de sa responsabilité, contrairement au dirigeant de fait qui ne dispose de ses «pouvoirs» qu’en raison d’une situation factuelle…
La plupart du temps, la qualité de dirigeant de fait va être retenue à l’encontre d’une personne liée à l’entreprise : soit un mandataire social ou un associé, soit un salarié puisque l’existence d’un contrat de travail, qui suppose pourtant un lien de subordination juridique avec l’entreprise, ne suffit pas à écarter la qualification de dirigeant de fait. Cependant, la qualification de dirigeant de fait peut être également retenue à l’encontre des personnes qui ne sont ni salariées de l’entreprise, ni mandataires sociaux. Dans une affaire récente, les tribunaux ont reconnu la qualité de gérant de fait d’une SARL à un tiers qui n’avait ni la qualité de salarié, ni de détenteur d’un mandat social mais disposait de la carte bleue et de la signature sur le compte bancaire de la société, sur lequel il prélevait d’importantes sommes en engageant la trésorerie de l’entreprise comme un véritable dirigeant, opérait le recrutement du personnel et passait, pour l’administration fiscale, pour le dirigeant de la société. Les juges assimilent en conséquence ce dirigeant de fait au dirigeant de droit de la SARL et, afin d’engager sa responsabilité, ont retenu une faute de gestion à son encontre.
Le 30 Novembre 2016
SOURCE WEB Par La Vie Eco
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