Maroc : De la défense commerciale au protectionnisme
Les demandes d’ouverture d’enquête antidumping et de sauvegarde sont de plus en plus fréquentes au Maroc. Les requêtes d’antidumping sont encore plus nombreuses et visent à limiter les importations en provenance de pays qui exportent à des prix inférieurs à ceux pratiqués sur leurs marchés intérieurs. De la restriction des importations des PVC américains, au contreplaqué chinois, en passant par les tôles en acier laminé européennes, le leitmotiv est de protéger l’industrie locale. Toutefois, peut-on s’abriter uniquement derrière la défense commerciale pour sauvegarder notre industrie?
Précisons que le Maroc, comme les autres membres de l’OMC, a le droit de lutter contre les pratiques de concurrence déloyale avérées telles que le dumping ou les produits subventionnés. Cela dit, l’exercice de ce droit doit être juste et limité au strict minimum pour plusieurs raisons.
D’abord, parce que l’abus de la défense commerciale risque de tourner au protectionnisme. Dans un tel cas, les producteurs marocains n’auront aucune incitation à améliorer leur compétitivité en réponse à la concurrence étrangère. Quand tu es assuré de garder ta part de marché, ton chiffre d’affaires, ton bénéfice, tu n’as aucune incitation à te remettre en cause pour rattraper ton retard historique. D’ailleurs, si aujourd’hui une grande partie du tissu productif marocain manque de compétitivité, c’est parce qu’il a été protégé pendant trop longtemps. Cet excès de protectionnisme l’a empêché de développer son sens de la rivalité et les armes indispensables pour se défendre sur un marché mondialisé. Par ailleurs, la défense commerciale sans mise à niveau ne fait que reporter l’échéance. Il n’y a qu’à se rappeler que depuis les années 90, les producteurs marocains avaient un sursis pour se mettre à niveau en prévision de l’entrée en vigueur de la zone de libre échange avec l’UE. Un engagement qui n’a pas été tenu par tout le monde, puisqu’on entend encore certains dire qu’ils ne sont pas prêts. Malheureusement, en les protégeant, ils ne le seront jamais.
Ensuite, on ne peut se protéger que contre la concurrence déloyale, sinon ce droit pourrait se transformer en une rente pour certains lobbies. Ces derniers, à défaut de se mettre au diapason de la concurrence mondiale, réclament toujours d’être protégés au détriment des consommateurs locaux, qui doivent payer l’inertie, l’incompétence et les erreurs de gestion de certains parmi eux. Pour devenir compétitif il faudrait s’exposer à la concurrence. C’est en forgeant que l’on devient forgeron.
Notons aussi que le recours injustifié et abusif aux mesures de défense pourrait déclencher des représailles de la part de nos partenaires, ce qui compromettrait à terme les intérêts de l’économie nationale. L’abus de la défense commerciale collerait au Maroc l’étiquette d’un pays protectionniste. Cela écornerait son image d’économie ouverte nécessaire pour attirer des investisseurs étrangers, notamment dans la perspective de hub pour l’Afrique.
Enfin, n’oublions jamais que les importations font les exportations. On importe en effet des biens intermédiaires et des biens d’équipements pour produire nos exportations. Autrement dit, plus cher tu importeras, plus cher tu exporteras. Donc cela est nuisible à la compétitivité de nos exportations. Si, par exemple, on protège la métallurgie nationale uniquement car les importations sont réellement (et non pas artificiellement) plus compétitives, l’acier sera plus cher pour l’industrie automobile, entre autres. Cela pénalisera sa compétitivité, ce qui pourrait détruire des emplois ou du moins empêcher d’en créer de nouveaux. On se retrouvera alors face à un arbitrage politique: sauver uniquement l’industrie métallurgique ou tous les producteurs utilisant l’acier comme produit intermédiaire? Bien sûr cet arbitrage sera tranché en fonction de l’importance et du poids électoral de chaque lobby. Donc, la prochaine fois que vous entendrez des dirigeants politiques justifier leur soutien à une entreprise ou un secteur au nom de la préservation des emplois, ayez en tête qu’encore plus d’emplois seront détruits dans d’autres secteurs.
Pour toutes ces raisons, la défense commerciale doit être utilisée avec une grande précaution pour ne pas se transformer en un protectionnisme déguisé destiné à protéger des industriels locaux en manque réel de compétitivité. La limitation des importations via l’usage de la défense commerciale doit être mue uniquement par la lutte contre les pratiques de concurrence déloyale, celles qui ne respectent pas l’esprit du libre-échange.
Dans ce sens, les mesures de défense commerciale doivent être circonscrites dans le temps, et surtout elles doivent être mises en œuvre dans un cadre contractuel avec les secteurs concernés pour que ce ne soit pas une rente. Clairement, le deal sera: protection temporaire contre restructuration.
Ce faisant, la défense commerciale (sauvegarde ou anti-dumping) cesse d’être un droit garanti, et devient conditionnelle à la mise à niveau de nos entreprises afin qu’il n’y ait pas de détournement de ce droit pour les intérêts particuliers de certains lobbies. Au contraire, elle deviendra une incitation à l’investissement, l’innovation pour affronter les concurrents étrangers.
Ainsi la défense commerciale peut apporter un bol d’oxygène à l’économie nationale, mais elle ne peut en aucun cas être considérée comme une stratégie de protection à long terme. La meilleure façon de protéger notre tissu productif est de s’attaquer aux obstacles qui freinent notre compétitivité. Après tout, la meilleure défense est l’attaque.
* Maitre de conférences en économie
à l’université Sultan Moulay Slimane
Le 16 Juillet 2016
SOURCE WEB Par Libération
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