Le Maroc, une puissance maritime en devenir
UNE POSITION GÉOGRAPHIQUE PRIVILÉGIÉE, DE GRANDES RICHESSES HALIEUTIQUES ET ÉNERGÉTIQUES, UNE INFRASTRUCTURE PORTUAIRE EN PLEIN DÉVELOPPEMENT, AVEC DES PORTS DE COMMERCE DE RANG MONDIAL… LE MAROC POSSÈDE LES PRINCIPAUX ATTRIBUTS D’UNE PUISSANCE MARITIME. ANALYSE.
Il y a de cela une vingtaine d’années, le Maroc a mis le cap sur une véritable politique maritime. Et si en évoquant le terme «puissance maritime», la première chose qui nous vient à l’esprit est le nombre de sous-marins, de porte-avions, de frégates et autres navires de guerre, rapportés aux kilomètres de côtes d’un État, la réalité est un peu plus complexe.
Certes, la puissance militaire compte, elle est même indispensable, mais elle n’est pas le seul attribut d’une puissance maritime. Celle-ci repose avant tout sur l’étendue des mers sur lesquelles un état peut asseoir sa souveraineté, sur ses richesses halieutiques, minières et énergétiques marines, son ouverture commerciale, son industrie navale, ses capacités techniques et humaines de recherches océanographiques, ses capacités en termes de sauvetage maritime et de lutte contre le crime en haute mer… À cela s’ajoute la présence diplomatique à travers le monde. Et dans chacune de ces dimensions, le Maroc a parcouru bien des milles.
Le Royaume l’a compris depuis des années déjà et les récentes évolutions ont montré qu’il avait raison. Ne pouvant compter sur une quelconque synergie régionale à l’échelle du Maghreb pour accélérer son développement économique, le Maroc a emprunté la voie maritime. De fait, les frontières terrestres ayant été scellées depuis au moins un demi-siècle à travers le monde, la seule option légale et légitime pour tout État souhaitant étendre son « territoire » reste la mer.
Pour preuve, l’ONU est actuellement en train d’étudier une centaine de demandes d’extension de souveraineté maritime déposées par plusieurs pays. Pour le cas du Maroc, tout a commencé au début des années 2000…
Ouverture sur le monde
En 2002, le Roi Mohammed VI lançait les travaux de construction du Port Tanger-Med. Tout est allé très vite : prise de décision, identification du site, bouclage du projet… La création de la Tanger Med Special Agency (TMSA) a eu lieu la même année et, dès 2003, les premiers marchés ont été attribués. À l’époque, personne ne se doutait que le nouveau complexe portuaire allait pouvoir rivaliser avec le port d’en face, celui d’Algésiras. Encore moins que deux décennies plus tard, Tanger-Med allait accéder au 23e rang mondial. Ce complexe portuaire est aujourd’hui connecté à plus de 180 ports mondiaux et 70 pays. Situé à quelques kilomètres de l’Espagne, il est à trois jours du nord de l’Europe, dix jours de l’Amérique et 20 jours de la Chine. La création de Tanger-Med fait partie d’une série de décisions hautement stratégiques, qui convergent toutes vers un même objectif : faire du Maroc une puissance régionale.
En 2007, alors que le premier quai à conteneurs du nouveau grand complexe portuaire était déjà prêt pour recevoir son tout premier navire porte-conteneurs, le Maroc décidait de ratifier la convention des Nations unies sur les droits de la mer (Montego By, 1982), signée 25 ans plus tôt.
Dix ans plus tard, un autre événement majeur avait lieu. En mars 2017, la nouvelle base navale de la Marine Royale de Ksar Sghir était opérationnelle. D’autres infrastructures phares verront bientôt le jour, à l’image du projet portuaire Nador West, dont l’achèvement de la première phase est prévu pour fin 2023. Plus au sud, les travaux de construction du nouveau port de Dakhla Atlantique ont été lancés en juillet de l’année dernière.
Expansion maritime
C’est aussi en 2017 que le Royaume a décidé de procéder à un aggiornamento de son environnement législatif pour le rendre conforme aux dispositions de la Convention de Montego Bay. Un pas décisif qui n’a pas manqué de susciter de vives réactions, principalement chez nos voisins espagnols. Deux projets de loi ont donc été introduits dans le circuit législatif et définitivement adoptés et promulgués en mai 2020.
En substance, les deux textes précisent les nouvelles frontières maritimes du Royaume, en conséquence de quoi ses 3.500 km de côtes lui permettent d’étendre sa souveraineté sur près de 1,2 million de km² supplémentaires en ne comptant que la Zone économique exclusive. Cela s’élève à plus de 2 millions de km² si l’on ajoute également le plateau ou la plateforme continentale. Il va de soi que le Maroc n’a pas décidé du jour au lendemain de tracer ses frontières maritimes de lui-même. En effet, pour renforcer la sécurité juridique de ses intérêts, le Maroc a transmis, en 2015, à l’ONU un rapport portant informations préliminaires et indicatives sur l’extension projetée de son plateau continental. Une demande qu’il a reconfirmée en juin 2017 dans l’attente de la présentation ultérieure d’un rapport technique détaillé, comme le prévoit la Convention de Montego Bay. Il anticipait déjà la réaction, inamicale, vu le contexte, de l’Espagne, du Portugal et même de la Mauritanie.
Nasser Bourita, le ministre des Affaires étrangères, tout en rassurant les pays voisins, a d’ailleurs confirmé plus tard que « le Maroc a présenté des éléments préliminaires pour l’extension des limites extérieures de son Plateau continental jusqu’à 350 milles marins, dans l’attente de la finalisation de son dossier ». Hasard des circonstances, le Royaume vient tout juste de se faire élire, à travers Miloud Loukili, un spécialiste du droit de la mer, membre de la Commission des limites du plateau continental lors des élections tenues à l’occasion de la 32e réunion des états parties à la Convention des Nations unies sur le Droit de la Mer, pour un mandat qui dure jusqu’en 2028. Cette même commission qui planche sur les 100 demandes des autres pays.
Deuxième pays d’Afrique de par la longueur de son littoral, après Madagascar qui est un État insulaire, le Maroc fait également partie des rares pays dans le monde dont l’espace maritime est largement supérieur à l’espace terrestre. Du coup, il a désormais des frontières avec six États, en comptant aussi le Portugal, l’Espagne, la Grande-Bretagne (Gibraltar) et le Cap-Vert, ce qui n’est pas sans susciter quelques différends, surtout avec l’Espagne (l’archipel des îles Canaries). Toujours est-il que cette extension des eaux territoriales revêt une importance stratégique, puisqu’elle va permettre d’étendre la juridiction du pays et l’autoriser à y exercer des droits souverains exclusifs, tels que l’exploration et l’exploitation des ressources.
Puissance halieutique
Quinzième puissance halieutique mondiale, le Maroc joue dans la cour des grands. Le résultat d’un travail de longue haleine, puisque c’est en 2009 que le Royaume a lancé le Plan Halieutis avec pour objectif le développement d’une nouvelle dynamique dans le secteur. Une politique qui a porté ses fruits, puisque le pays est le premier en Afrique dans le secteur de la pêche de capture.
Un an après le lancement du Plan Halieutis donc, la stratégie portuaire nationale est lancée avec comme horizon 2030. Et dès 2012, les investissements commençaient déjà dans différentes régions du pays, regroupés en six pôles principaux : Tanger-Med, Nador West, Dakhla Atlantique et Kénitra Atlantique font partie des grands ports prévus dans le cadre de cette stratégie.
Dans un autre registre, le Maroc s’intéresse particulièrement et depuis quelques années déjà à son potentiel offshore en matière d’hydrocarbure. À peine une dizaine de puits en eau profonde ont été forés à ce jour, autant dire que l’offshore marocain demeure nettement sous-exploré. Selon une étude réalisée en 2018 par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), «malgré un fort potentiel en hydrocarbure, celui-ci demeure encore largement sous-exploré, car l’exploration pétrolière reste un processus très long, hautement capitalistique et très risqué. (…) Le Maroc a foré 11 puits sur l’offshore atlantique dont 9 ont montré des indices d’huile, de gaz ou d’huile lourde». D’après la même étude, «l’offshore marocain présente un potentiel viable qui se confirme progressivement, notamment sur la façade atlantique, et couvre à lui seul une superficie totale de 400.000 km²». Notons à ce propos que le gisement Anchois-2, au large de Larache, fait partie des 19 plus importantes découvertes potentiellement commercialisables du gaz dans le monde en 2022 (Westwood Global Energy Group). Mieux, la façade atlantique, longue de 3.000 km, constitue un gisement exceptionnel pour l’éolien offshore, avec, selon les experts, des régimes de vents très favorables et relativement constants.
«Le porte-avion Maroc»
«L’éolien offshore représente ainsi une solution complémentaire évidente au solaire dans un mix énergétique totalement renouvelable qui offrirait au Maroc sa pleine indépendance énergétique», souligne un expert. Mais il semble que ce n’est pas une priorité pour le moment, en raison des complications que supposerait la gestion de l’aménagement du littoral mais surtout parce que les EnR on-shore sont plus compétitives et accessoirement plus abondantes.
Récapitulons : une ZEE étendue, base juridique et légale, des richesses halieutiques et énergétiques offshore, et potentiellement minières en comptant bien sûr le très commenté mont Tropic, une infrastructure portuaire en plein développement, avec des ports de commerce de rang mondial… Il est assez évident que le Maroc possède les principaux attributs d’une puissance maritime. Pour avoir les moyens de ses ambitions, il devra dans l’avenir se doter d’un outil de recherche scientifique développé et d’une industrie navale.
En attendant, il peut compter sur un atout inestimable que lui confère son propre positionnement géographique. Le détroit de Gibraltar fait du Royaume un carrefour stratégique qui lui a valu d’être surnommé par les Américains, lors de la Seconde Guerre mondiale, «le porte-avion Maroc». Avec l’Espagne et la Grande-Bretagne, le Maroc est l’un des trois gardiens du détroit de Gibraltar. Et pour cause, plus de 100.000 navires traversent chaque année ce détroit qui relie l’Atlantique à la Méditerranée avec une ouverture sur l’océan Indien.
Anchois-2 au large de Larache fait partie des 20 plus importantes découvertes de gaz potentiellement commercialisables dans le monde en 2022
Opportunités stratégiques
Sur le plan diplomatique, le Maroc n’a pas chômé non plus. Après avoir intégré l’Union pour la Méditerranée, dont l’ancien Président Sarkozy avait été l’un des fervents défenseurs, le Royaume en a même assuré le secrétariat général à partir de 2011. Tout en continuant d’adhérer à ce projet qui rassemble 42 pays, le Maroc lorgne d’autres horizons et semble déterminé à contribuer à l’émergence d’un nouveau groupement régional plus vaste : l’IAA, Initiative Afrique Atlantique, ouverte elle-même sur un horizon embrassant les pays d’Amérique latine riverains de l’Atlantique dans le projet de l’Alliance de l’Atlantique Sud. «Pendant longtemps, commente Rachid El Houdaigui, professeur de droit international, l’orientation stratégique du Maroc s’est uniquement centrée sur la perspective méditerranéenne, n’intégrant que partiellement la dimension atlantiste. Or, le poids incontestable de l’Atlantique dans le présent et l’avenir du Maroc invite l’expertise, notamment nationale, à conceptualiser cette nouvelle ère constitutive et génératrice de fonctions pertinentes. L’Atlantique offre au Maroc des opportunités stratégiques aussi bien pour son économie que pour sa sécurité et son positionnement régional». Selon le même spécialiste, la stratégie marocaine devrait également interagir avec les trois grandes initiatives maritimes adoptées par l’Union africaine : la stratégie africaine intégrée pour les mers et les océans horizon-2050 (Stratégie AIM), l’économie bleue dans le cadre de l’Agenda 2063 de l’Union africaine ; la Charte africaine sur la sûreté, la sécurité maritime et le développement. À cela s’ajoute évidemment le projet de gazoduc, en partie offshore, destiné à relier le Nigéria au Maroc à travers 14 pays, qui pourrait devenir un facteur d’intégration, tant au niveau économique que politique. Comme le dira Nasser Bourita, «Sa Majesté le Roi veille personnellement à la politique africaine du Royaume. La politique maritime s’y emboîte naturellement, à la faveur du positionnement unique du Maroc sur un carrefour des échanges globaux et à la croisée des espaces africain, euro-méditerranéen, arabo-asiatique et transatlantique». Dans ce panorama, poursuit le ministre, «le maritime est un trait d’union du Royaume avec le monde, et en particulier l’Afrique». Preuve s’il en faut que notre diplomatie a changé de paradigme, et la dimension maritime y occupe une place de choix…
Recherches
Difficile de ne pas associer la découverte du mont Tropic, au large des côtes atlantiques marocaines, à l’intérêt croissant que porte le Royaume pour la recherche océanographique.
Le nouveau navire que l’INRH vient tout juste de se faire livrer par le constructeur japonais Mitsui E&S Shipbuilding est un bateau de recherche de type «multipurpose». Il est dédié à l’étude intégrée de l’écosystème marin et à l’évaluation multispécifique des stocks marins sur le plateau et le talus continental jusqu’à des fonds de 1.500 m. Baptisé du nom d’Abou Al-Hassan Al-Marrakchi, il est notamment doté des équipements nécessaires pour les prélèvements océanographiques et des laboratoires pour le traitement et la conservation des échantillons à bord. Le nouveau navire océanographique de l’INRH est équipé pour opérer 24/24h selon un programme intégré avec les autres navires de l’institut et permettra de prospecter des zones au large jusqu’ici non explorées par la flotte de l’INRH. L’Institut dispose en effet de deux navires de prospection scientifique hauturiers de type chalutier et d’une dizaine d’embarcations légères. Cette flotte est actuellement en pleine expansion. Le navire «Al Hassani», jusque-là dédié à la formation professionnelle, sera quant à lui entièrement mis à neuf et transformé en une unité spécialisée dans la recherche halieutique. Le programme d’équipement de l’INRH comporte d’autres acquisitions qui vont lui permettre de tripler sa capacité d’intervention en mer.
Le 2 Février 2023
Source web par : la vie eco
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