Café et changement climatique : la redécouverte d’une espèce sauvage prometteuse
Le monde raffole du café. Plus précisément, il raffole du café arabica. De l’odeur de ses grains fraîchement moulus à la dernière gorgée, c’est tout simplement un délice pour les sens.
Le robusta, qui est l’autre espèce de café la plus répandue, est presque aussi commercialisé que l’arabica, mais beaucoup moins savoureuse. Il est d’ailleurs principalement utilisé pour fabriquer du café instantané ou réaliser des mélanges, tandis que l’arabica est l’apanage des baristas exigeants et des expressos coûteux.
Les consommateurs sont peut-être satisfaits, mais le changement climatique rend les producteurs de café amers. Les maladies et les parasites deviennent plus fréquents et plus graves avec la hausse des températures. L’infection fongique connue sous le nom de rouille des feuilles du caféier a dévasté des plantations en Amérique centrale et du Sud.
Et si les cultures de robusta ont tendance à être plus résistantes, elles ont besoin de beaucoup de pluie – un défi de taille alors que les sécheresses prolifèrent.
Un homme cueille des cerises de café sur un arbre. Reynold Sumayku/Alamy
Ce contexte menaçant annonce pour la caféiculture un futur plutôt sombre. L’une des solutions les plus prometteuses consiste à développer de nouvelles cultures de café plus résistantes, qui devront non seulement tolérer des températures plus élevées et des précipitations moins prévisibles, mais également continuer à satisfaire les attentes des consommateurs en matière de goût et d’odeur.
Trouver la combinaison parfaite de caractéristiques dans une nouvelle espèce semblait peu probable. Mais dans une recherche que nous avons récemment publiée, mes collègues et moi-même révélons une espèce de café sauvage peu connue… qui paraît la plus prometteuse à ce jour.
Cultiver le café dans un monde réchauffé
Coffea stenophylla a été décrite pour la première fois en 1834 à la Sierra Leone. Il a été cultivé dans les régions les plus humides de l’Afrique de l’Ouest supérieure jusqu’au début du XXe siècle, lorsqu’il a été remplacé par le robusta, nouvellement découvert et plus productif. L’industrie du café l’a alors largement oubliée. Il a néanmoins continué à pousser à l’état sauvage dans les forêts humides de Guinée, de la Sierra Leone et de Côte d’Ivoire, où il a ensuite été menacé par la déforestation.
Coffea stenophylla, cultivée dans le jardin botanique de Trinidad vers 1900. Royal Botanic Gardens, Kew, Author provided
Nous avons retrouvé sa trace à la fin de l’année 2018 à la Sierra Leone après l’avoir cherchée pendant des années. Mais nous ne parvenions pas à trouver d’arbres en fruits jusqu’à la mi-2020, lorsqu’un échantillon de 10 g a été récupéré pour être dégusté.
Déjà au XIXe siècle, des botanistes proclamaient la supériorité de la saveur du café stenophylla, et avaient identifié sa bonne résistance à la rouille des feuilles de caféier et à la sécheresse. Ces premiers dégustateurs étaient cependant souvent inexpérimentés, nous avions donc peu d’attente avant de le déguster pour la première fois à l’été 2020. Mais dès les premières gorgées, goûtées avec cinq autres experts du café, ça a été pour nous une révélation… C’était comme s’attendre à du vinaigre et se voir servir du champagne !
Cette première dégustation à Londres a été suivie d’une évaluation approfondie des saveurs de ce café dans le sud de la France, menée par ma collègue de recherche Delphine Mieulet. Elle a réuni 18 connaisseurs de café pour une dégustation à l’aveugle. Ils ont décrit un profil complexe, avec une douceur naturelle, une acidité moyenne-haute, un goût fruité et un bon corps. Bref, ce que l’on peut attendre d’un arabica de haute qualité.
Plante de café Stenophylla poussant à l’état sauvage, en Côte d’Ivoire. E. Couturon/IRD, Author provided
En fait, ce café semblait très proche de l’arabica. Lors de la dégustation de Londres, l’échantillon de la Sierra Leone a été comparé à l’arabica du Rwanda. Lors de la dégustation française à l’aveugle, la plupart des juges (81 %) ont déclaré que le stenophylla avait le même goût que l’arabica, contre 98 % et 44 % pour deux échantillons témoins d’arabica, et 7 % pour un échantillon de robusta.
Les dégustateurs ont relevé des notes de pêche, de cassis, de mandarine, de miel, de thé noir léger, de jasmin, de chocolat, de caramel et de sirop de fleurs de sureau. En bref, le café stenophylla est un pur délice. Et bien qu’il ait obtenu un score élevé pour sa ressemblance avec l’arabica, l’échantillon de café stenophylla a aussi été identifié comme tout à fait unique par 47 % des juges. Cela signifie qu’il existe peut-être une nouvelle niche commerciale pour ce café redécouvert.
Les testeurs ont approuvé la saveur douce et fruitée de la stenophylla. Cirad, Author provided
De nouveaux terrains à explorer
Jusqu’ici, aucune autre espèce de café sauvage avait réussi à s’approcher dans les saveurs de la qualité de l’arabica. D’un point de vue scientifique, les résultats sont convaincants, car il était assez surprenant que la stenophylla ait le même goût que l’arabica. Ces deux espèces ne sont pas étroitement liées, elles sont originaires de côtés opposés du continent africain et les climats dans lesquels elles poussent sont très différents. Elles ne se ressemblent pas non plus : la stenophylla a des fruits noirs et des fleurs plus complexes que les cerises de l’arabica, qui sont rouges.
Les fleurs blanches du caféier stenophylla. Royal Botanic Gardens, Kew, Author provided
On a toujours considéré que le café de qualité supérieure était l’apanage de l’arabica – originaire des forêts d’Éthiopie et du Soudan du Sud – et particulièrement lorsqu’il est cultivé à des altitudes supérieures à 1 500 mètres, où le climat est plus frais et la lumière meilleure.
Le stenophylla remet cette idée en cause. Endémique de la Guinée, du Sierra Leone et de la Côte d’Ivoire, il pousse dans des conditions chaudes à basse altitude. Plus précisément, à une température annuelle moyenne de 24,9 °C – 1,9 °C de plus que le robusta et jusqu’à 6,8 °C de plus que l’arabica. Le stenophylla semble également plus tolérant aux sécheresses, et potentiellement capable de grandir avec moins de précipitations que l’arabica.
Le café robusta peut pousser dans des conditions similaires à celles du stenophylla, mais les agriculteurs sont rémunérés à un prix deux fois moins important que celui de l’arabica. Cette nouvelle espèce serait donc un moyen de cultiver un café au goût supérieur dans des climats beaucoup plus chauds. Et bien que ces arbres produisent moins de fruits que l’arabica, leur rendement reste suffisant pour être commercialement viable.
Récolte de stenophylla à l’île de la Réunion. IRD/Cirad, Author provided
Pour sélectionner les caféiers du futur, nous avons besoin d’espèces ayant une grande saveur et une forte tolérance à la chaleur. Le croisement de la stenophylla avec l’arabica ou le robusta pourrait rendre ces deux variétés plus résistantes au changement climatique et même améliorer leur goût, dans le cas du robusta.
Grâce à la redécouverte de la stenophylla, l’horizon du café pourrait se dégager un peu.
Le 28 April 2021
Source web Par : theconversation
Les tags en relation
Les articles en relation
Tragédie au Hajj 2024 : 1.301 Pèlerins Périssent sous la Canicule en Arabie Saoudite
L'Arabie saoudite a annoncé dimanche la mort de 1.301 pèlerins lors du grand pèlerinage musulman, tenu récemment sous des chaleurs caniculaires. La majo...
« L’ÉCONOMIE AFRICAINE 2023 » : À REBOURS DES IDÉES REÇUES
L’Agence française de développement publie ce 19 janvier la quatrième édition de son ouvrage de référence « L’Économie africaine 2023 », aux éditi...
Planter des arbres pour sauver la planète : mythe ou réalité ?
Cette semaine, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) va publier un nouveau rapport sur le changement climatique et l...
COP27 : Yoweri Museveni s’en prend à « l’hypocrisie » des Européens
Dans un texte publié au moment où la conférence des parties bat son plein en Égypte, le chef de l’État ougandais argue que l’incapacité de l’Europe ...
Sand to Green, 700’000 heures Impact, et Regenopolis collaborent en vue de restaurer l'oasis de Ti
Sand to Green, une start-up franco-marocaine spécialisée dans la conversion des déserts en terres arables, s'unit à 700’000 heures Impact et Regenopol...
Signature à Casablanca de deux conventions pour le développement d’une économie climatique
La Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) a procédé, lundi à Casablanca, à la signature de deux conventions de partenariat pour le déve...
Energies renouvelables : Le Maroc se positionne comme destination favorable des investisseurs étran
Le Royaume du Maroc continue d’attirer les investissements internationaux dans le domaine des énergies renouvelables, se plaçant ainsi parmi les leaders mon...
L'UNESCO alerte : 90 % des terres émergées menacées de dégradation d'ici 2050
90 % des terres émergées en danger d'ici 2050, selon l'UNESCO L’UNESCO prédit que 90 % des terres émergées seront dégradées d’ici 2050, po...
L’agriculture marocaine face aux limites du dessalement : un défi majeur pour la sécurité hydri
Le secteur agricole marocain, déjà fortement impacté par le stress hydrique, tirera peu de bénéfices des avancées en matière de dessalement d'eau de ...
Tout savoir sur Alok Sharma, président de la COP26
La COP26, conférence internationale sur les changements climatiques, s’ouvre ce dimanche à Glasgow, en Ecosse. Très attendue par de nombreuses nations mais...
Conférence Internationale à Agadir : L'Importance du Sol dans le Développement Durable face aux D
Agadir – "Enracinés dans la résilience : Découvrir l’importance du sol dans le développement durable" est le thème d’une conférence internationale q...
Le Maroc adopte une ambitieuse Stratégie de Finance Climat 2030 pour mobiliser le secteur privé
Le Maroc intensifie son engagement dans la lutte contre le changement climatique avec l'adoption d'une Stratégie de Finance Climat 2030. Cette initiati...