Economie marocaine : Entretien avec Leïla Farah Mokaddem, Représentante de la BAD au Maroc
Leïla Farah Mokaddem : «La résilience de l’économie marocaine est la résultante de politiques et stratégies sectorielles ambitieuses».
Le Maroc est l’un des premiers pays bénéficiaire des concours de la Banque africaine. Les financements sont attribués à tous les secteurs, que ce soit pour des projets publics ou privés. Leïla Farah Mokaddem, représentante de la BAD au Maroc, revient sur les relations entre les deux parties et les multiples réalisations.
Comment qualifieriez-vous le partenariat entre le Maroc et la Banque africaine de développement ?
La Banque africaine de développement est un partenaire stratégique du Maroc depuis près d’une cinquantaine d’années. Près de 170 opérations des secteurs stratégiques ont été initiées par notre institution, pour un total de plus de 10 milliards de dollars. Ce partenariat avec le Royaume dépasse la simple relation financière. Nous sommes une banque de solutions. Une institution qui œuvre à la valorisation du capital humain en soutenant les réformes dans le secteur de l’éducation et de la formation ainsi que l’élargissement de la couverture médicale, notamment.
Nous travaillons également à favoriser la création d’emplois en soutenant des projets structurants et en appuyant le développement des petites et moyennes entreprises. L’accompagnement des entrepreneurs est également une priorité avec le programme Souk At-tanmia que nous venons de lancer.
Plus encore, nous soutenons le processus de désenclavement à travers l’appui, en zones rurales, aux programmes de routes, d’électrification et d’approvisionnement en eau potable.
Afin de renforcer la dynamique de diversification productive du pays, nous contribuons à la mise en œuvre du Plan d’accélération industrielle 2014-2020. Renforcer la compétitivité du tissu industriel et améliorer encore plus l’environnement des affaires pour développer les chaînes de valeur industrielles figurent parmi nos priorités.
Nous accompagnons enfin la modernisation de l’économie par l’accompagnement des grands chantiers de réformes tels que le développement du secteur financier, par exemple. C’est ainsi que nous contribuons à asseoir les conditions d’une croissance forte et partagée.
Pouvez-vous nous exposer succinctement l’action de la banque au Maroc ? Ses impacts ?
Permettez-moi d’énumérer quelques exemples de projets phares.
Dans le domaine de l’énergie, nous avons, par exemple, soutenu le Programme d’électrification rurale globale ; un projet qui a contribué à porter le taux d’électrification en milieu rural de 18% en 1995 à une couverture quasi universelle en 2016. D’autres projets structurants dans ce secteur ont marqué notre coopération : la centrale thermo solaire d’Ain Béni Mathar ; la deuxième interconnexion électrique entre le Maroc et l’Espagne ainsi que le méga-complexe solaire NOOR à Ouarzazate. Nous poursuivons, par ailleurs, notre appui au secteur des énergies renouvelables avec 265 millions de dollars mobilisés pour financer la première phase du projet de complexe solaire NOOR Midelt qui permettra de produire 800 MW.
En matière de transport, nous investissons dans la modernisation des infrastructures aéroportuaires pour aider le Maroc à faire face au doublement du trafic aérien d’ici à 2020 avec de belles réalisations telles que l’aéroport de Marrakech. Nous avons de même contribué à développer le ferroviaire en finançant le dédoublement de voie entre Marrakech et Casablanca. Le portuaire a également bénéficié de nos interventions avec, notamment, la construction du port de Nador-West qui ira impulser une nouvelle dynamique. Le transport routier n’est pas en reste puisque nous avons soutenu la réalisation d’un linéaire de 15 000 km participant au désenclavement, à plus de 80 %, des zones rurales du pays.
Enfin, et pour améliorer les conditions de vie des populations, la banque est au premier rang des bailleurs de fonds intervenant dans le secteur de l’eau et l’assainissement au Maroc avec plus de 15 millions d’habitants qui bénéficient d’un accès à une eau en quantité et qualité suffisantes.
Dans cette même perspective, l’institution soutient le programme d’appui à la protection sociale et a contribué à la mise en place de la couverture médicale, désormais élargie à plus de 12 millions de Marocains.
En droite ligne avec nos priorités, ces actions participent, comme vous le voyez, aux performances économiques et sociales affichées par le Maroc durant ces dernières années.
L’économie marocaine se montre résiliente. Comment l’expliquez-vous ?
La résilience de l’économie marocaine est la résultante de deux décennies de politiques et stratégies sectorielles ambitieuses. Mais pas seulement, des politiques macroéconomiques prudentes, des réformes structurelles qui avancent et une diversification productive qui progresse sont également les ingrédients de cette résilience.
Malgré un environnement régional et international compliqué, la croissance s’est maintenue, sur la dernière décennie, dans un intervalle de 3 à 4%. Il faut dire que les efforts de consolidation budgétaire, d’optimisation des dépenses publiques avec des recettes fiscales en nette augmentation, ont porté leur fruit pour favoriser une bonne tenue des fondamentaux macroéconomiques.
Quelles projections pour l’avenir ?
L’économie du Royaume retrouvera, à moyen terme, son sentier de croissance à 4% en 2020, même si cette dernière devrait baisser à 2,9% en 2019. L’économie du Royaume démontre sa résilience.
Vous soutenez également l’industrie avec un nouveau prêt de 268 millions de dollars pour soutenir la phase II du programme d’appui à l’accélération de l’industrie au Maroc (PAAIM II). Quels sont ses objectifs concrets ?
Le PAAIM II est la seconde phase d’un appui budgétaire qui soutient la réalisation du Plan d’accélération industrielle 2014-2020. Dans le cadre de cette vision sectorielle, il est notamment prévu de lancer 5 écosystèmes industriels dans les domaines du naval, de la plasturgie, des énergies renouvelables, du matériel électrique et électronique et des câbles électriques et électroniques. Des secteurs d’avenir.
Revenons aux priorités du PAAIM. Il s’agit non seulement de déployer des écosystèmes industriels mais également de contribuer à l’amélioration de la compétitivité des opérateurs. De même, il est question d’assurer le financement d’activités économiques industrielles structurantes. Le PAAIM II appuie également la déclinaison des réformes, notamment en termes de financement d’infrastructures, afin de favoriser la compétitivité logistique du pays.
Le PAIIM II permettra véritablement de consolider les acquis. Il s’agit d’une étape décisive pour réussir l’industrialisation du Maroc portant le financement global de la banque à ce programme à plus de 430 millions d’euros, depuis 2017.
Enfin, ce programme favorisera le développement de nouveaux écosystèmes intégrés, portant à 60% le niveau d’intégration industrielle – ce qui est important-, et contribuera à faciliter l’accès au foncier industriel à des prix compétitifs. Un projet qui renforcera in fine l’intégration du Maroc dans les chaînes de valeur africaines et mondiales.
Dans cette même perspective, vous soutenez l’industrie du pays en ayant rejoint le tour de table pour le financement de la nouvelle cimenterie Tekcim. Pouvez-vous nous en parler un peu plus ?
Nous venons en effet d’accorder un prêt de 45 millions de dollars en vue de construire votre nouvelle cimenterie «Tekcim».
Il s’agit là d’un projet structurant qui contribuera à l’accélération industrielle du Maroc mais également au renforcement de ses liens économiques forts avec le continent.
Rappelons l’objectif stratégique de notre partenariat avec la CGEM : contribuer à répondre à la demande croissante en ciment pour satisfaire les besoins grandissants en logements et en infrastructures au Maroc et en Afrique subsaharienne.
Plus concrètement, il sera question de lancer un chantier majeur : la conception, la réalisation et le déploiement d’une cimenterie dotée d’une capacité de production importante : 1,11 Mt/an de clinker et de 1,4 Mt/an de ciment.
Idéalement positionnée sur le site d’Ould Ghanem à El Jadida, cette nouvelle unité intégrée pourra, à travers le réseau des infrastructures de transports, facilement desservir le marché local et, au-delà, les marchés régionaux de l’Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Niger, etc.).
Pourquoi avons-nous décidé de vous suivre dans cette aventure ? Parce que nos priorités se croisent et nos visions convergent sur ce projet. A travers cette opération, nous contribuerons à consolider la dynamique d’industrialisation africaine et renforcer le processus d’intégration. Le tout au bénéfice du Maroc et des Marocains, et au-delà de l’Afrique et des Africains!
De même, je souhaite rappeler que cette opération est en parfaite adéquation avec les objectifs du Plan d’accélération industrielle du Maroc en matière de développement des chaînes de valeur. Elle participe également, comme le décline cette vision sectorielle, à la consolidation des relations, au niveau national, entre les grands opérateurs privés et les petites et moyennes entreprises. Ce qui est, vous le savez, éminemment important pour les investisseurs marocains.
Et pour le secteur privé, pourriez-vous nous exposer les objectifs du partenariat avec la CGEM ?
En effet, nous venons de signer avec la CGEM un accord de don de 560 000 dollars. Par le biais de ce partenariat – premier du genre sur le continent -, nous unissons nos efforts avec le patronat marocain pour renforcer la contribution du secteur privé dans la dynamique d’intégration africaine du Royaume.
Que voulons-nous faire ensemble ? Accompagner activement les entreprises marocaines qui veulent se développer en Afrique.
Comment allons-nous le faire? En développant une cartographie des échanges économiques et commerciaux intra-africains pour ouvrir de nouvelles perspectives d’investissement et d’import-export aux investisseurs marocains. Sur un autre plan, nous appuierons également l’organisation, début 2020, d’un forum international dédié à la petite et moyenne entreprise.
On le voit, le rôle du secteur privé marocain dans le processus d’intégration africaine est majeur. Je souhaite ici saluer la performance du Maroc qui figure parmi les premiers investisseurs africains sur le continent. Sur la période 2013-2017, environ 80% des investissements directs étrangers du Royaume sont orientés vers l’Afrique pour une valeur globale de près de 3,7 milliards de dollars.
Nous nous félicitions de ce partenariat novateur qui favorisera encore plus d’échanges et d’investissements marocains sur le continent.
Le 12 août 2019
Source web Par la vieeco
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