Quand les élèves architectes veulent sauvegarder le patrimoine marocain…
Depuis qu’il a été nommé directeur de l’Ecole nationale d’architecture de Marrakech, Abdelghani Tayyibi n'a qu'une obsession: former des architectes capables, notamment, de sauvegarder le patrimoine inestimable du Maroc et de la ville ocre en particulier.
Abdelghani Tayyibi est un passionné. Diplômé de l’Ecole d’architecture de Rabat, la seule école marocaine à l’époque, il est également référent de la chaire Unesco sur le matériau terre, les cultures constructives et le développement durable au Maroc. En 2012, il se voit confier le soin de monter à Marrakech une annexe de l’école de Rabat qui, depuis 2015, est devenue un établissement d’enseignement supérieur à part entière. Abdelghani Tayyibi en a pris la direction en décembre dernier. C'est un parcours sans faute pour ce défenseur acharné du patrimoine…
Ci-dessous, un entretien avec Abdelghani Tayyibi (au centre sur la photo, en compagnie de Driss Meroune, à droite, ministre de l'Urbanisme et de l'aménagement du territoire).
-Médias24: quelle vision avez-vous pour l’Ecole d’architecture de Marrakech et quels sont vos grands projets?
-Abdelghani Tayyibi: Une vision nationale globale s’impose, à l’occasion de la création d’écoles nationales d’architecture, parce que former et construire sont des actes contextuels essentiels.
L’architecture est au centre des préoccupations “existentielles“ de la majorité de la population et nécessite l’intégration de multiples champs de connaissances, indispensables à l’élaboration de projets.
Les changements technologiques et l’environnement économique exercent une pression au Maroc, comme dans le monde entier et poussent vers des systèmes de standardisation, sans réflexion sur leur implication sociale.
J’ai une conviction, c’est que la culture est indissociable de l’architecture. Or, curieusement, c’est un domaine qui manque sensiblement dans la formation des architectes.
Ma démarche est donc de rendre à l’architecture un champ de vision culturelle profond. La dimension culturelle manque souvent à l’exercice de l’architecture et l’ampute de sa capacité à se projeter dans l’avenir d’une manière créative, en gardant la mémoire des lieux et des hommes. La tutelle du ministère de l’Urbanisme et de l’aménagement du territoire confère à l’établissement une vocation civique et d’engagement, en particulier dans la culture urbaine.
La deuxième chose à laquelle je tiens, c’est l’ancrage de l’école dans la ville, avec son référentiel architectural. Marrakech possède en effet un patrimoine riche et diversifié, mais aussi une forte capacité d’adaptation et d’ouverture.
Ces caractéristiques portent Marrakech au rang des global cities et confortent par ailleurs son inscription sur la liste mondiale du patrimoine de l’Unesco. La médina de Marrakech est décrite par le texte de son classement comme étant “l’exemple achevé d’une grande capitale islamique de l’Occident méditerranéen“.
Sa partie historique est restée authentique, malgré la forte pression démographique, économique et urbaine, d’où la vocation de Marrakech pour un enseignement de l‘architecture, qui va être lié précisément aux domaines des cultures constructives et du patrimoine.
Je propose, dans mon projet, de conforter cette vocation et de la porter vers un établissement d’excellence.
Ma troisième ligne de réflexion, c’est le renouvellement de l’enseignement de l’architecture, qui doit passer par une efficacité énergétique, par un développement éco-responsable, par la mise en œuvre d’énergies renouvelables. Pour moi, il est naturel de ne pas négliger ce point.
-On vous connaît comme un ardent défenseur du patrimoine. Mais ne serait-il pas plus simple et en tout cas plus économique, dans beaucoup de cas, de raser et de reconstruire?
-Il me semble que dans certains cas, vous avez raison! Le patrimoine est notre bien commun, mais il faut toujours être logique, scientifique et estimer la valeur réelle d’un bien, au-delà de son côté matériel.
Le bien patrimonial a une valeur historique, qu’il importe d’évaluer et de préserver. Souvent, il est du devoir de l’architecte de réhabiliter les techniques de construction, de les adapter, de les renouveler et de trouver les matériaux et les intelligences d’époque.
On peut donc restaurer et reconstruire, sans conserver aveuglément et systématiquement des murs non originels et/ou en mauvais état!
-La médina de Marrakech fait partie du patrimoine de la ville. Tous les spécialistes s’accordent sur le fait qu’elle est en mauvais état. Concrètement, pour vous, que faut-il faire?
-La ville historique bénéficie d’une volonté réelle de la part des responsables régionaux et nationaux concernés, mais également d’une dynamique de la société civile. Et pourtant, quand on est dans la médina, on se rend bien compte que le danger est imminent. D’où l’intérêt des structures qui fédèrent les initiatives et les projets.
Quant à l’Ecole nationale d’architecture de Marrakech, dont on parlait depuis très longtemps et que le ministre de l’Urbanisme et de l’aménagement du territoire a eu le courage de mettre en place, elle aura un rôle certain dans cette dynamique.
-Parmi les premières décisions que vous avez prises en tant que directeur de l’école, il ya le lancement de stages d’été, qui vont s’étaler de mi-avril à fin octobre…
-Ce sont des chantiers en cours de mise en place, en partenariat avec les institutions et acteurs locaux et qui impliquent la société civile.
Ils vont être lancés avec le concours de l’association El Mounya de Marrakech, pour revivifier et préserver le patrimoine. La nouveauté de cette action est d’associer le réseau Rempart, qui fédère près de 200 associations françaises et autres et qui mène des chantiers un peu partout dans le monde, en Chine, aux Etats-Unis, en Russie, en Italie ou en Tunisie.
-Concrètement, que va-t-il se passer à partir de mi-avril ?
-On travaillera en plusieurs étapes, avec la Délégation de la culture à Marrakech.
Mi-avril, on va commencer à identifier les sites où nous pouvons déclencher nos chantiers.
Mi-mai, dans un deuxième temps, nous allons organiser une semaine intensive de rencontres, avec des personnalités venant d’horizons divers, telles que Bruno Queysanne, philosophe ou des partenaires de la société allemande IPRO-Consult, qui travaille en étroite collaboration avec le ministère allemand de la Culture. Mais aussi avec des partenaires comme la GIZ, le ministère de l’Artisanat ou l’université Cadi Ayyad. C’est le moment où nous allons motiver les architectes et les étudiants sur les projets.
Troisième étape: nous allons envoyer une cinquantaine d’étudiants, sur les 70 que compte actuellement l’école, dans diverses associations en Europe. Objectif: qu’ils découvrent les métiers de la restauration, ainsi que les bonnes pratiques de l’ingénierie moderne dans ce secteur.
Enfin, dernière phase: nous souhaitons avec nos partenaires, mettre en place un premier chantier. C’est prévu pour juste après le mois de ramadan.
L’idée est bien sûr de renouveler cette opération tous les ans et d’installer rapidement une trentaine de chantiers à Marrakech, mais aussi à Safi, Essaouira et d’autres sites patrimoniaux de notre région.
-Et vous voulez faire tout ce travail en respectant scrupuleusement les règles des anciens…
-Avec la chaire Unesco Architecture de terre, cultures constructives et développement durable, aujourd’hui installée à Marrakech, nous allons œuvrer à promouvoir dans de larges secteurs de la société les savoir-faire et techniques relatives à la construction éco-responsable.
-Vous parliez d’énergie durable et de respect de l’environnement: pensez-vous que les techniques traditionnelles peuvent, sur ce plan là également, concurrencer les techniques plus modernes?
-Oui! On y gagne sur plusieurs points et pas seulement au niveau de l’environnement. Il a été prouvé scientifiquement que les matériaux locaux, les techniques constructives traditionnelles, ont des intelligences intrinsèques efficaces contre les risques des aléas naturels par exemple.
-Vous pensez donc que les architectes d’il y a un siècle ou deux étaient des précurseurs?
-Absolument. Les médinas sont très modernes. Il y a par exemple des procédés d’architecture dans les riads ou les kasbahs, qui ont inspiré des architectes d’aujourd’hui.
Une étude récente sur les risques parasismiques au Maroc, réalisée avec la collaboration de laboratoires internationaux, démontre que les ksour et les kasbahs ont développé des techniques parasismiques très économiques et très écologiques, sans ciment ni procédés d’ingénierie récente. Comme quoi le patrimoine historique est inestimable.
Par ailleurs, nous pensons que la revalorisation de notre patrimoine bâti répond à souhait aux objectifs de la COP22: il suffit d’une démarche mettant en avant la crédibilité de telles constructions.
Le 06 Avril 2016
SOURCE WEB Par Médias 24
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