#Maroc_populations_rurales: Reprise lente, sécheresse... Les populations rurales empêtrées dans leurs difficultés
Le sociologue Mohamed Mahdi, rodé sur les problématiques de la ruralité, explique que les difficultés des populations rurales liées à la crise sanitaire et la sécheresse n’ont pas disparu avec le déconfinement. La restriction des déplacements et le lent redémarrage économique dans les grandes villes, notamment à Casablanca, ont un lourd impact sur leurs revenus.
Dans les régions rurales, le déconfinement n’a pas été synonyme d’un retour à la normale. ''Les difficultés auxquelles font face les populations n’ont fait que s’amoindrir'', nous dit le sociologue Mohamed Mahdi, spécialiste de la sociologie rurale. Comprendre : elles ont certes diminué depuis la levée des restrictions en vigueur pendant le confinement, mais n’ont pas disparu pour autant.
Dans la ville d’Imlil par exemple, non loin de laquelle se situe le Parc national de Toubkal, l’un des fiefs de l’écotourisme dans la région de Marrakech, le Covid a des effets néfastes sur l’activité touristique de la population, en dépit du déconfinement. La mobilité des Marocains et des étrangers est toujours restreinte, voire interdite par les mesures d’urgence sanitaire. ''C’est bien simple : plus de touristes, plus de recettes. Toutes les régions qui vivent traditionnellement de l’activité touristique rurale sont actuellement dans une situation désastreuse parce qu’il n’y a plus rien ; il n’y a plus de touristes. On parle beaucoup des grands hôtels, de l’industrie touristique et hôtelière classique, à Marrakech ou Agadir, mais on ne parle pas des régions rurales où, par exemple, les employés, souvent des temporaires, n’ont pas les mêmes possibilités d’accès aux aides allouées par la CNSS'', observe Mohamed Mahdi.
Le tourisme rural fait vivre des familles entières, en plus de l’agriculture. Or, même les activités agricoles, déjà mises à mal par la sécheresse, ont été drastiquement réduites. Les populations ont pourtant plus d’une corde à leur arc, explique encore ce sociologue fin connaisseur des problématiques de la ruralité. La production agricole n’est pas leur seule source de revenus ; elles sont pluriactives. ''Elles travaillent par exemple sur des petits chantiers de temps à autre… Elles ont recours à tout un tas de petites activités pour essayer de diversifier leurs sources de revenus'', précise Mohamed Mahdi.
Le déconfinement n’est pas synonyme de libre circulation
Mais voilà, le Covid a limité toutes les possibilités d’exercer des activités non agricoles. Au moment du déconfinement, les hommes (principalement) qui ont repris le chemin des grandes villes pour tenter de reprendre les boulots qu’ils avaient subitement délaissés lors de l’annonce du confinement, se sont heurtés à la lenteur du redémarrage économique, notamment à Casablanca.
C’est justement ce qu’explique Mohamed Mahdi : ''Les gens se sont repliés au moment du confinement, et tout le monde est désormais retourné là où il se trouvait avant le confinement. Mais le sort d’un maçon qui retourne à Casablanca reste suspendu à la reprise, ou pas, de l’activité de l’entreprise du bâtiment où il travaille. Il faut considérer tout cela dans une relation de cause à effet : s’il n’y a plus de possibilités de travailler, les gens vont forcément avoir des difficultés. Si une personne originaire d’une campagne ne peut plus trouver de travail en ville, cela va se répercuter sur sa famille restée au bled. Les ruraux ne vont pas s’installer en ville avec toute la famille ; la vie y est trop chère. Ce n’est donc pas parce que les gens ne sont plus confinés qu’ils ont toute la liberté d’aller où ils veulent. Les difficultés vont se poursuivre tant que l’économie, de façon générale, n’aura pas repris.''
Même la période de l’Aïd-el-Kébir, cruciale pour les éleveurs, n’a pas permis de pallier ces difficultés financières. Mohamed Mahdi s’est entretenu à plusieurs reprises avec des éleveurs nomades de l’Oriental : ''Chez eux, l’élevage a connu beaucoup de difficultés cette année. Lors des périodes de sécheresse, logiquement, il n’y a pas d’herbe. Les éleveurs se rabattent sur l’achat d’aliments qui coûtent chers et que l’État ne subventionne pas massivement. Conséquence : le cheptel est mal nourri, il ne prend pas de poids et se vend mal, très mal ; il ne rapporte pas. Durant l’Aïd el-Kébir, les prix ont connu une baisse de 50%. C’est pourtant une période stratégique pour les éleveurs : elle leur permet d’écouler leur production à des prix intéressants et surtout de thésauriser'', c’est-à-dire d’amasser de l’argent en guise de bas de laine.
Or cette année, ils ont vendu, certes, mais n’ont pas gagné d’argent. Alors que démarre l’année agricole, les agriculteurs et les éleveurs ont plus que jamais besoin d’argent, notamment pour faire face aux dépenses des labours, des semences… ''Et cette pluie qui tarde toujours à tomber n’arrange pas leur situation.''
Capacité de résilience
Alors comment font-elles, ces familles qui peuvent difficilement compter sur un père, un fils, un époux ou un frère qui peine à leur envoyer suffisamment d’argent depuis Casablanca, Rabat, Marrakech, Agadir ? Quelles alternatives leur reste-t-il ? Celles de la solidarité familiale et du voisinage. Les paysans s’appuient sur les familles, les voisins. Ils activent leurs réseaux de solidarité, si précieux en temps de crise.
''Dans certaines régions, les populations recourent au crédit pour l’alimentaire, chez les épiciers par exemple, en attendant des jours meilleurs. Lorsque l’année est mauvaise, les agriculteurs ne génèrent pas des productions suffisamment importantes pour finir l’année. Cette année, ce qui a sauvé aussi, ce sont les subventions de l’État qui ont permis, un tant soit peu, d’amortir le choc.''
Le tissu associatif a également beaucoup aidé. Le rôle de la diaspora marocaine, aussi bien celle de l’extérieur que de l’intérieur du Maroc, reste très important pour la survie de ces populations, que ce soit pour assurer le coût financier d’une opération chirurgicale qui ne peut attendre, ou la construction d’une maison pour reloger une famille dont l’habitation en terre menace de s’effondrer.
Le mot clé, pour Mohamed Mahdi, c’est donc la communauté : ''Ces gens vivent dans une communauté, c’est-à-dire tous ces liens familiaux, ces liens d’amitié sur lesquels ils peuvent compter. Il y a bien de l’individualisme, mais il y a toujours les liens de sang, la parenté, l’histoire commune qui fait que dans des périodes cruciales comme celle-ci, les gens ne peuvent se permettre de dépasser certaines limites ; ils ne peuvent se permettre de faire preuve d’individualisme. Quand quelqu’un est dans le besoin, on vole à son secours, c’est tout.''
Difficile de savoir concrètement comment ces populations tentent de joindre les deux bouts, tant la question relève de l’impudeur ; d’une indiscrétion malvenue. ''Personne ne va vous raconter exactement comment chacun fait. Ils vous disent simplement : ''On fait avec, on se débrouille.'' Ils demandent aux voisins, à la famille, à la diaspora… Vous ne pouvez pas refuser d’envoyer 400, 500 dirhams… Mais tout cela, c’est très difficile de l’écrire, de le montrer. On met tout ça sous le gros titre de la solidarité familiale. C’est trop indécent de poser la question'', dit Mohamed Mahdi. Il préfère au contraire louer les ''capacités de résilience'' des populations rurales, qu’il distingue à travers leur habilité à rebondir malgré les années de sécheresse. ''Pas dans l’immédiat, bien sûr, mais sur le long terme, elles rebondiront.'' Des crises, elles en ont vu et en verront d’autres.
Le 09/10/2020
Source Web Par Médias 24
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