Agadir Amassa : Un grenier collectif à sauvegarder !
Dans ce nouveau récit, le sociologue Mohamed Mahdi, spécialiste du monde rural, nous fait découvrir un grenier collectif qui fonctionne encore, dans le Douar d'Amassa, à 80 km de l'autoroute Agadir-Casablanca.
Sur les Igoudar (Agadir, au sing.) du Sud du Maroc tout a été dit, ou presque. Ces greniers collectifs où les paysans emmagasinaient et protégeaient leurs produits agricoles après les saisons des récoltes constituent une composante importante du patrimoine matériel et immatériel du Maroc [1].
Dans ce récit, je voudrais parler d’Agadir Amassa, un grenier parmi tant d’autres, que j’ai découvert alors que j’accompagnais une équipe de tournage d’un film sur la danse Taskiwin au cours de sa mission de repérage à Ida Ou Mahmoud. Notre hôte Brahim Baghach, président de la fédération des associations de danseurs de Taskiwin, nous a proposé de visiter le Douar d’Amassa et son Agadir. Nous ne sommes pas fait prier et nous en étions gratifiés.
Le visiteur néophyte du Douar Amassa pourrait ne pas remarquer l’existence de l’Agadir, car rien ne le distingue des habitations mitoyennes.
De l’extérieur, le grenier ne paie pas de mine, pourrait-on dire. Mais une fois la porte d’entrée franchie, le visiteur est subjugué par la beauté du lieu et tombe immanquablement sous le charme de son architecture antique. Un tableau jouissif, se décomposant en fresques à l’allure de peintures d’un monochrome jaune/ocre, capturées par les objectifs de nos appareils photos et de téléphones portables et sauvegardées dans des clichés.
Quand j’ai partagé certains de ces clichés avec mes proches, je n’ai eu comme réactions que des « Waaaw », « c’est incroyable ! », « Oh ! Une merveille » ; réactions qui expriment la fascination devant l’une des multiples beautés cachées et ignorées du « Maroc inconnu » [2].
Et pourtant, Agadir Amassa, n’est pas situé à l’autre bout du monde.
Il suffit de quitter l’autoroute Casablanca/Agadir par la sortie d’Imintanoute, continuer en direction de khémis timzgadiwin, puis Souk Imilmaiss et filer enfin tout droit vers le Douar Amassa.
Le voyageur aura parcouru 80 km, dont 6 km de piste carrossable, aménagée par la population du Douar. Le terminus de ce léger périple est une auberge, Dar Awlim, construits au fond de la vallée. De là, la piste traverse l’Assif Malal et remonte, presque à la verticale, à travers une pente abrupte, que la population s’est efforcée de daller pour la rendre praticable la saison des pluies, et conduit le visiteur au centre d’Amassa.
Le Douar est haut perché, à plus de 1.700 m d’altitude, et comme posé au bord d’une falaise surplombant le torrent, Assif Malal, où se situent les terres de culture. De nombreuses aires à battre, taillées dans le roc, tombent en cascade et où les paysans s’activent au dépiquage de l’orge. Notre passage a coïncidé avec la saison des récoltes. Cet ensemble offre un sublime paysage agraire classique de montagne où l’habitat est construit à même la roche pour gagner sur la moindre parcelle fertile et cultivable.
Au cours de notre visite du Grenier et des ruelles labyrinthiques du Douar Amassa, nous n’avions laissé passer aucune occasion pour bavarder avec les paysans et paysannes.
Nous avons alors appris que le grenier Amassa fonctionne encore. Les 106 chambrettes du grenier, Tihouna au pl., Tahanout au sing., sont encore utilisées par les 160 Takatine[3] du Douar pour entreposer les produits agricoles, fruits de leurs récoles. C’est un grenier de hauteur, selon la typologie des greniers collectifs établie par Salima Naji, construit en pierres et pisé.
L’Agadir Amassa, édifié sur un site imprenable, a résisté, tant bien que mal, aux vicissitudes du temps et continue à mener sa propre vie au prix de mille adaptations et pirouettes. Des portes sont changées dans le respect de la norme originelle, d’autres ont été enlevées, troquées et remplacées par des portes en acier. Les parties dégradées sont rafistolées, selon les moyens de bord. De nouvelles échelles sont posées à côté des anciennes échelles taillées dans des troncs d’arbre. La façade du grenier supporte un lampadaire pour l’éclairage public et porte désormais une marque de l’avancée de l’urbanisation.
Baghach évoque une archive datant de quelques siècles, qui atteste de l’ancienneté de l’Agadir et comporte un acte par lequel les habitants s’engageaient à la réhabilitation de l’Agadir en répartissant l’effort de sa reconstruction entre les quatre lignages du Douar [4]. Preuve que le grenier a une histoire de vie qui prolonge ses racines dans les profondeurs du temps, et que les pratiques conservatrices ont l’âge de tels édifices.
Le président de l’association du Douar expose les menaces qui pèsent sur la pérennité de l’Agadir : la déprédation des antiquaires qui profitent de la pauvreté des paysans pour leur extorquer les portes anciennes, la détérioration des parties de l’édifice qui menacent ruine faute d’entretien, la lassitude des paysans, porteurs de cet élément patrimonial, impuissants devant des responsabilités qui les dépassent.
Les jeunes de l’association du Douar sont conscients de la valeur de ce patrimoine et de la responsabilité de sa sauvegarde qui leur incombe mais se disent désarmés faute de formation en la matière, de moyens financiers et d’accompagnement par les pouvoirs publics.
Avec les femmes, les échanges ont porté sur les pratiques culinaires, les recettes anciennes, sujets incontournables pour une entrée en la matière et une mise en confiance. Mais très vite, la discussion a viré vers leurs problèmes et les difficultés de leur vie quotidienne : l’absence de dispensaire, de cours d’alphabétisation, de centre féminin pour apprendre la couture, le tricot, etc., des femmes qui étonnent, surtout, par leur désir d’apprendre.
Ce patrimoine bâti réveille une inexplicable sensibilité enfouie au tréfonds de notre être. Pourquoi ce qui est antique, passé, fascine et rend même serein, quand le présent tourmente et le futur inquiète ?
Le grenier collectif Amassa fonctionne encore. Une aubaine pour l’architecte, l’anthropologue et le visiteur mais devrait l’être davantage pour ses détenteurs, la population du Douar.
Le grenier est une ressource territoriale à forte valeur d’authenticité et de spécificité qui l’habilite à servir comme l’un des vecteurs de développement du Douar. Ce patrimoine bâti est enchâssé dans un système économique et social et consolidé par un genre de vie qui a, certes, du mal à s’adapter aux poussées de la modernité et de la mondialisation rampante.
Paradoxalement, c’est ce qui fait son intérêt et son originalité, et appelle des actions appropriées pour sa sauvegarde. Si bien que la pertinence de toute action de sauvegarde de ce grenier, et des greniers du Maroc de façon générale, sera tributaire de la sauvegarde du système d’ensemble dans lequel ils s’insèrent et qui leur donne vie.
Le département ministériel de la culture s’est mis, depuis un moment déjà, au chevet des greniers collectifs du Maroc, dressant leur inventaire, restaurant un certain nombre d’entre eux, procédant à leur classement et inscription comme patrimoine national et dernièrement en lançant le projet de leur classement comme patrimoine universel dans le cadre de la convention de 1972 pour la protection du patrimoine mondial, culture et naturel, de l’UNESCO.
Le concours et la convergence des actions des autres départements ministériels, celui de l’agriculture tout particulièrement, en charge du développement rural et du programme du lutte contre les inégalités territoriales, inscrira de tels projets dans une approche de développement territorial et leur évitera le risque de se cloisonner dans une approche muséologique, qui sauvegarderait sans doute la bâti mais sacrifierait, à la longue, des populations rurales, des genres de vie, des paysages agraires. La sauvegarde de ce patrimoine indépendamment d’un développement humain, agricole et rural, parallèle, serait bancale.
[1] Voir le magistral beau livre de Salima Naji, « Greniers collectifs de l’Atlas – Patrimoines du Sud marocain » – Éditions Édisud
[2] Auguste Mouliéras, 1895. « Le Maroc inconnu ». Explorateur français qui a parcouru le Maroc entre 1872 et 1893
[3] Takat littéralement feu ou foyer, c’est une famille.
[4] La répartition des travaux collectifs entre les membres de la Jmaa’a du Douar est une pratique courante aussi bien pour curer les séguia, réaménager les bassins d’accumulation d’eau ou construire une piste rurale …
Le 10 juillet 2021
Source web Par : medias24
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