«Les zones montagneuses sont les parents pauvres du développement au Maroc»

Selon le coordinateur national de la Coalition civile pour la montagne, ces régions souffrent de l’absence de vision et de politiques publiques intégrées. Le collectif associatif plaide pour une meilleure convergence des interventions de l’Etat, une loi dédiée à la préservation et au développement des zones montagneuses ainsi que la création d’un organe gouvernemental.
Les récents événements dramatiques (inondations et crues) qui ont secoué des zones montagneuses à Taroudant et au Haouz ont mis à nu les vulnérabilités de ces territoires. Déficit en termes d’infrastructures, difficultés d’accès aux services publics, pauvreté, précarité, enclavement, règne de l’informel et de l’anarchie… sont autant de maux qui s’accentuent dans les zones montagneuses, lesquelles forment pas moins de 25% du territoire du Royaume. Dans cette interview accordée à La Vie éco, Mohammed Dich, coordinateur national de la Coalition civile pour la montagne (CCM), revient en détail sur les raisons de cet état de fait. Le représentant de ce collectif associatif égrène quelques pistes pour rattraper les disparités territoriales dont pâtissent les zones montagneuses et optimiser l’action de l’Etat et des collectivités dans ces territoires vulnérables.
Pouvez-vous nous présenter la Coalition civile pour la montagne ?
Composée de 120 associations, la Coalition civile pour la montagne a été créée en 2015 dans le contexte d’une forte dynamique associative dans les zones montagneuses. En effet, ce fut l’aboutissement d’une campagne de plaidoyer menée par l’Association Al Hadaf de Boulmane dans les quatre zones de montagne (Rif, Grand-Atlas, Moyen-Atlas et Anti-Atlas) et étalée sur deux ans.
Il faut dire que la thématique sur laquelle nous travaillons n’a jamais été prioritaire pour les pouvoirs publics et les partis politiques dans le centre. Il a fallu beaucoup de temps pour sensibiliser ces parties prenantes et débattre avec elle de la nécessité d’appréhender les zones montagneuses comme des zones uniques aux besoins et aux problématiques spécifiques. A ce sujet, il faut noter qu’il y a une grande différence entre les zones rurales et les zones montagneuses. En gros, l’objectif derrière la création de la coalition était de garantir la permanence du plaidoyer en faveur de ces zones et offrir un cadre idoine pour le faire.
Depuis sa création, nous avons travaillé sur un projet de plaidoyer intitulé «Justice et équité pour la montagne». Dans son volet politique, nous avons produit un mémorandum à l’adresse du gouvernement afin de réclamer une politique publique intégrée dédiée exclusivement à la montagne. Quant à l’aspect légal, nous avons plaidé auprès du Parlement la conception d’un cadre légal pour la préservation et le développement des zones montagneuses, à l’image de plusieurs pays dont la France, la Suisse et des pays de l’Amérique latine. Nous avons également collaboré avec le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans son étude sur le développement rural dans les zones montagneuses et dont le diagnostic et les recommandations sont toujours d’actualité.
Qu’est-ce qui fait que les zones montagneuses diffèrent des autres zones rurales ?
Avant de détailler ce point, j’aimerais souligner que notre credo est la justice spatiale et territoriale. A partir de ce principe, il faudra bien évidemment appréhender les espaces géographiques et territoriaux en maîtrisant leurs spécificités respectives, leurs forces et leurs faiblesses. En effet, les villes, bien qu’elles appartiennent toutes à l’espace urbain, ont chacune des spécificités propres. C’est le cas aussi pour les zones rurales. Un village dans la périphérie de Casablanca n’a pas les mêmes besoins qu’un village niché dans un massif montagneux dans la province d’Azilal. Comme vous le savez, les zones de montagnes présentent des spécificités géographiques et climatiques uniques. Ajoutez à cela une très faible accessibilité aux services publics, une économie de survie malgré les potentialités ou le coût élevé d’approvisionnement de ces régions en biens et services.
En parlant de potentialités, il faut rappeler que ces zones sont riches en ressources naturelles comme l’eau, les forêts et les mines. Si l’on ne prend pas en considération ces différences, ce qui est le cas aujourd’hui, les politiques publiques visant le développement économique et social ne seront pas efficaces et efficientes. D’ailleurs, c’est la raison principale pour laquelle l’impact des investissements publics et des plans de développement exécutés depuis l’Indépendance n’ont pas amélioré significativement ses indicateurs de développement humain. Sans surenchère, les zones montagneuses sont les parents pauvres du développement.
Prenez la scolarisation ou l’accès aux soins à titre d’illustration. On sait très bien qu’il y a un gap entre l’urbain et le rural, mais figurez-vous, si l’on distingue les zones montagneuses des autres zones rurales, on trouvera que ce sont ces dernières qui plombent les performances globales du pays en la matière. Pareil pour le chômage, l’analphabétisme ou la pauvreté. Il s’agit là d’une polarisation de l’effort de développement avec des disparités criantes aussi bien au sein de l’espace urbain que dans l’espace rural.
Pourquoi, selon vous ?
D’abord, il y a un manque de volonté politique de la part des gouvernements successifs. Ceci s’explique, entre autres raisons, par la perception des zones de montagne comme étant des zones périphériques hostiles. Cette perception se fondait certes par le passé sur des événements historiques qui ont marqué le siècle dernier, mais il y a longtemps que ce contexte a changé. Sur le plan financier, on peut citer le coût plus ou moins élevé des projets de développement en zone de montagne, comparativement aux autres zones.
Quelle est votre évaluation des politiques publiques dans les zones de montagne ?
Comme l’a démontré le Conseil économique, social et environnemental dans son étude adoptée en septembre 2017, nous avons pas mal de programmes et de fonds génériques ciblant ces zones, mais, à ce jour, nous n’avons pas de politiques publiques intégrées pour la montagne. Les départements ministériels fonctionnent toujours en silos. Ceci est une problématique globale dans notre pays mais elle est encore plus accentuée dans les zones montagneuses. Prenez l’exemple d’une école. D’un côté, le ministère de l’éducation construit une école et affecte son personnel. De l’autre, celle-ci n’est souvent pas facilement accessible, ni raccordée aux réseaux d’eau et d’assainissement. Par ailleurs, les projets sont exécutés dans une logique de coût et non de résultat. Il n’y a pas d’études en amont ni de suivi. On annonce des budgets débloqués ou alloués, mais on ne s’attarde pas assez sur l’impact escompté.
En gros, nous ne réclamons pas un niveau de développement qui dépasse la moyenne nationale. Nous souhaitons uniquement qu’il y ait une mise à niveau et un effort de rattrapage.
Que propose votre coalition pour se faire ?
Il faut tout d’abord agir sur la fiscalité de façon à ce que les recettes des impôts payées par les entreprises opérant dans les zones de montagnes soient réinvesties dans leurs communes et leurs provinces. Il est également urgent de préserver et valoriser le capital immatériel. Les populations de la montagne détiennent une expertise et un savoir ancestraux dans des domaines comme la gestion de l’eau et des forêts, ou la gestion des catastrophes naturelles. Ce capital immatériel doit être préservé mais surtout enrichi par une offre de formation.
Nous proposons également la création d’un organe gouvernemental chargé du développement des zones de montagnes à l’image de ce qui a été fait pour les zones oasiennes. S’agissant du volet légal et qui est prioritaire pour nous, nous réclamons la conception et l’adoption d’une loi ayant pour but la préservation et le développement de ces zones. A ce stade, nous avons déjà présenté une vision aux groupes parlementaires. Cinq groupes de la majorité et de l’opposition ont manifesté leur intérêt pour l’introduire dans le circuit d’adoption.
De manière générale, le travail effectué par le CESE permet à toutes les parties prenantes (Etat, gouvernement, partis politiques et collectivités locales) de voir plus clair au sujet des zones montagneuses. Ce qui manque est la volonté et la vision.
Les zones de montagnes en chiffres
• 25% du territoire
• Près de 8,7 millions d’habitants
• 37,8 habitants par km2
• 27,3% de la population urbaine
• 72,7% de la population rurale
• 9 régions abritant des zones montagneuses
• 5% de contribution au PIB national
Source : CESE
Le 28 septembre 2019
Source web Par La Vie Eco
Les tags en relation
Les articles en relation

Cryptomonnaies au Maroc : vers une régulation innovante pour l'inclusion financière
Lors de l’Africa Financial Summit (AFIS) 2024 à Casablanca, la ministre de l’Économie et des Finances, Nadia Fettah, a marqué un tournant majeur en affir...

PMAF : le CESE dévoile ses recommandations pour un modèle durable
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dévoilera, le 25 mars, les conclusions de son avis sur la petite et moyenne agriculture familiale (PMA...

Sécheresse et stress hydrique : priorité au dessalement d'eau de mer
Devant la persistance du contexte de sécheresse que traverse le Maroc depuis quelques années, le dessalement d’eau de mer est aujourd’hui considéré comm...

Le Maroc, une puissance maritime en devenir
UNE POSITION GÉOGRAPHIQUE PRIVILÉGIÉE, DE GRANDES RICHESSES HALIEUTIQUES ET ÉNERGÉTIQUES, UNE INFRASTRUCTURE PORTUAIRE EN PLEIN DÉVELOPPEMENT, AVEC DES PO...

Akhannouch remet sur le devant de la scène le débat sur l’amazigh
Le président du RNI a appelé à l’accélération de l’adoption de la loi relative à cette langue officielle depuis 2011 Face au retard de l’adoption...

Retraite: une bombe à retardement à désamorcer en urgence
Alors que le titanesque chantier de la généralisation de la protection sociale vise à élargir la base des adhérents au régime des retraites à 5 millions ...
.webp)
CESE : 24 minerais stratégiques et critiques indispensables aux industries 4.0 du Maroc
Dans son avis rendu public mercredi dernier, le CESE estime que le Maroc devra définir sa propre liste de minerais stratégiques et critiques afin de concréti...

CESE : le numérique, un facilitateur de la démocratie participative
Le CESE qui a présenté, mardi à Rabat, les grandes lignes de son étude annuelle sur "Les nouvelles formes de protestation au Maroc" ainsi que les recommanda...

Mais que veulent-ils ?
Dès le début il fallait répondre aux revendications légitimes, celles qui sont réalisables. Tout en rappelant que force doit rester à la loi. Ce discours ...

Modernisation au Maroc : Moudawana, Imsouane et Fiscalité
1. Révision de la Moudawana : Un Débat Essentiel pour l’Évolution du Maroc La révision de la Moudawana (Code du statut personnel) suscite des discussio...

#MAROC_CESE_PREMIERS_RAPPORTS: Le CESE fait ses propositions pour la relance et la résilience
Sur la terrasse d’un café à Rabat : Les exigences de vivre avec la Covid-19 entre les impératifs de l’urgence et la nécessité d’adaptation (Photo AFP...

CESE : grande insatisfaction de l’état d’aménagement et d’urbanisation du littoral
La grande majorité des participants à un sondage du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sont insatisfaits de l’état d’aménagement et d...