Maroc : La Banque mondiale s’inquiète d’une forte présence des nitrates dans l’eau potable

Ce composé poly atomique, responsable de la pollution des eaux, affecte surtout les nourrissons en raison de l’immaturité de leur système digestif. Au Maroc, la situation est connue depuis longtemps.
C’est une réalité imperceptible à l’œil nu, insaisissable pour quiconque n’est pas expert en la matière, mais dont les enjeux sont colossaux. La Banque mondiale consacre son dernier rapport, publié mardi 20 août, à la qualité de l’eau. Elle y souligne l’importance d’accorder une «attention urgente aux dangers cachés sous la surface de l’eau», alors que les préoccupations ont jusqu’à présent porté sur la quantité d’eau – trop en cas d’inondations et trop peu en cas de sècheresse.
Intitulé «Qualité inconnue : l’invisible crise de l’eau», le rapport indique que les pays en développement n’ont pas le monopole des problèmes liés à la qualité de l’eau, attirant l’attention sur leur caractère «universel». L'occasion de citer plusieurs facteurs à l’origine de cette crise, comme l’intensification de l’agriculture, les changements d’affectation des sols, les régimes pluviométriques plus variables dus au changement climatique ou encore l’industrialisation croissante due au développement des pays. «Cela se traduit par une hausse de la prolifération d’algues dans l’eau, qui sont mortelles pour l’homme et les écosystèmes.»
Le nitrate, l’un des principaux polluants de l’eau
La Banque mondiale s’inquiète notamment de la pollution croissante de l’eau par les nitrates. «Le nitrate (NO3-) est un ion produit au cours du cycle de l’azote, particulièrement soluble dans l’eau et responsable d’une pollution des eaux», explique Le Figaro. Objet de nombreuses utilisations industrielles, le nitrate n’est en lui-même pas toxique. «C’est la transformation des nitrates en nitrites qui peut, potentiellement, avoir un impact négatif sur la santé», complète le Centre d’information sur l’eau sur son site. La présence de ces nitrites dans le sang peut former des «méthémoglobines», une forme d’hémoglobine qui empêche le transport de l’oxygène. «On sait depuis longtemps que l’ingestion de nitrates et de nitrites peut tuer les nourrissons», rappelle la Banque mondiale, leur système digestif n’ayant pas la maturité nécessaire pour retransformer la méthémoglobine en hémoglobine.
D’après le rapport, le Maroc fait partie des pays où «les nitrates dans l’eau potable dépassent souvent les seuils de sécurité conventionnels, non seulement en raison de fortes concentrations dans les eaux de surface, mais aussi en raison de la contamination des eaux souterraines», aux côtés de l’Inde, du Japon, du Liban, du Niger, du Nigéria, du Pakistan, des Philippines, du Sénégal, de la Turquie et de Gaza.
Un constat qui n’étonne guère Abderrahim Ksiri, président de l’Association des enseignants des sciences de la vie et de la terre (AESVT). «Cette situation alarmante est connue depuis longtemps», nous dit-il. «Rien qu’au niveau de la région Casablanca-Settat, 80% des nappes phréatiques, qui peuvent s’étendre jusqu’à 3 000 km², sont très polluées. Il y a deux raisons à ça : la pollution due aux rejets industriels et celle provoquée par les nitrates contenus dans les engrais», ajoute-t-il.
Le président de l’AESVT fustige les quantités d’engrais utilisées sur les surfaces agricoles – l’agriculture étant extrêmement gourmande en eau. «Cette situation alarmante n’a cessé d’augmenter et de polluer l’eau», gronde Abderrahim Ksiri.
Preuve que ces observations ne datent pas d’hier : en 2014, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) indiquait dans un rapport sur la gestion de l’eau que «l’existence de situations de surexploitation des RE (ressources en eau, ndlr) dans des sous-secteurs précis comme celui de l’agriculture irriguée, conjuguée à l’usage parfois déraisonnable d’engrais et de pesticides, altèrent la qualité des nappes et menacent leur durabilité. Cette situation engendre de graves conséquences sur la santé publique, la biodiversité, l’environnement, et notamment sur les ressources en eau du pays, aussi bien en quantité qu’en qualité».
En cause notamment, «le retard excessif de l’assainissement liquide (notamment en milieu rural) et solide ; le dysfonctionnement de plusieurs stations d’épuration ; la quasi-absence de contrôle des rejets polluants ; l’usage non contrôlé des engrais chimiques et des pesticides en agriculture ; l’absence de périmètres de protection (rapprochée et éloignée) autour des captages d’eau potable».
Quand l’eau diminue, la concentration de nitrate augmente
La problématique liée à la qualité de l’eau se pose surtout dans le monde rural, où une partie de la population utilise l’eau de pluie et des sources, «celle-là même qui est polluée», faute d’avoir accès à une eau potable. Le responsable associatif soulève également deux autres volets : la pollution des aliments et la raréfaction de l’eau. «Le taux d’utilisation des pesticides et des engrais est trop élevé, ce qui impact directement la sécurité alimentaire et hydrique. Il faut dire aussi que l’eau se raréfie au Maroc, rendant difficile l’accès à une eau de qualité. Or plus la quantité d’eau diminue, plus la concentration de nitrate augmente», alerte encore l’enseignant. Dans l’édition 2017 de son rapport annuel, le CESE indiquait en effet que «le Maroc a déjà connu une baisse importante du potentiel d’eau par habitant, passant de près de 2 560 m3/hab dans les années 1960 à environ 700 m3/hab actuellement».
Abderrahim Ksiri estime que peu de progrès ont été réalisés au Maroc pour la qualité et l’assainissement de l’eau, la réduction des pesticides et des engrais et la lutte contre la pollution industrielle. Difficile de ne pas abonder dans son sens, au vu des 16 années d’inactivité du Conseil supérieur de l’eau et du climat (CSEC) et d’un Plan national de l’eau qui se fait toujours attendre, lequel devrait toutefois être prêt d’ici un an.
Signe que la problématique urge : les perturbations d’approvisionnement en eau potable pourraient constituer un facteur d’instabilité sociale dans plusieurs régions marocaines (Zagora, Ouazzane-Chefchaouen, Azilal, Sefrou), alertait le CESE en 2017, rappelant que des habitants ont plusieurs fois battu le pavé pour revendiquer leur droit d’accès à l’eau potable et se plaindre d’une mauvaise répartition de l’eau.
Le 23 août 2019
Source web Par yabiladi
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