Rahma Bourqia : «Une bonne école est une affaire de développement»
Entretien avec Rahma Bourqia, sociologue et directrice de l’Instance nationale d’évaluation auprès du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS)
Rahma Bourqia a récemment publié, aux éditions La Croisée des chemins, un livre intitulé «Penser l’école, penser la société». Une publication qui révèle davantage les maux de l’école marocaine et qui formule des recommandations pour que cette structure accomplisse les missions qui lui sont dévolues. L’auteure parle également, de son apport pour le CSEFRS et de la féminisation de certaines institutions à l’instar de l’Académie du Royaume.
ALM : Pourquoi associer la société à la réflexion autour de l’école ?
Rahma Bourqia : Parce que l’école est au cœur de la société, elle est impactée par son niveau de développement. L’école n’est pas une institution isolée qui fonctionne en dehors de la société. Celle-ci se manifeste à travers la place qu’occupe l’éducation dans les politiques publiques, dans leur mise en œuvre et dans la place accordée à l’investissement dans le capital humain. L’école produit une richesse particulière, sans elle aucune richesse économique n’est possible. Aujourd’hui, le lien entre l’éducation et le développement humain ainsi que la croissance économique est attesté et prouvé. Les études montrent également que dans un système de mondialisation qui a un effet sur toutes les sociétés, l’avenir sera du côté des pays qui ont investi dans le capital humain. La société s’introduit également au sein de l’école. Les enquêtes internationales et nationales sur les acquis des élèves montrent que le niveau socioculturel des parents des élèves impacte leurs scores dans les tests. Les élèves dont les parents sont analphabètes ont des scores faibles. La conclusion qu’on en tire est que le faible niveau des élèves est dû également à la pauvreté et aux inégalités sociales qui impactent négativement le rendement de l’école. Une bonne école est une affaire de développement. En affirmant cela, il ne faudrait pas non plus déresponsabiliser l’école elle-même qui doit, dans un pays en développement, doubler les efforts au niveau de l’environnement de l’école, des pratiques pédagogiques et de l’implication plus soutenue des responsables, des acteurs pédagogiques, des collectivités locales et des parents. C’est pour cette raison que toute réforme souhaitée pour cette école nécessite un concours de toutes les parties prenantes et une mobilisation de la société.
Vous véhiculez dans votre œuvre des idées partagées par le CSEFRS. Seriez-vous inspirante pour cette institution?
Je n’ai pas cette prétention surtout dans le domaine de l’éducation qui a besoin de mobiliser l’intelligence collective. Je contribue parmi d’autres et j’essaie d’apporter un peu de mon expérience au profit d’un travail qui doit fonder collectivement l’école de l’équité et la qualité ; une école qui va projeter notre pays dans l’avenir.
Quelle serait la valeur ajoutée de votre publication par rapport aux recommandations du Conseil autour de l’école ?
Multiplier les écrits sur l’éducation ne pourrait qu’affiner les diagnostics, susciter des réflexions et mieux nous guider pour entrevoir les perspectives de notre éducation. Il est vrai que le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique a des missions qui sont définies par la loi. Dans cet ouvrage, je livre quelques idées que je porte sur l’éducation en tant que sociologue. La sociologie (enseignement et recherche) est la discipline de mon métier de base. Mais ma fonction actuelle est celle de diriger l’Instance nationale d’évaluation auprès du Conseil dans laquelle je dois veiller à assurer la réalisation d’une mission du Conseil : à savoir l’évaluation. Il faudrait parfois prendre du recul pour penser notre objet de travail. Dans mon cas c’est celui de l’éducation. Contribuer au savoir et la connaissance est toujours en soi une valeur ajoutée.
Il semble que vous êtes la seule femme membre du Conseil supérieur de l’éducation. Pourquoi le sexe féminin est absent dans de telles institutions stratégiques ?
Je remarque parfois qu’on m’attribue d’être membre du Conseil. Je ne suis pas membre du Conseil, je dirige l’Instance nationale d’évaluation qui est un organe auprès du Conseil en charge de la mission d’évaluation du système d’éducation, de formation et de la recherche scientifique. Concernant les membres du Conseil, il y a une représentation importante de femmes.
Vous êtes également la seule femme membre de l’Académie du Royaume. Comment expliquez-vous l’inexistence du sexe féminin dans une institution censée opter pour des compétences sans tenir compte de leur sexe ?
Comme vous le savez certainement, lorsqu’on examine les statistiques, depuis l’indépendance, les femmes ont fait une avancée notoire dans tous les domaines, il y a même des domaines qui se féminisent de plus en plus. Néanmoins, les effectifs des femmes dans les postes de responsabilité illustrent un constat qui dit qu’on est encore loin de la parité. Par le passé, l’Académie n’a pas échappé à cette tendance. Mais il faudrait savoir qu’elle a connu une certaine léthargie pendant quelques années. Aujourd’hui, grâce à son leadership actuel, Abdeljalil Lahjomri, nommé par Sa Majesté il y a deux ans à la tête de l’Académie, a une volonté de la redynamiser et lui accorder la place qu’elle doit avoir dans un Maroc de la culture. Je suis sûre qu’on verra d’autres femmes académiciennes rejoindre l’Académie.
Quelles seraient vos affinités avec le mouvement féministe au Maroc ?
L’affinité que j’ai avec le mouvement des femmes est celle d’une citoyenne qui croit aux droits humains et à l’égalité des sexes dans une société de droit. Le mouvement des femmes a contribué dans notre pays à porter les revendications des femmes à entreprendre le plaidoyer pour faire avancer la cause des femmes, mais également à contribuer à créer une société civile dynamique. Ce faisant, ce mouvement a contribué au processus de démocratisation de notre pays. Beaucoup reste à faire dans le domaine de la vulnérabilité des femmes dans un Maroc en mouvement et qui aspire à un développement équitable et une inclusion sociale.
Vous avez récemment été l’invitée du Salon littéraire Arrabwa. Dans quel contexte vous y avez participé ?
Effectivement j’étais invitée par la fondation Arrabwa qui est constituée, depuis quelques années déjà, d’un groupe de femmes animées par le désir de créer un espace de rencontre pour débattre des œuvres et des publications des femmes. Je découvre ce groupe lorsque j’ai été invitée pour présenter mon livre «Penser l’école, penser la société. Réflexions sociologiques sur l’éducation au Maroc». La formule fût de le présenter tout en ayant des contributions de lectures critiques suivies d’un débat. J’ai trouvé que l’idée de l’échange autour des productions et des publications des femmes, dans un espace critique de femmes, est un choix pour lequel elles ont opté et qui met à l’aise les femmes, vu que les espaces critiques bienveillants se présentent peu pour beaucoup de femmes. Ce fut une expérience intéressante pour moi. Je tiens à rendre hommage à Madame Khadija Chaker qui a été une des fondatrices de ce groupe.
Le 04 Août 2018
Source web par : Aujourd'hui le Maroc
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