Les femmes, des dirigeantes comme les autres ?
En France, un dirigeant d’entreprise sur trois est une femme. Qui sont-elles, comment s’imposent-elles et comment dirigent-elles ?
Paris, dans les salons du Sénat, un soir de printemps. Des femmes dirigeantes d’entreprise sont conviées à une soirée consacrée à « L’audace au féminin ». La manifestation est pilotée par l’Association des femmes chefs d’entreprises (FCE) d’Île-de-France, une version féminine des clubs de rencontres professionnels masculins. Les talons claquent, et à chaque cliquetis des coupes de champagne, les voix s’élèvent et s’emmêlent. Mais que font-elles ? « On réseaute ! », lance Juliette, une jeune responsable commerciale qui, non satisfaite d’accomplir des semaines bien chargées de 50 heures, trouve aussi le temps pour son association qui vient en aide aux enfants d’Haïti. Elle cherche des fonds pour financer la construction d’une école. « Je n’ai pas vraiment de temps libre en soirée et pendant les week-ends, mais c’est super ! », confie-t-elle l’air enjoué. La jeune superwoman n’est pas la seule ce soir-là. Des femmes comme elle, entrepreneures, dirigeantes salariées ou créatrices d’entreprises, de start-up ou d’ONG, la salle en est remplie. Mais quelle est la réalité des femmes entrepreneures en France ? Combien sont-elles ? Quels obstacles rencontrent-elles et comment s’adaptent-elles ?
Il y aurait un tiers de femmes dirigeantes en France, selon une étude de l’Insee (1). Indépendantes ou salariées (par exemple, des gérantes de société), elles représenteraient 900 000 personnes au total, pour 1 800 000 hommes. Quel est leur profil ?
Portrait-robot de la dirigeante
Les dirigeantes présentent la particularité d’être un peu plus jeunes que les hommes (44,6 ans en moyenne contre 46,2 ans). Plus elles vieillissent, moins elles sont à la tête d’une entreprise. Devenir son propre patron peut être un moyen de concilier la vie privée et la vie professionnelle, grâce à des horaires plus souples. À condition toutefois de ne pas se laisser déborder par des charges professionnelles et donc d’avoir une petite structure souple à gérer.
Les femmes dirigent des entreprises de petite taille (un peu plus du quart des très petites entreprises, TPE), voire dans lesquelles elles travaillent seules (37 % des entrepreneurs individuels et 40 % des autoentrepreneurs).
Au contraire, dans les entreprises employant au minimum 10 salariés (petites et moyennes entreprises, PME, entreprises de taille intermédiaire, ETI, grandes entreprises, GE), les femmes ne représentent que 14 % des dirigeants, indique un rapport du cabinet d’audit KPMG (2). Cette représentation évolue peu (+ 1,2 point en dix ans), sauf dans les structures de plus de 500 salariés où des quotas s’appliquent depuis 2013 (encadré).
Dans les entreprises de plus de 10 salariés, les femmes intègrent souvent des directions collégiales. Moins d’une femme sur deux dirige seule contre 70 % des hommes.
Elles pilotent des entreprises œuvrant dans des domaines économiques comme les services aux particuliers (coiffure, soins de beauté, enseignement, hébergement et restauration) ou la santé (infirmière libérale, sage-femme). De leur côté, les hommes entreprennent plutôt dans des secteurs comme la construction, l’industrie ou encore les transports : « 90 % des entrepreneurs opérant dans le gros œuvre, l’électricité, la plomberie, le chauffage, la peinture, les réparations ou encore les transports sont des hommes », mentionne l’étude de l’Insee.
Conséquence directe de ces différences (taille de l’entreprise, secteur d’activité, âge), une dirigeante type gagne en moyenne 31 % de moins qu’un homme. La relative jeunesse confère moins d’expérience et donc des rémunérations moins élevées, par exemple, lorsqu’elles sont gérantes salariées et peuvent négocier leur salaire. De même, comme elles dirigent des entreprises de plus petite taille, dans des secteurs souvent peu rémunérateurs (santé, services à la personne), les bénéfices se restreignent.
Un parcours (toujours) de combattante
Pourtant, les femmes affrontent encore différents obstacles lorsqu’elles veulent accéder aux fonctions de leadership. Le rapport du cabinet KPMG en indique trois principaux.
• Les difficultés à concilier la vie privée avec la vie professionnelle arrivent en première position. Elles sont mentionnées par les femmes, tout comme les hommes (27 % pour les premières et 25 % pour les seconds). Tous disent avoir dû sacrifier au moins ponctuellement leur vie familiale pour parvenir aux plus hautes responsabilités.
• Deuxième obstacle, les femmes disent manquer de confiance en elles (20 % contre 13 % des hommes), même lorsqu’elles bénéficient d’un niveau d’étude très élevé. Ce manque de confiance est identifié par d’autres études, notamment celle qu’a menée l’économiste Anne Boring, responsable de la chaire « Femmes, entrepreneuriat et leadership » de l’IEP-Paris : « Les jeunes femmes souffrent plus que les hommes du “syndrome de l’imposteur”. Elles ne se sentent pas toujours légitimes pour défendre leur projet (3). » Conséquence, les femmes hésitent davantage avant de se lancer par peur de ne pas pouvoir assumer les charges financières.
• Troisième difficulté, qui explique en partie la seconde, le sexisme. Selon le rapport du cabinet KPMG, seulement une femme sur dix considère que le fait d’être une femme l’a handicapé pour accéder à des fonctions de direction. Mais le sexisme dans le monde professionnel peut prendre différentes formes, des plus visibles, comme le sexisme ouvertement hostile, à des formes moins perceptibles comme le sexisme bienveillant (4). Chez les femmes dirigeantes, explique A. Boring, le comportement de l’entourage peut parfois chercher à les dissuader de se lancer dans l’entrepreneuriat. Parents, conjoints, amis ou collègues peuvent décourager de l’entrepreneuriat pour les protéger du risque d’instabilité financière et de l’indisponibilité, notamment auprès des futurs enfants, que peut provoquer l’entrepreneuriat.
Comment ces femmes parviennent-elles jusqu’au leadership d’une entreprise ? Il y a peu d’écart entre les raisons mentionnées par les hommes et les femmes, note le rapport du cabinet KPMG qui porte sur les entreprises de plus de 10 salariés : ils deviennent dirigeants en la créant par eux-mêmes ou en la rachetant (44 % des femmes et 43 % des hommes). 27 % des femmes comme des hommes dirigent à la suite d’une promotion interne. Toutefois, les femmes deviennent dirigeantes un peu moins souvent par recrutement externe (7 % contre 14 % des hommes) et un peu plus grâce à un héritage (22 % contre 16 %).
Les dirigeantes présentent souvent des parcours atypiques, notamment dans les très grandes entreprises (plus de 500 salariés) et dans les organismes publics. Les sociologues Marlène Benquet et Jacqueline Laufer (5) notent qu’elles sont souvent sensibilisées au milieu professionnel dans lequel elles travaillent par leur famille ; elles ont suivi des études les conduisant à des diplômes de haut niveau. Comme les hommes, elles privilégient leur carrière professionnelle quitte à faire des sacrifices quant à la vie familiale. Soutenues par leur entourage (famille au premier rang de laquelle le conjoint ; amis ; collègues), elles bénéficient parfois de l’appui d’un mentor.
Ces femmes dirigeantes doivent s’adapter à des normes professionnelles dont elles sont souvent moins familières que les hommes, en raison de leur éducation. Par exemple, dans le milieu de la finance étudié par la sociologue Valérie Boussard (6), les dirigeantes d’entreprises de conseil en fusion-acquisition doivent s’approprier l’« ethos professionnel », c’est-à-dire un ensemble d’attitudes valorisées pour occuper la fonction. Il faut être dociles à l’égard des impératifs professionnels, par exemple accepter les horaires tardifs le soir, revenir de vacances en cas d’urgence. Les dirigeants doivent aussi développer des attitudes agonistiques : les batailles d’ego, les comportements « qui en imposent », pour remporter les négociations entre entreprises, et même entre supérieurs et subordonnés au sein de l’entreprise. Il faut aussi faire preuve de technicité par la maîtrise des chiffres, de la comptabilité et des finances. Ces responsabilités requièrent enfin de présenter une vision distanciée des dossiers, détachées des enjeux sociaux et humains, et un intérêt manifeste pour l’argent. Autant d’attitudes qui ne vont pas de soi, sauf pour ceux qui ont été habitués très tôt à les pratiquer (6).
Dirigent-elles autrement ?
Certaines femmes dirigeantes respectent ces normes à la lettre, mais d’autres innovent. Elles contribuent ainsi à renouveler la figure classique du dirigeant : un homme autoritaire, orienté vers l’efficacité technique et financière. Ces innovations sont perceptibles à deux niveaux notamment.
• Les motivations. Le rapport publié par le cabinet KPMG mentionne que les femmes partagent globalement les mêmes conceptions de leurs fonctions que les hommes : comme eux, le goût d’entreprendre et la recherche d’un « épanouissement professionnel » constituent les deux moteurs de l’accession à la direction d’une entreprise. Cependant, des différences apparaissent dans les motivations pour exercer leurs fonctions : les femmes valorisent davantage les relations avec les clients (20 % contre 12 %), les rapports avec les parties prenantes de l’entreprise (20 % contre 11 %) et l’encadrement d’autres personnes (14 % contre 6 %). Elles semblent être davantage attirées par les éléments humains, bien que ces derniers restent toutefois secondaires par rapport à d’autres caractéristiques comme la prise de décisions stratégiques et le développement commercial de l’entreprise.
• Le leadership. Certaines recherches en management, souvent d’origine anglo-saxonne, font état de spécificités féminines. Par exemple, les travaux de Judy B. Rosener réalisés au début des années 1990 (7) montrent que les femmes dirigeantes cherchent davantage à développer l’implication des salariés dans l’entreprise. Elles encouragent leur participation ; elles leur accordent plus de considération ; elles partagent le pouvoir et l’information (leadership interactif et démocratique). Parfois confirmées en France, ces analyses peinent toutefois à être validées par la communauté scientifique car elles ne s’accordent pas sur les particularités du leadership féminin ; elles n’utilisent pas les mêmes outils de mesure du leadership ; et, enfin, certaines reposent principalement sur les déclarations des leaders eux-mêmes sans être vérifiées en étudiant les pratiques réelles (8).
Les quotas sont-ils efficaces ?
La direction des entreprises se féminise grâce aux quotas instaurés depuis quelques années, mais seulement dans les plus grandes d’entre elles.
Depuis 2008, l’article 1er de la Constitution stipule que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ». Ce principe s’est décliné à travers deux lois.
• En 2011, la loi relative à « la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle » a instauré un quota de 20 % de femmes dans les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises cotées en Bourse ou de plus de 500 salariés présentant un chiffre d’affaires de plus de 50 millions d’euros. Les entreprises concernées avaient jusqu’en 2017 pour respecter ce principe. À partir de 2017, le quota est revu à la hausse : il s’élève à 40 % et les entreprises ont six ans pour le respecter.
• En 2012, la loi dite Copé-Zimmerman a imposé un quota de 20 % de femmes aux fonctions de direction et d’encadrement supérieur dans la fonction publique. Le quota est relevé à 40 % à partir de 2018. De même, à partir de cette date, les conseils d’administration de surveillance, ou les organes équivalents des établissements publics administratifs, les jurys de recrutement, les comités de sélection et les instances du dialogue social devront comprendre au moins 40 % d’un des deux sexes.
Des résultats encourageants
Les premiers résultats semblent encourageants. Un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes daté du 10 février 2016 indique que « dans le secteur privé, la part de femmes au sein des conseils a triplé entre 2009 et 2015 dans les entreprises cotées du CAC 40 ». Le quota serait donc respecté. Selon les estimations, parmi l’ensemble des entreprises privées françaises cotées en Bourse (353), il y aurait entre 28 et 29 % de femmes parmi les membres des conseils de sécurité ou de surveillance.
Pour les entreprises du CAC 40 seules (32 en tout), la part de femmes est de 34 %. La France se place ainsi en tête des pays de l’Union européenne, devant la Lettonie et la Suède (32 %), l’Italie (31 %), la Finlande et le Royaume-Uni (30 %). La moyenne européenne se situe à 22 %.
En revanche, les femmes représenteraient à peine 14 % des membres des conseils d’administration ou de surveillance dans les autres entreprises concernées par la loi (297 au total), celles non cotées mais comprenant plus de 500 salariés et réalisant plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires. En 2020, il est prévu d’étendre le dispositif législatif aux entreprises de plus de 250 salariés.
Dans le secteur public, le rapport du Haut Conseil à l’égalité note « une progression en cours, difficile à étayer, faute de données chiffrées suffisantes ». Les informations sont partielles en l’absence de remontée exhaustive et centralisée des informations. Le rapport indique tout de même qu’en 2013, les femmes représenteraient 29 % des membres des conseils des organismes publics soumis à la loi tels les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) qui gèrent des services publics (exemple : l’Office national des forêts, la SNCF…) ou encore les établissements publics administratifs (EPA, par exemple, la Bibliothèque nationale de France, les agences régionales de santé).
• « Vers un égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles : la part des femmes dans les conseils d’administration et de surveillance »
Le 03/05/2017
SOURCE WEB Par Sciences Humaines
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