Les techniques insoupçonnées des prédateurs fonciers
Recours aux expulsions et autorisations de démolition
Plusieurs propriétaires dépossédés témoignent
Villa spoliée au quartier Oasis à Casablanca. La famille Kimia est toujours en procès pour récupérer sa propriété. La zone où se situe son bien est passée en zone immeuble depuis. De quoi attiser les convoitises (Ph. Khalifa)
Tout un symbole! A quelques pas du ministère de la Justice et des Libertés, l’Association des victimes de spoliation foncière inaugure sa première sortie publique. Jeudi 9 juin à Rabat, une dizaine de personnes ont témoigné sur l’interminable calvaire qu’elles vivent depuis de longues années pour récupérer leurs biens spoliés. La présidente de l’Association, Latifa Bouabid, annonce, dès le début, la portée de ce point de presse: «C’est une étape décisive pour sensibiliser l’opinion publique à la cause des victimes et les soutenir dans leur combat contre la mafia des spoliateurs fonciers qui sévit à Casablanca». Et pas seulement.
Certains confrères sont stupéfaits par les témoignages poignants des victimes: procédures expéditives, expulsions musclées, drames familiales (maladie, décès...), bataille judiciaire et administrative inextricable (voir nos enquêtes du 31 juillet et 17 août 2015. www.leconomiste.com).
«Nous vivons depuis 2008 dans un climat de terreur permanent», confie Ito Hadoufane expulsée de sa propriété avec toute sa famille le jour de l’Aid el-Kébir. Le jugement qu’elle brandit à l’assistance «ne comporte pas mon nom et ne concerne qu’un seul titre foncier alors que mon bien est scindé en deux titres de propriété», poursuit la veuve indignée.
Les larmes aux yeux, la dame meurtrie se souvient de ce terrible jour où «un bulldozer a rasé en un clin d’œil» sa demeure au quartier Azegza à Rabat. Faux actes et noms fictifs ont servi à commettre le forfait. Dans un courrier dont L’Economiste détient copie, le président honoraire du Syndicat national des notaires, Michel Corre, certifie que la présumée notaire «Isabelle Poirier n’a jamais fait partie de notre établissement».
Une autre victime, Meriem Bajouk, ironise sur les pratiques des spoliateurs: «Un timbre de 20 DH (pour légalisation de faux contrats de vente à la Moukataâ) permet d’acquérir un bien qui coûte des millions de DH». La famille Bajouk a été dépossédée de sa villa d’Anfa où elle vivait depuis la fin des années 1960. Leur représentante va se battre une décennie durant. Meriem Bajouk est l’une des rares à avoir pu récupérer le bien spolié. Mais dans quel état? La villa familiale a été «saccagée» et le vécu de plusieurs personnes avec. Aujourd’hui résidente aux Etats-Unis d’Amérique, Bajouk s’est spécialement déplacée au Maroc pour témoigner en sa qualité de citoyenne marocaine et de secrétaire générale de l’Association des victimes de spoliation foncière: «Toutes les cibles sont presque passées par les mêmes instances, les mêmes procédures et les mêmes agents d’exécution...». La machine est bien huilée et a ses pions dans l’appareil judiciaire et administratif. Rahma Haddad, vice-présidente de l’AVS (et victime également) revient sur ces expulsions et ces autorisations de démolition qui servent également de voies pour les prédateurs fonciers. Les sociétés civiles immobilières servent de véhicules à ces opérations douteuses, selon l’Association créée en novembre 2015. Les expulsions sont exécutées «sans préavis, (idéalement) de bonne heure où durant des jours fériés»! Le tout sous prétexte d’une occupation sans titre de la propriété cible. Est-ce à dire que rien n’a réellement changé pour les propriétaires dépossédés? Pourtant, à la mi-décembre 2015, le ministère de la Justice avait annoncé la mise en place d’une task force pour contrer les spoliateurs. La porte-parole des victimes, Latifa Bouabid, assure que «la police judiciaire est en train d’enquêter sur plusieurs affaires sous la supervision du parquet de Casablanca». Curieusement, «l’exécution des expulsions s’accélère dès qu’une plainte est déposée pour contester la procédure».
Condamnation et plainte contre X
Mohammed Moutazakki, président d’honneur et porte-parole de l’Association des victimes de spoliation
Pour les victimes de spoliation foncière, le climat est devenu encore plus délétère depuis la récente condamnation du président d’honneur de l’Association des victimes de spoliation foncière. Mohamed Moutazakki a été condamné à six mois de prison ferme pour diffamation contre un corps constitué. Des magistrats en l’occurrence. L’Association des victimes de spoliation y voit «une manière de museler sa voix». Car ses membres ont contesté des jugements en rapport avec l’affaire Romandie Parc. Plusieurs familles expulsées d’un immeuble situé à Maârif (extension) et comptant plus de 200 appartements.
Un autre épisode n’est pas passé inaperçu. L’un des avocats des victimes de spoliation foncière, Messaoud Leghlimi, dépose plainte contre X en mai 2016. Des inconnus vont l’insulter, l’intimider et le menacer de mort sur Facebook. Une enquête est en cours. L’avocat a été déjà entendu par la police judiciaire. «Je n’ai nommé aucune personne à ce stade de la procédure», confie le plaignant.
Me Leghlimi plaide dans plusieurs procès de spoliation parmi lesquels l’affaire Brissot. Du nom d’un vieux couple dépossédé de sa villa située sur la corniche casablancaise. Plusieurs accusés, dont un notaire et un avocat, sont poursuivis dans ce dossier pour constitution de bande criminelle, faux et usage de faux et abus de confiance. Ils ont été condamnés une première fois à une longue peine de prison.
«Les spoliateurs usent de procédures judiciaires pour donner une prétendue légalité à leurs activités criminelles. Ils engagent des procédures en référés (rapide) pour faire évacuer des locataires ou des propriétaires qui sont pourtant dans leur droit. Le tout sur la base de faux actes», dénonce l’Association des victimes de spoliation qui réclame un suivi particulier de ce type de dossier aux jugements contradictoires. Boukdir Mustapha et une cinquantaine autres membres de sa famille «ont été abusivement expulsés» de leur domicile. Après des années de procédure, il obtient la condamnation des commanditaires pour faux et usage de faux: 9 mois de prison avec sursis! La famille Boukdir gagne au pénal et perdra pourtant au civil. «Notre demande d’annuler l’exécution de l’expulsion a été rejetée à trois reprises!».
Le 14 Juin 2016
SOURCE WEB Par L’économiste
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