Logistique Le plan Ghellab, là où tout a commencé
L’architecte de la stratégie livre son analyse
Un bilan objectif s’impose, 5 ans après le contrat-programme
L’ approche triangulaire vers l’Afrique subsaharienne pour relancer la machine
«Il faut profiter du fait que Casablanca ait un nouveau maire et un nouveau bureau pour les sensibiliser à aller le plus vite possible sur les questions de transport. Nous avons 2 choix: soit laisser le chaos s’installer comme au Caire où la ville est asphyxiée, soit développer un système nerveux opérationnel qui permet de gérer les flux de manière plus humaine et plus rationnelle en faveur des habitants», analyse Karim Ghellab, ancien ministre de l’Equipement et des Transports (Ph. L’Economiste)
- L’Economiste: Quels sont les enjeux de départ de la stratégie logistique telle que conçue du temps du département Ghellab?
- Karim Ghellab: La stratégie visait à doter l’économie du pays, en particulier, les grandes stratégies sectorielles de type Emergence, Maroc Vert, l’accompagnement de grands chantiers en termes de travaux publics et d’infrastructures, Halieutis, la distribution, le négoce… d’une vision opérationnelle permettant d’optimiser la logistique et de réduire les coûts liés aux flux de marchandises, aussi bien des intrants qu’au niveau de l’export. Mais en faisant en sorte (et c’est cela le slogan essentiel) que la logistique soit un facteur de compétitivité qui s’ajoute à celle gagnée au niveau de la production dans les différentes stratégies et qui ne soit pas au contraire un facteur de réduction de la compétitivité des produits de ces autres stratégies.
En d’autres termes, si l’on prend par exemple le plan Emergence qui mise sur des secteurs tels que l’automobile ou la sous-traitance aéronautique, cela ne sert à rien de faire beaucoup d’effort pour avoir un produit de qualité dans des secteurs de pointe à des coûts faibles, si après pour acheminer la production dans leurs chaînes de montage ou dans les marchés qu’ils visent, l’on perd à cause des coûts du transport, portuaire et de la manutention, les points de compétitivité gagnés en amont. C’est en fait une mise sous tension de la chaîne de production et de distribution au sens large.
L’idée de départ était aussi que les différents chantiers lancés se traduisant par des augmentations de flux de marchandises ce qui risque de générer un chaos s’ils ne sont pas gérés de manière rationnelle et optimisée, ce qui se traduirait par une réduction de la compétitivité logistique. Baisser le coût de la logistique de 20% du PIB à 15% à l’horizon 2015 faisait aussi partie des objectifs fixés.
- Comment vous appréciez les limites actuelles de la feuille de route et les modalités pour en corriger les dysfonctionnements?
- Je rappelle que les principaux objectifs de la stratégie que nous avions établie étaient de créer un demi-point de PIB par an. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui la logistique aurait dû créer 2,5 points PIB en plus. Nous avions également prévu de réduire les externalités négatives et de lutter contre la pollution, la congestion des routes on encore les nuisances environnementales. L’on visait ainsi la réduction de 35% des émissions de CO2.
Globalement, un certain nombre d’actions prévues dans le contrat-programme ont été lancées, le cap semble être maintenu et le garant opérationnel de la mise en œuvre de cette stratégie qui est l’AMDL en est dépositaire. Maintenant, l’on peut dire que les choses avancent de manière assez lente, 5 ans après le démarrage de la stratégie. Une période qui signifie aussi la fin du 1er contrat-programme. Il faudrait normalement commencer par une évaluation objective de ce qui a été fait ou pas. Le contrat-programme et la stratégie étaient ambitieux et difficiles à mettre en œuvre. Mais en même temps, les enjeux sont essentiels. Il suffit de voir comment vit la population de la ville de Casablanca aux alentours du port.
- Plusieurs chantiers accusent du retard, c’est le cas de l’inter-modalité, connectivité et l’intégration des PME. Parallèlement l’activité est encore loin des ambitions fixées en termes de part de la contribution au PIB ou encore du chiffre d’affaires…
- L’implémentation de la stratégie logistique ne peut être linéaire. Il faut passer l’équivalent de seuils pour atteindre une 1re phase, qui va commencer à donner des effets. Cette 1re phase ne sera achevée, que lorsque le cordon entre le port de Casablanca et Zenata sera livré et que la zone logistique (ndlr: de 80 ha de Zenata) sera ouverte et enfin dispose d’une autre zone soit à Tanger, soit à Marrakech, pour pouvoir organiser la gestion des flux entre les sites.
L’un des mots-clés de la stratégie est la massification. C’est-à-dire que l’un des objectifs est de bâtir des centres logistiques comparables à des pôles d’attractions qui doivent attirer les flux. Vu que ce sera plus facile d’acheminer les marchandises à partir de ces sites parce qu’elles desservent des régions elles-mêmes bien reliées. C’est comparable à une spirale vertueuse que l’on doit enclencher. A ce moment-là, ce sera plus évident pour les PME de recourir à l’externalisation, plutôt que d’avoir un entrepôt en propre. C’est cela la stratégie logistique. Tout le défi est de mettre en place cette infrastructure qui va convaincre des PME de l’intérêt de louer un espace et les services associés. C’est pour cela qu’il faut épauler des structures comme l’AMDL, pour atteindre ce seuil critique et pour que les effets positifs soient palpables par les PME.
- Comment redynamiser l’offre de la SNTL et relever le défi du remplissage des entrepôts?
- Il faut déplorer le ralentissement de l’économie depuis 3-4 ans, qui est beaucoup plus fort qu’au début de la décennie malgré la crise mondiale de 2008. Aujourd’hui, tous les indicateurs de croissance sont en stagnation, alors que des acteurs comme la SNTL, l’AMDL et des opérateurs de l’immobilier logistique ont ouvert des entrepôts pour répondre à une demande qu’ils voyaient croissante. Sauf qu’il y a un souci d’ordre macroéconomique dû au ralentissement de l’économie au niveau du BTP, du logement, du tourisme, l’industrie… Tout cela crée un environnement qui n’est pas propice à l’investissement. Aujourd’hui, l’un des volets à exploiter est le commerce ou la logistique triangulaire avec les pays d’Afrique subsaharienne via le Maroc. Le credo de l’économie marocaine est de s’exporter, de se positionner en plateforme ou en hub.
Ce mot «hub» que nous utilisons pour le tourisme ou l’industrie est un terme avant tout logistique. Si l’on veut que le Maroc soit une plateforme, il faut qu’il le soit avant tout pour la logistique et faire un effort de commercialisation au sens large de l’image du Maroc, des capacités de stockage... D’ailleurs, les conventions qui ont été signées par la SNTL avec des opérateurs chinois en marge de la visite royale en Chine rentrent parfaitement dans cette logique.
- Pourquoi un écosystème dédié à la logistique n’a pas encore été déployé?
- La logique d’écosystème est celle d’un ensemble d’acteurs qui ont une synergie positive entre eux et qui sont drivés par un produit fini. C’est un ensemble de sous-traitants et d’acteurs directs et indirects qui rentrent dans cette logique. Au niveau de la logistique, ce raisonnement est vrai et en même temps faux. La tendance mondiale est d’avoir des acteurs intégrés de bout en bout. C’est-à-dire que l’apport de l’écosystème devrait être du ressort d’un ou plusieurs opérateurs logistiques capables d’intégrer tous les services de la grappe logistique, à savoir le fret forwarding, le stockage, le dédouanement, le transit et le transport. Il faut peut-être se poser cette question au niveau de l’analyse pour savoir si cette notion d’écosystème peut être positive et appliquée à la logistique.
- Où en est le dossier de la logistique urbaine particulièrement à Casablanca et l’interdiction de circulation de gros camions en centre-ville?
- Je rappelle que nous avons signé en 2010 une convention avec la mairie de Casablanca qui s’engageait à interdire la circulation aux grands camions sauf sur le grand axe entre le port et Zenata. En clair, l’approvisionnement de la métropole devrait être assuré via des zones périphériques, y compris Zenata.
Aujourd’hui, il faut que cette route soit faite, que Zenata soit opérationnelle, que les autres plateformes prévues soient réalisées tout autour de la ceinture de contournement, du côté de Mediouna ou Bouskoura pour approvisionner la métropole à travers ces entrepôts et limiter la circulation et l’approvisionnement à des petits camions de type messagerie. Ce qui permettra certainement une circulation plus fluide, une distribution économique des produits, moins de congestion ou encore de pollution. Il y a aussi le plan qui prévoit de petits entrepôts urbains de stockage, et qui agissent en complémentarité avec les flux initiaux. Tout cela reste aujourd’hui planifié et d’actualité. Je dirais que ce sont des changements durs et difficiles, mais sur lesquels il faut signaler le retard. En clair, il y a des acteurs opérationnels comme l’AMDL, la CGEM, la SNTL ou les entreprises qui font un travail extrêmement positif, mais manquent d’impulsion et de soutien pour surmonter les difficultés de cette stratégie-là.
Externalisation
Selon une récente étude de l’AMDL, près de 75% des entreprises de grande taille externalisant leurs activités logistiques d’entreposage sont des multinationales essentiellement dans les secteurs de l’agroalimentaire, produits de grande consommation, négoce et retail. Le développement de l’externalisation logistique est fortement corrélé au niveau d’évolution de la distribution moderne. Selon la même étude, le marché potentiel de l’externalisation de l’entreposage au Maroc est estimé à plus de 3 milliards de DH.
Le 17 Mai 2016
SOURCE WEB Par L’économiste
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