Pédophilie : pour la prévenir et protéger les victimes, l’omerta doit cesser
L’affaire du pédophile d’El Jadida qui a défrayé la chronique au début ce mois d’août est arrivée comme un rappel brutal. Les abus sexuels sur enfants existent bel et bien et il ne sert à rien de se voiler la face. La pédophilie n’est pas un phénomène nouveau, c’est juste qu’il a été longtemps considéré comme un tabou ou comme un sujet qu’il faut taire par pudibonderie ou de peur de s’exposer à l’opprobre publique. Publiée sur les réseaux sociaux, la scène de quelques minutes à peine, montrant un cinquantenaire allongé sur le sable en train de tripotailler lascivement un enfant d’une dizaine d’années, est vite devenue virale. Filmée par deux estivantes sur une plage aux environs d’El Jadida, la vidéo a provoqué un émoi collectif et une indignation totale. Quelques semaines après, «Le Matin» aborde l’affaire, non pas sous l’angle du fait divers, mais pour en comprendre les dimensions sociale, psychologique et juridique et surtout pour explorer les moyens de protéger les jeunes victimes des prédateurs sexuels. L’objectif est de contribuer aux efforts de lutte contre ce fléau qui profite de l’omerta pour se régénérer tel une hydre.
Choquante, nauséabonde, infâme… Difficile de trouver des mots assez forts pour décrire l’affaire du «pédophile d’El Jadida» qui a défrayé la chronique au début de ce mois d’août. Tout a commencé par une séquence vidéo dont la diffusion à large échelle est tombée avec fracas perturbant la sérénité de la période estivale.
Pédophile d’El Jadida : après l’émoi, les questions
Publiée sur les réseaux sociaux, la scène de quelques minutes à peine, montrant un cinquantenaire allongé sur le sable en train de tripotailler lascivement un enfant d’une dizaine d’années, est vite devenue virale. Filmée par deux estivantes sur une plage aux environs d’El Jadida, la vidéo a provoqué un émoi collectif et une indignation totale. Malgré sa tentative de cacher son visage et celui de la victime, le prédateur sexuel a été reconnu, identifié et aussitôt après arrêté par la police.
Après avoir comparu devant le juge d’instruction pour un interrogatoire préliminaire, il subira les interrogatoires détaillés dans quelques jours et sera probablement poursuivi pour attentat à la pudeur sur mineur et traite d’être humain. Car un détail important risque de faire toute la différence : le mis en cause est responsable d’une association sportive à Casablanca. Et comble d’infâmie, il faisait croire aux parents qu’il emmenait leurs enfants en «colonie de vacances», alors qu’il les exploitait pour assouvir ses vils instincts. Face à la gravité de ces faits, la société civile et les internautes n’ont pas eu de mots assez durs pour qualifier cette agression ignoble. Des appels ont fusé de toutes parts réclamant des sanctions exemplaires et un durcissement des peines contre les pédo-criminels de manière générale.
La loi du silence… encore plus grave que le crime
La réaction épidermique de l’opinion publique traduit à l’évidence un sentiment de dégoût, mais aussi et surtout la prise de conscience de la nécessité de débattre publiquement et sans faux-fuyants d’un mal qui a toujours existé et qui existera encore. En effet, la pédophilie n’est pas un phénomène nouveau, c’est juste qu’il a été considéré comme un tabou ou comme un sujet qu’il faut taire par pudibonderie ou de peur de s’exposer à l’opprobre publique. Sur le plan social, le phénomène n’a jamais été traité avec tout le sérieux qu’il mérite. Les voix réprobatrices s’élèvent surtout quand les faits ont été rendus publics et qu’il n’y a plus moyen d’éviter le débat. C’est le cas du jeune enfant de la plage d’El Jadida ou encore celle de l’enfant Adnane, âgé de 11 ans, qui a été victime de viol et d’assassinat à Tanger en 2020. Toujours est-il qu’au bout d’un moment, les choses se calment et les gens vaquent de nouveau à leurs occupations habituelles, oubliant la souffrance des victimes et de leurs parents ainsi que les séquelles sociales et psychologiques qui ne s’effacent pas facilement. C’est l’omerta qui prend le dessus et la loi du silence règne.
Dans une sorte d’hypocrisie sociale, tout le monde y trouve son compte. «Même les familles de la victime refusent d’en parler et encore moins de porter plainte, ce qui favorise l’impunité et encourage les criminels à revenir à la charge», s’alarme le Dr Mostafa Massid, psychologue clinicien qui fait de la lutte contre la pédophilie son combat quotidien. Dans le même ordre d’idées, Abderrazak Ikram, militant associatif et président de l’association Ichraq, ajoute que dans la majorité des cas la famille oblige son enfant à garder le silence, notamment lorsque la victime est un garçon. «Pour une fille, le père peut finir par accepter de défendre sa fille, mais lorsqu’il s’agit d’un garçon, on préfère se taire, par crainte que l’incident impacte la masculinité et déshonore toute la famille», explique-t-il.
Pis encore, les spécialistes interrogés par «Le Matin» disent avoir remarqué que l’enfant victime d’abus sexuels préfère lui-même garder le silence, «soit par peur du pédocriminel, soit par crainte que ses parents le punissent, surtout si le pédocriminel est un membre de la famille», souligne Dr Massid. Pour Abderrazak Ikram, l’enfant garde le silence aussi lorsqu’il est piégé par des manœuvres de séduction, comme le fait de recevoir des cadeaux ou même de l’argent de la part de l’agresseur. En tout état de cause, les agressions sexuelles sur mineurs devraient interpeller tout le monde sur la capacité des parents à assurer la protection de leurs enfants. Car un enfant abusé sexuellement en portera les stigmates à vie.
Les impacts de l’abus sexuel sur enfant, c’est pour la vie !
Les experts sont unanimes : un enfant victime d’abus sexuels en subira durablement les conséquences physiques et psychologiques. «Le repli sur soi, le manque de concentration, la peur, la dépression ou encore l’agressivité envers son entourage sont, entre autres, les principaux symptômes qui apparaissent chez l’enfant, mais la liste n’est pas exhaustive», nous apprend Dr Massid. Ces symptômes, ajoute-t-il, diffèrent d’un enfant à l’autre et peuvent l’accompagner jusqu’à l’âge adulte et affecter son équilibre psychologique. «La situation pourrait être moins délicate si l’enfant arrive à en parler à ses parents ou à un spécialiste», note-t-il avant de préciser que l’enfant victime d’abus devrait faire l’objet d’un accompagnement psychologique pour qu’il puisse dépasser la situation.
Dr Massid appelle aussi les parents à «être à l’écoute de l’enfant pour pouvoir déceler tout comportement anormal et agir avant qu’il ne soit trop tard». Pour lui, si les parents jouaient leur rôle de communication, d’écoute et d’éducation, beaucoup de drames pourraient être évités.
À cet égard, Dr Massid pointe du doigt ce qu’il appelle «l’externalisation de l’éducation». Un phénomène qui, selon lui, devient tendance chez beaucoup de parents qui n’hésitent pas à déléguer l’éducation de leur enfant à la baby-sitter, à la crèche et à l’école. «Ils croient à tort que l’argent dépensé ainsi leur évitera le casse-tête de l’éducation, ce qui est totalement faux», alerte-t-il. Et d’ajouter que, certes, le rôle des éducateurs est important, mais il ne remplace pas celui des parents, censés prendre les choses en main. «Au lieu de passer beaucoup de temps dans un café, avec les amis ou encore à naviguer sur le téléphone portable, il serait plus judicieux de penser à l’enfant, l’écouter et faire des activités avec lui», recommande-t-il.
Protéger l’enfant, mais sans l’étouffer
«Un enfant a le droit d’être soigné, d’avoir une alimentation suffisante et équilibrée, d'aller à l’école, mais aussi et surtout d'être protégé de toute forme d’abus», rappelle pour sa part Amina Khalid. Cela dit, ajoute-t-elle, les parents doivent jouer leur rôle dans la protection de l’enfant, mais sans pour autant l’étouffer ou l’isoler du monde extérieur. Comment ? Ceci passe par la communication, d’après Dr Massid. Ce dernier affirme que l’échange avec l’enfant permet de le comprendre, le rassurer et surtout lui faire passer des messages importants sur l’éducation sexuelle. «L’enfant doit être conscient dès son jeune âge des risques de la pédophilie et être capable de se défendre et de s’en protéger», insiste l’expert. Pour lui, si l’on veut faire face à la pédophilie, il faut commencer par ne plus considérer ce phénomène comme un tabou et en parler de manière transparente et décomplexée.
De son côté, Abderrazak Ikram est persuadé qu’il est grand temps d’organiser des campagnes de sensibilisation au profit des parents et des enfants. «La vidéo du pédophile d’El Jadida est une alerte. Elle devrait pousser les autorités et la société civile à multiplier les efforts en vue de sensibiliser les parents, notamment au risque de certaines pratiques, comme le fait d’autoriser l’enfant à passer du temps chez le voisin ou à être en compagnie d’une personne étrangère», note-t-il. Mais si la vigilance doit être de mise au niveau du cercle familial, la protection de l’enfant passe aussi par la loi. Le militant associatif appelle ainsi à durcir les peines contre les pédo-criminels, en particulier ceux qui sont censés protéger et encadrer les enfants, comme les reponsables des associations, les proches…
Ce même appel a été lancé par Amina Khalid qui pense que le Maroc devrait agir pour assurer plus de protection à l’enfant sur le plan juridique en promulguant des lois plus dissuasives et en offrant une meilleure protection à cette catégorie vulnérable. Le cas du jeune enfant abusé sur la plage doit nous interpeller tous.
Les prédateurs sans foi ni loi peuvent être partout. Le durcissement des peines, la sensibilisation des parents et la communication doivent être les maîtres mots de tout combat contre la pédophilie. La société doit apprendre à briser la loi du silence et s’en prendre aux vrais coupables. La honte doit changer de camp. La victime doit être protégée et accompagnée et non pas stigmatisée. Pour le cas d’El Jadida, il faudrait commencer en urgence par réhabiliter la dignité de l’enfant abusé en rendant inaccessible la vidéo de l’agression. La société a été incapable de le protéger, qu’elle cesse au moins de remuer le couteau dans la plaie.
L’éducation sexuelle de l’enfant en 6 étapes
L’éducation sexuelle commence très tôt et on n’a pas besoin de la transmettre par des «mots» formulés, mais par des actes et des gestes signifiants. Comment ? Imane Hadouche, comportementaliste et master coach propose les 6 étapes suivantes :
1. Dès le jeune âge, apprenez à votre enfant à respecter son corps : le simple fait de ne pas l’obliger à faire un bisou à sa tata, son tonton ou sa mamie, peut être décisif. Même vous, essayez de demander la permission avant de l’embrasser, surtout si c’est accompagné par une explication, comme quoi, son corps lui appartient et personne ne doit l’obliger ou n’est en droit de l’obliger à avoir une promiscuité qu’il ne souhaite pas. Ceci le protège des prédateurs.
2. Expliquez à l’enfant que son intégrité physique est une chose extrêmement importante : ne laissez passer aucune violence qu’il vous transmet ou dont il se plaint, même si c’est anodin. Et au risque de passer pour un parent névrosé, allez rapporter ses réclamations à ses maîtresses d’école ou la maman du petit voisin, en leur expliquant en aparté avec un sourire et calmement que vous n’êtes pas là pour chercher une suite à la réclamation, mais que votre rôle de parent est de transmettre la réclamation de votre enfant, aussi anodine soit-elle, pour construire une relation de confiance, l’encourager à confier ce qui ne lui convient pas et aussi lui apprendre que toute atteinte à son «intégrité physique» est intolérable.
3. Prouvez à votre enfant que vous respectez son corps : continuer à le bourrer de nourriture, alors qu’il dit ne plus avoir faim est un exemple simple, mais significatif. Le violenter physiquement ou insister pour qu’il plonge dans la piscine alors qu’il n’en a pas envie, sont d’autres exemples. Vous lui apprendrez à respecter son corps, à écouter ses besoins et à ne jamais céder physiquement pour faire plaisir à l’autre.
4. Offrez-lui un espace d’intimité et respectez-le : ne le changez pas devant tout le monde, ne rentrez pas dans sa chambre sans frapper à la porte, apprenez-lui à fermer la porte des toilettes et de la salle de bain… en expliquant que c’est très intime.
5. Mettez de côté le «swab» et les jeux sociaux : il n’est pas question d’oublier les bonnes manières, il ne s’agit pas d’oublier de dire les mots magiques : «bonjour, s’il vous plaît et merci», mais il ne faut pas lui transmettre l’idée dangereuse et destructrice que «les adultes» ont une quelconque autorité sur lui et que sa validation en tant que personne «polie» et acceptée socialement consiste à être reconnu par les «adultes» en leur faisant plaisir.
6. À partir de 5 à 6 ans, vous pouvez aussi formuler des phrases simples : en bref, c’est le moment de reformuler en mots tout ce qui a été abordé dans les 5 points précédents, mais qui étaient avant des actes sans paroles.
Que dit la loi ? Avis de Mohammed Essebbar, avocat au barreau de Rabat
Les crimes liés à la pédophilie sont punis par la loi. L’article 485 du Code pénal, complété par la loi n°24.03, concerne l’attentat sur les mineurs de moins de 18 ans et stipule : «Est puni de la réclusion de cinq à dix ans tout attentat à la pudeur consommé ou tenté avec violences contre des personnes de l’un ou de l’autre sexe. Toutefois, si le crime a été commis sur la personne d’un enfant de moins de dix-huit ans, d’un incapable, d’un handicapé, ou sur une personne connue pour ses capacités mentales faibles, le coupable est puni de la réclusion de dix à vingt ans». Les peines prononcées peuvent aller jusqu’à 30 ans de prison. Le volet juridique est important, certes, mais demeure insuffisant pour faire face à ce phénomène. Les acteurs associatifs, les organisations non gouvernementales spécialisées dans la protection des enfants doivent s’activer davantage pour stopper ce fléau. Des actions de sensibilisation au profit des parents sont également nécessaires pour éradiquer ce phénomène. La protection est l’affaire de tous.
Le 28/08/2023
Source web par : lematin
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