Le piège du sadaq dans le contrat de mariage
Un vieux proverbe sanskrit affirme que « l’amour donne l’esprit aux femmes et le retire aux hommes ». Si le mariage s’avère socialement utile et nécessaire, et un moment de bonheur familial, il n’en demeure pas moins que le contrat d’alliance réalisé devant les adouls marocains est une vraie souricière pour les hommes.
Plantons le décor : le futur mari, les bras chargés de cadeaux et accompagné de ses parents, ses oncles et tantes, se rend à la maison de sa fiancée qui l’attend aussi avec ses parents, oncles, tantes. La future mariée patiente longtemps dans une pièce jusqu’à ce qu’on l’appelle pour être présentée aux hôtes spéciaux de la journée.
Il y a là, venus pour entériner le contrat de mariage, deux adouls, mais ils peuvent être trois ou quatre selon le désir des familles. Les adouls sont des hommes de loi musulmans qui ont des prérogatives juridiques. Ils sont différents des juges qui siègent au tribunal et rendent des verdicts. Le domaine d’intervention des adouls couvre l’acte d’allégeance, les actes relevant des contrats immobiliers, fonciers et de fonds de commerce, les actes de vente des titres de participation et actions dans les entreprises, en plus des actes d’état civil comme la succession, le mariage ou le divorce.
Dans l’heureuse maison de la fiancée, les familles discutent pour faire connaissance, boivent le thé et mangent des gâteaux au miel avant de passer aux choses sérieuses : unir définitivement, devant Dieu, les deux tourtereaux. On appelle dès lors la promise qui sort de la pièce pour rejoindre les invités. Youyous, applaudissements joyeux, etc. Tout le monde est content.
Puis, solennellement, les adouls demandent silence, et lisent la sourate fatiha pour lancer le travail. Ce qu’ils s’apprêtent de conclure, c’est le «Akd nikah», nom musulman du contrat de mariage qui signifie littéralement... «Acte d’accouplement» ou «Acte de rapport sexuel». Certains désormais le traduisent plus joliment par «Acte du lit». C’est l’autorisation suprême pour que le couple entame une vie privée, au su de tous.
Cet acte est un document qui comporte moult informations sur les deux mariés, tel un état civil, mais il y a une partie réservée à la dot (sadaq en langue arabe) apportée par le futur mari, ou qu’il compte donner ultérieurement à sa femme. En général, le sadaq est constitué d’une somme d’argent, d’or et de bijoux, de biens immobiliers ou fonciers si ces derniers font partie de la dotation. C’est même «le clou de la soirée» dans la formalisation de l’acte du nikah, lorsque la belle-mère présente, aux yeux des familles, ce que le généreux marié a offert à sa fille.
Pour aider celui-ci, les adouls tolèrent l’endettement, avec un paragraphe destiné à la somme d’argent et aux biens promis et non encore récupérés par l’épouse.
Le parchemin marital recèle un numéro d’archivage et les noms des adouls qui ont procédé au mariage. Il est gardé comme un bien précieux par le couple, car il permet d’obtenir des attestations de mariage ou de divorce. Or, il peut devenir une poisse pour le mari, voire un danger.
On sait que l’amour rend aveugle. Bien des hommes mettent de la fougue dans leur relation avec leurs fiancées et s’endettent auprès de la belle-famille, promettant monts et merveilles pour la dot pécuniaire ou les biens qu’ils offriront. Le paragraphe dédié au sadaq est un fourre-tout. On peut y trouver la promesse de sommes d’argent faramineuses, le serment de mettre l’appartement ou la villa au nom de l’épouse, l’engagement de l’achat d’une voiture à celle-ci, etc.
Psychologiquement, l’homme est conditionné par la culture marocaine pour donner le maximum. Il est le héros du moment, il vit son quart d’heure de gloire en tant que futur époux. La belle-famille le surnomme d’ailleurs pendant quelques jours le «prince», et s’empresse de louer ses qualités de mâle en quête d’amour. Bien souvent, les parents de la mariée interviennent sur la question du sadaq et exigent des montants exorbitants. Les exemples et histoires sur l’endettement de l’époux sont légion dans notre entourage à tous.
Le contrat de mariage peut être un guêpier ou une trappe où s’enfoncent les Marocains, provoquant, un jour, leur chute judiciaire.
Car il faut savoir que ledit document signé devant les adouls dans l’ivresse de l’attachement, dans un cadre privé, dans la maison de la future épouse au milieu de sourires de gens sympathiques qui font partie de la famille, devient officiel pour la justice marocaine. L’acte du nikah a valeur de droit, et engage devant le tribunal les hommes signataires. On peut lire dans le Code de la Famille : «Les droits dus à l’épouse comportent le reliquat du sadaq» (article 84). L’épouse peut exiger avec force -jusqu’à porter plainte- le reliquat de sa dot durant le mariage. Les choses se corsent en cas de divorce. La dette en liquide ou en nature devra être réglée obligatoirement. Et nous savons qu’au Royaume, un couple sur trois finit dans la désunion au bout des premières années. Il est rare que le mari, à ce moment-là, ait soldé la créance contractée durant la belle journée de l’acte de mariage.
Le juge n’a pas le choix. Il tient entre ses mains un papier légal, bien que rédigé en dehors des murs du tribunal, et dans des conditions douteuses d’amour et de désir.
Débute alors le parcours du combattant de l’homme face à la justice. Il doit remplir ses engagements pris jadis par sa langue fourchue. Il est rattrapé par la réalité. L’amour se transforme en peine. Les beaux sentiments se disloquent. Les preuves d’amour d’antan du couple deviennent un lointain souvenir brumeux emporté par le principe du réel: la dette se doit d’être liquidée.
Tant qu’on y est, chargeons davantage la mule. Il faut rajouter moult transactions financières dont l’époux devra s’acquitter. En cas de divorce judiciaire (l’un des deux conjoints demande le divorce), il a à sa charge la pension alimentaire des enfants, de leur mère et le loyer de leur nouvelle habitation, ainsi que «les droits dus à l’épouse [qui] comportent (...) la pension due pour la période de viduité (idda) et le don de consolation (mout’â) qui sera évalué en fonction de la durée du mariage, de la situation financière de l’époux et des motifs du divorce» (article 84, op. cit.).
Si les deux époux conviennent du principe du divorce par khol’ (par consentement mutuel), sans se mettre d’accord sur la contrepartie que l’homme devra payer à la femme, «l’affaire est portée devant le tribunal en vue d’une tentative de conciliation. Au cas où celle-ci s’avère impossible, le tribunal déclare valable le divorce par khol’, après en avoir évalué la contrepartie financière, en tenant compte du montant du sadaq, de la durée du mariage, des causes de la demande du divorce par khol’ et de la situation matérielle de l’épouse» (article 120, op. cit.).
Très peu d’hommes se révèlent assez fortunés pour s’en sortir rapidement. Et très peu de femmes acceptent d’abandonner leur demande, surtout si la vie nuptiale a fini dans les hostilités. L’esprit des représailles, voire du châtiment, peut l’emporter, hélas!
L’épouse, elle, n’est pas inquiétée par de telles considérations d’argent. Elle sait que les lois du divorce sont strictement faites pour elle. La justice est de son côté, au moment où cette dernière va fustiger l’époux et le traiter comme un bon à rien, un mauvais payeur, une tare sociale qui n’arrive pas à rembourser.
Les traditions peuvent s’avérer scélérates. D’abord pour la femme qui a son chemin de croix et des démons anciens à combattre, mais cela est une lapalissade bien défendue par les associations et fondations féministes. Ensuite ces traditions codifiées en lois n’épargnent aucunement l’homme qui apparaît plus esseulé, non représenté dans la théorie du genre à la sauce marocaine. Il en pâtit, taciturne, sans comprendre les lois de l’amour qui le guettent et le clouent au pilori.
Alors, tournez messieurs, votre langue sept fois dans la bouche avant de parler le jour de l’Acte du nikah...
Le 06/08/2023
Source web par : le360
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