En Afrique, quelle francophonie au XXI? siècle ?

ANALYSE. Face aux mutations que connaît l’Afrique, la francophonie peut-elle au-delà de Paris jouer un rôle plus affirmé en matière de justice sociale ?
Le 8 octobre, à Montpellier, la France et l’Afrique ont tenu un sommet dans la perspective de « réinventer » leur relation. La francophonie est l’un des domaines où l’impératif d’une refondation se fait clairement ressentir.
Rappelons que l’idée de la construction d’un espace francophone émerge au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et prend son essor après les indépendances des pays africains. Les chefs d'État, à l’instar du Sénégalais Léopold Sédar Senghor, qui y voyait une communauté d’intérêts regroupant des peuples ayant conscience d’avoir en commun une langue et une culture francophones, en furent les principaux instigateurs.
La francophonie s’est constituée en réponse à la nécessité supposée de résister à l’omniprésence de l’anglais et de la culture anglo-saxonne et américaine.
Différentes structures générales (Organisation internationale de la Francophonie, OIF) et spécialisées (Agence universitaire de la francophonie, Association des maires francophones, Alliances françaises, etc.) ont été mises en place pour réaliser ce projet.
Un grand regroupement, mais des acteurs et des enjeux qui ne s’harmonisent pas
L’OIF regroupe 88 pays sur les cinq continents, ayant en commun l’usage du français à divers degrés. Dans certains, à l’instar de la France bien entendu, le français est la langue maternelle de la très grande majorité de la population. Dans d’autres pays, notamment africains, le français est souvent la langue officielle, c’est-à-dire celle employée par l’administration et l’école, sans nécessairement être la langue parlée au sein du foyer familial. Enfin, certains pays (par exemple l’Arménie, la Roumanie ou le Cambodge) font également partie de l’OIF, alors que le français n’y est pratiqué que par une minorité de la population, généralement du fait d’un héritage historique important.
Cette extension géographique du français – qui lui confère, avec l’anglais, le statut de langue mondiale – a été favorisée par des phénomènes historiques (notamment la colonisation) et en partie entretenue par la bipolarisation du monde issue de la guerre froide.
Aujourd’hui, la réalité et le devenir de l’espace francophone, ainsi que les missions que s’assigne l’OIF, suscitent bon nombre de questionnements.
Une francophonie qui ne concerne que les élites
La francophonie constitue pour la France un moyen de déployer son soft power, notamment en tant que levier diplomatique mondial. Mais qu’en est-il pour les autres membres de l’OIF, notamment les pays africains ?
Dans le cadre des pays africains, c’est essentiellement l’élite qui maîtrise le français – et cela, depuis la période coloniale. De même que l’accès au statut d’indigène évolué sous la colonisation, l’accès, de nos jours, à l’élite des pays africains se fait souvent, de nos jours, sur la base d’une instruction et de diplômes obtenus en français et/ou en France.
Les élites politiques ne semblent voir dans la francophonie qu’un moyen de conquête et de conservation du pouvoir d’État. Les sommets franco-africains qui réunissent les chefs d'État s’inscrivent dans cette logique. Il en va de même pour les autres élites, notamment universitaires.
Les peuples sont exclus des bénéfices de la francophonie et même la subissent, étant donné que le français constitue la langue de l’administration et de l’école.
L’Afrique, terre des luttes linguistiques à venir
Peut-on continuer à fonder l’espace francophone et son devenir sur la base de ces bénéfices individuels ?
Le nombre de francophones est estimé en 2018 à 300 millions à l’échelle mondiale, selon l’OIF. Ce chiffre passera à 700 millions en 2050 et à plus d’un milliard en 2065.
À cette date, parmi l’ensemble des locuteurs du français, 85 % seront en Afrique. L’Observatoire de la Francophonie estime, à cet égard, que la croissance démographique de l’Afrique subsaharienne va se répercuter sur l’équilibre des espaces linguistiques, contribuant à les recentrer sur ce continent. D’ailleurs, le plus gros contingent du Commonwealth, principal rival de la Francophonie, se trouve en Afrique et compte 2,4 milliards d’habitants.
À cette première donne s’ajoute la concurrence liée à l’arrivée, entre autres, de la Chine et du mandarin qu’elle diffuse dans sa stratégie de positionnement sur l’échiquier mondial. Le continent africain constitue une terre de prédilection pour cette extension, qui se met déjà en place via des politiques culturelles très offensives. Tout cela achève de placer l’Afrique au cœur des logiques de reconfiguration du monde.
Quelles perspectives pour l’espace francophone ?
Cette double situation nous conduit à nous interroger sur le devenir de l’espace francophone. La francophonie pourra-t-elle se limiter à promouvoir le français comme langue des élites en excluant les peuples ? Ceux-ci vont-ils se contenter de parler le français en étant exclus des bénéfices concrets ou en n’en retirant que de simples bénéfices de circonstance ? Que signifient les valeurs de démocratie promues par la francophonie si elles ne s’accompagnent pas d’accès à l’eau potable, aux soins, à l’éducation de qualité… en un mot au progrès politique, économique et social ?
Les pouvoirs politiques, notamment africains, pourront-ils maintenir encore longtemps les peuples dans la francophonie, qui n’est guère synonyme de prospérité pour ces derniers ? À l’évidence non, au vu des processus de reconfiguration des migrations à l’œuvre. Plusieurs études confirment ces tendances.
À cette première donne s’ajoute la concurrence liée à l’arrivée, entre autres, de la Chine et du mandarin qu’elle diffuse dans sa stratégie de positionnement sur l’échiquier mondial. Le continent africain constitue une terre de prédilection pour cette extension, qui se met déjà en place via des politiques culturelles très offensives. Tout cela achève de placer l’Afrique au cœur des logiques de reconfiguration du monde.
Quelles perspectives pour l’espace francophone ?
Cette double situation nous conduit à nous interroger sur le devenir de l’espace francophone. La francophonie pourra-t-elle se limiter à promouvoir le français comme langue des élites en excluant les peuples ? Ceux-ci vont-ils se contenter de parler le français en étant exclus des bénéfices concrets ou en n’en retirant que de simples bénéfices de circonstance ? Que signifient les valeurs de démocratie promues par la francophonie si elles ne s’accompagnent pas d’accès à l’eau potable, aux soins, à l’éducation de qualité… en un mot au progrès politique, économique et social ?
Les pouvoirs politiques, notamment africains, pourront-ils maintenir encore longtemps les peuples dans la francophonie, qui n’est guère synonyme de prospérité pour ces derniers ? À l’évidence non, au vu des processus de reconfiguration des migrations à l’œuvre. Plusieurs études confirment ces tendances.
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