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La relance économique vue et analysée par Noureddine El Aoufi – Partie 2 –

La relance économique vue et analysée par Noureddine El Aoufi – Partie 2 –

La relance post-Covid-19 est sur toutes les bouches. Quel secteur prioriser ? Quel secteur soutenir ? Qui pour faire quoi et comment ? Chacun y va de sa vision, de sa conception et de ses propositions. Nous faisons ici le tour de la question avec Pr Noureddine El Aoufi, universitaire et président de l’Association marocaine des sciences économiques. Interview.

Pour notre interlocuteur, également membre de la Commission Spéciale sur le Modèle de Développement (CSMD), il s’agit en somme de «penser mondial, produire, consommer et innover marocain».

Que peut-on faire pour une relance rapide et sécurisée, vu que le pays est quasiment entré en récession ?

On attend le plan de relance du gouvernement et, dans l’immédiat, la révision de la loi de finances 2020. On connaît le plan de relance de la CGEM et ses « doléances», devenues redondantes, adressées à l’Etat comme, par exemple, « le maintien de l’o?re et une stimulation de la demande nationale et internationale », la «réduction des pertes et charges ?xes », un « ?nancement de long terme conditionné au maintien de l’emploi formel avec partage des pertes entre l’État, l’entreprise et les salariés », la « formalisation de l’économie et l’extension du modèle social, notamment en termes de couverture maladie», « l’o?re de relocalisation pour les chaînes de valeur internationales et la promotion du Made in Morocco », la « promotion de l’investissement dans les nouveaux secteurs porteurs et les nouveaux modes de consommation ».

Force est de constater que, sur certains points précis, et le diable est dans le détail, la CGEM semble focaliser ses doléances sur l’offre au détriment de la demande. Elle a tort. La crise étant à la fois une crise d’offre et de demande, la solution est à l’avenant : faire démarrer la machine productive, stimuler l’offre par, entre autres, des facilités fiscales et des subventions d’une part, de l’autre une relance par la demande et la consommation des ménages. Toute sortie de crise qui viserait à réduire les emplois ou à comprimer les salaires est vouée à l’échec dans la mesure où par ses effets négatifs elle ne peut que neutraliser, voire contrebalancer les gains obtenus par la relance de l’offre.

Le plan de relance du gouvernement doit transcender un tel corporatisme et viser l’intérêt général comme objectif ultime. C’est la demande effective, au sens keynésien, qui est le levier principal. Il faut, en même temps, conjuguer deux effets interactifs et complémentaires : l’effet multiplicateur de l’investissement productif d’une part, l’effet accélérateur de consommation des ménages, notamment des catégories populaires qui ont une propension marginale à dépenser ce qu’elles gagnent comme salaire ou revenu, de l’autre.

Deux orientations me semblent pertinentes et cohérentes. Tout d’abord, la commande publique doit privilégier les entreprises et les activités les plus fragiles, qui produisent pour le marché national et dont les inputs, bruts ou transformés, sont pour l’essentiel des inputs nationaux. C’est, par ailleurs, par ce moyen qu’on pourrait réduire le déficit de la balance commerciale et réaliser des économies de devises.

Ensuite, l’aide apportée aux catégories les plus vulnérables et aux personnes trouvant leur subsistance dans l’informel de survie est un impératif social qui réhabilite un rôle primordial de l’Etat, l’Etat protecteur en l’occurrence, à côté de ses autres rôles économiques de régulation, d’investissement et de planification stratégique.

D’autres secteurs, notamment la santé et l’enseignement ont montré bien des lacunes pendant cette crise. Quelles solutions pour leur mise à niveau ?

Encore une fois la pandémie a démontré ce qui n’était plus à démontrer depuis plusieurs années, en l’occurrence que l’éducation et la santé sont les deux domaines hautement stratégiques qui ont été les plus cannibalisés par les politiques néolibérales. Le Rapport du Cinquantenaire avait déjà établi, en 2006, ce constat accablant, sans appel.

Depuis, on a persévéré dans la même fausse direction avec une option de privatisation qui a contribué à creuser à la fois les déficits et les inégalités en matière d’éducation et de santé.

Pour enrayer cette spirale de dévalorisation du capital humain, pour éviter les goulots d’étranglement, il n’y a pas trente six solutions : l’Etat doit investir massivement dans ces deux secteurs clés. Le multiplicateur budgétaire des dépenses affectées aux capacités humaines est des plus élevés si on considère le rendement global et cumulatif à moyen long terme.

L’éducation et la santé ne doivent plus être considérées comme une dépense sociale, voire un coût, mais comme un investissement stratégique. Le privé n’est pas l’alternative, sa cible ou sa clientèle solvable ne concerne qu’une fraction étroite de la population aux besoins spécifiques, soit 10% tout au plus. Plusieurs études l’ont montré ces dernières années, même les fractions supérieures de la classe moyenne ont du mal à se maintenir sur le segment privé.

Le cycle économique de nombreux secteurs a cessé totalement ou partiellement, et le tourisme apparaît comme le plus impacté du fait de l’arrêt complet de ses activités. Selon vous, quelles sont les mesures à prendre pour limiter les dégâts et sauver ce qui peut encore l’être ?

L’après covid19 laisse entrevoir une bifurcation économique marquée, au niveau mondial, par une configuration industrielle différente et une combinatoire sectorielle aussi différente. On a vu s’installer, bien avant la pandémie, les conditions de la transformation digitale en relation avec la révolution industrielle 4.0.

Parallèlement, les changements climatiques ont fini par imposer à une majorité de pays, en dépit du jeu type « dilemme du prisonnier » des USA, la prise en charge de la transition écologique. A ces deux processus, la digitalisation et la durabilité, correspond un régime industriel susceptible d’engendrer un mouvement schumpetérien de « destruction créatrice » dans lequel le savoir, l’innovation, la recherche/développement vont jouer un rôle sans précédent. L’avantage compétitif des nations est en train de changer de base.

Désormais, ce n’est pas la compétitivité salariale qui est déterminante, mais la compétitivité qualitative, et celle-ci implique un type nouveau d’entreprises, des « entreprises de droit » appliquant scrupuleusement la législation du travail et respectant les normes sociales et environnementales.

Le Maroc doit anticiper ces évolutions profondes, qui vont aller crescendo, et opérer les ruptures nécessaires. Le Plan de relance doit fixer les nouvelles priorités en sélectionnant trois ensembles d’industries : d’abord, les industries stratégiques et vitales répondant aux besoins essentiels de la population et assurant la sécurité alimentaire, énergétique, sanitaire. Ensuite, les industries de la vie (secteur pharmaceutique, hygiène, prévention, services à la personne, agriculture vivrière, culture, arts et métiers de l’artisanat, etc.). Enfin, les industries d’avenir (énergies renouvelables, numérique et communication, commerce et distribution, biotechnologies, tourisme culturel et patrimonial).

Bank Al-Maghrib vient de donner le la en procédant le 16 juin 2020 à une réduction du taux directeur de 50 points de base en te ramenant à 1,5% et en libérant intégralement le compte de réserve au profit des banques.

Ces mesures, avec d’autres comme l’assouplissement des règles prudentielles peuvent contribuer à réengager notre pays sur un nouveau sentier de développement.

Je viens de publier un ouvrage collectif intitulé Made in Maroc, Made in Monde (téléchargeable sur le site www.ledmaroc.ma). La conclusion tient dans ce « pitch » : « penser mondial, produire, consommer et innover marocain ».

Le 24 juin 2020

Source web par : hespress

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