Pierre Failler et Ewan Trégarot : « Protéger un écosystème, ça ne coûte pas très cher, et ça rapporte beaucoup ! »

Pierre Failler et Ewan Trégarot, de l’université de Portsmouth, ont coordonné une étude inédite financée par le Fonds français pour l'environnement mondial (FFEM) : l’évaluation monétaire des services écologiques rendus par le parc national du banc d’Arguin, en Mauritanie. Leurs conclusions pointent la valeur exceptionnelle de ce parc et son rôle essentiel de barrière contre les changements climatiques.
Comment étudier la valeur monétaire d’un parc comme le banc d'Arguin ?
Nous avons étudié la valeur d’usage direct, comme la pêche ou le tourisme, la valeur d’usage indirect, comme la séquestration du carbone, le rôle de nurserie pour les poissons et la bioremédiation ou encore la valeur de non-usage, c’est-à-dire l’existence, le legs pour les générations futures. C'est le concept de valeur économique totale (VET) qui offre le cadre conceptuel à même de prendre en compte l’ensemble de ces valeurs.
Ce type d’étude se pratique depuis la fin des années 80, mais aucune étude complète n’existait sur le PNBA, qui est l’une des plus grandes et plus anciennes aires protégées d’Afrique de l’Ouest.
Nous avons donc eu la possibilité de dresser un état de santé de cet espace et de quantifier les services rendus. Au total, la valeur monétaire annuelle des principaux services de régulation et d’approvisionnement est estimée à 200 millions €/an. Rapportée à la surface du parc, cette valeur s’élève à 40 000 €/km2/an.
À titre de comparaison, la valeur des services principaux rendus par les cinq aires marines protégées en Afrique de l’Ouest (Langue de Barbarie au Sénégal, Rio Cacheu et Urok en Guinée Bissau, Tristao et Alcatras en Guinée et Santa Luzia au Cap-Vert) atteint 26 000 €/km2/an pour une valeur totale de 35 millions €/an pour les cinq AMP combinées. La valeur du PNBA est donc relativement plus importante.
Quel est le « service » qui donne le plus de valeur à ce parc ?
Dans le cas du PNBA, le service de séquestration du carbone fourni par les herbiers marins est le plus important : environ 40 % de la valeur totale. Les herbiers du parc sont en effet très vastes, presque 700 km2, une surface qui est probablement sous-estimée lors de l’analyse des images satellite étant donné la turbidité de l’eau.
Rappelons qu’à l’échelle mondiale, les herbiers stockent 10 à 15 % du carbone organique océanique : ils jouent un rôle majeur de puits de carbone. Le carbone est stocké à la fois dans la biomasse vivante (feuilles, rhizome, racines) et dans le sédiment. Cette fraction de carbone stockée dans le sédiment est le résultat d’un processus de séquestration à très long terme… Les herbiers ont donc une capacité de stockage considérable.
À l’échelle de la Mauritanie, 11 % du total des émissions de gaz à effet de serre (GES) du pays sont séquestrées par les écosystèmes marins du PNBA. D’après les prévisions, la rive nord du fleuve Sénégal, autre lieu de séquestration important, pourrait devenir désertique à l’horizon 2100. Les herbiers du parc seraient alors le seul grand puits de carbone du pays.
Les fédérations de pêche voudraient ouvrir le parc aux flottes artisanales du nord du pays. Elles voient le parc comme un seul et simple réservoir à poissons… C’est en effet un réservoir – dans le cadre de l’étude, nos collègues de l’Institut océanographique mauritanien (IMROP) ont estimé que 20 % de la biomasse pêchée dans la ZEE mauritanienne vient du PNBA – mais c’est aussi bien plus que ça ! Son rôle de puits de carbone est considérable.
Tout savoir sur l'action de l'AFD en faveur de la protection de la biodiversité
Quels enseignements tirez-vous de ce travail ?
Cette étude a permis d’avoir une vision générale de l’état de cet écosystème et de sa valeur. Il est bien sûr vain de réduire un espace naturel à sa seule valeur monétaire, mais celle-ci peut être un bon support de dialogue avec l’ensemble des parties prenantes. Cela permet de montrer que la gestion d’un tel parc ne coûte pas si cher, 1 à 2 millions d’euros par an, alors qu’il en rapporte presque 200 millions si l’on prend en compte l’ensemble des services rendus. Cela sans compter d’autres services qui n’ont pu être monétarisés dans cette étude, notamment ceux rendus par les oiseaux, et qui méritent une attention bien particulière.
Le PNBA, et plus généralement les écosystèmes protégés, ont de la valeur. La protection donne de la valeur, et accroît la résilience des écosystèmes face aux perturbations anthropiques et climatiques. Les écosystèmes en bonne santé fournissent plus de services et sont plus résistants. Au fond, protégé, ça ne coûte pas très cher, et ça rapporte beaucoup !
À la lumière de cette étude, quels défis pour le PNBA et les autorités mauritaniennes ?
La pollution, notamment plastique, est un vrai problème. Celle-ci vient notamment de débris d’engins de pêche des pirogues qui évoluent à l’extérieur du parc. Elle est aussi importante autour des villages qui ne disposent d’aucune solution pour la traiter. On ne prend actuellement pas assez la mesure de cette pollution et de ses conséquences à moyen et long terme.
Globalement, il nous semble que les autorités mauritaniennes ne se rendent pas encore compte de l’opportunité que représente le parc en matière climatique. L’approche est encore très largement ciblée sur la conservation de la biodiversité. Or, le parc contribuera à 20 % de l’engagement de réduction de GES pris par le pays dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat. C’est considérable. On est là dans une contribution immédiate à un coût très faible. C’est un atout exceptionnel qui rend ce parc plus précieux encore.
L’AFD soutient les activités du parc national du banc d’Arguin via le BaCoMab, un fonds fiduciaire de conservation mauritanien.
L’étude d'évaluation des services écosystémiques du banc d’Arguin a été publiée en décembre 2018.
Le 18 août 2019
Source web Par afd
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