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Mariage précoce des filles : les pratiques culturelles continuent de résister à la loi

Mariage précoce des filles : les pratiques culturelles continuent de résister à la loi

Le Maroc enregistre le taux le plus élevé en comparaison avec la Turquie et la Tunisie. La vulnérabilité économique et la non-scolarisation en sont les principales causes. Le nombre d’unions précoces a chuté de 13% entre 2004 et 2014.

La Moudawana de 2004, dans son article 19, a fixé l’âge de la capacité matrimoniale à 18 ans pour les filles. Celle-ci était auparavant fixée à 15 ans. Le nouveau code de la famille a ainsi procédé à un alignement sur l’âge légal de mariage des hommes. Sur le papier, c’est une avancée en ce qui concerne l’égalité hommes et femmes au niveau de tous les droits et particulièrement le principe de non-discrimination fondée sur le sexe. Et selon plusieurs adouls, l’impact de cette mesure est palpable. Pour preuve, l’évaluation des dix années d’application du Code de la Famille (2004-2014) laisse apparaître un recul du nombre d’unions précoces. On en a enregistré 48 300 en 2014 contre 55 379 dix ans plutôt. Le bilan montre également que les filles demeurent les principales concernées avec une proportion de 94,8% du total des mineurs mariés, et 32,1% des filles mineures mariées ont déjà au moins un enfant. Par ailleurs, il ressort de l’étude que 30% des jeunes filles de 15 à 24 ans ont déjà contracté un premier mariage contre 3,8% seulement de jeunes hommes et la majorité de ces filles (87,7%) sont des femmes au foyer. Des indicateurs qui, dit-on dans le milieu associatif, démontrent une très faible autonomisation des filles au Maroc et en particulier dans les zones rurales. L’autonomisation des jeunes filles étant, rappelons-le, un des objectifs prioritaires de la Déclaration du Millénaire de l’Organisation des Nations Unies signée en 2000. Partant de cet état des lieux, il est utile, d’une part, de se pencher sur la place du Maroc par rapport à d’autres pays de la région et, d’autre part, de savoir s’il existe un lien entre les conditions socioéconomiques et la pratique du mariage précoce.

L’association Droit & Justice a publié, à la veille de la Journée mondiale de la femme, les conclusions d’un benchmarking, réalisé en 2016, sur le mariage des mineurs dans la région MENA. Cette approche comparative entre le Maroc, la Tunisie et la Turquie permet de constater, de prime abord, que les unions contractées à moins de 15 ans sont très rares dans les trois pays. Mais leur taux reste plus élevé au Maroc. Soit 3%, contre 0% en Tunisie et 1% en Turquie, dont le Code pénal prévoit une peine d’emprisonnement allant de deux à six mois pour le mariage en dessous de 15 ans.  On notera également que le Maroc et la Turquie sont mal placés en ce qui concerne le mariage en dessous de l’âge légal de capacité matrimoniale avec un taux respectif de 16% et 15%. En Tunisie, le mariage à moins de 18 ans représente seulement 2% des unions contractées dans le pays.

L’évolution du mariage des mineurs au Maroc, à la lumière des statistiques fournies par l’association Droit & Justice, démontre un taux moyen de 11% durant les dix années d’application de la Moudawana. La tendance a en effet fluctué entre 10 et 11,99% depuis 2011. Au-delà de l’évolution du mariage précoce, l’étude de l’association a également révélé les caractéristiques des mariages des mineurs. On retiendra que les demandes en mariage sont en grande majorité, soit 99,34%, formulées par des femmes.

La vulnérabilité et la non-scolarisation, deux causes du mariage précoce

Ainsi, par exemple, en 2011, sur les 47828 demandes, 89,56% ont été acceptées par les juges. Autre donnée à retenir : 47,24% des filles ayant fait une demande en mariage sont sans emploi. Partant de ces deux conclusions ont pu être dégagées les caractéristiques du mariage précoce. Ainsi, la mariée mineure type est «une jeune fille sans emploi, sans distinction du milieu de résidence, urbain ou rural». Ce qui permet, par ailleurs, d’imaginer dans quelle mesure les conditions socioéconomiques et culturelles affectent la pratique du mariage des mineurs.

L’étude de terrain menée par l’association Droit & Justice a établi que «la vulnérabilité économique des filles mineures ainsi que la difficulté d’accès à l’école sont les causes principales de ce phénomène». Ce sont d’ailleurs les deux principaux motifs avancés par les juges pour autoriser un mariage en dessous de l’âge légal de la capacité matrimoniale. En effet, il importe de noter que l’article 19 du Code de la Famille a certes fixé l’âge légal du mariage pour les deux sexes. Mais le juge dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour autoriser une union à titre exceptionnel.

Afin de mieux cerner la pratique du mariage précoce, il importe, estiment les responsables de l’association, de considérer la variable éducation. En dix ans, et malgré l’adoption du nouveau code de la famille en 2004, le taux de scolarisation des filles en milieu rural n’a pas connu un grand changement. Les résultats de 2014 montrent que le taux de pré-scolarisation des garçons est supérieur à celui des filles de 6,3% à l’âge de 3 ans, et de 10,5% à l’âge de 5 ans. Et l’écart n’a fait que se creuser avec l’âge.

En 2014, une fille sur dix, âgée de 7 à 12 ans, n’a encore jamais été scolarisée. Ce qui explique le taux d’analphabétisme chez les jeunes filles dont l’âge varie de 15 à 24 ans. Il se situe à 14,8 % et représente ainsi le double de celui des garçons du même âge. Par ailleurs, le benchmark démontre que la généralisation de la scolarisation au sein de l’école primaire n’est pas acquise au Maroc, contrairement à la Turquie et la Tunisie où son taux est respectivement de 99,55 % et 99,4%. «Il existe bel et bien une corrélation entre l’accès à l’école et le mariage des mineurs, sachant qu’il y a moins de mariages précoces dans ces deux pays», avancent des sources de l’association qui ne manquent pas de signaler que l’inégalité entre les sexes apparaît aussi au niveau de la participation féminine à l’activité économique du pays. Une enquête nationale menée en 2016 sur l’emploi a révélé que 24,6 % des filles de 15 à 17 ans «ne travaillent pas, ne sont pas à l’école et ne suivent aucune formation», contre seulement 5,1% pour les garçons. Dans le milieu associatif, on estime que «ces indicateurs ne sont pas surprenants dans la mesure où ils découlent de l’absence d’une vision stratégique de la part des acteurs politiques pour l’amélioration de la situation de la femme».

Les associations demandent la suppression de l’artic le 21 de la Moudawana

D’après le recensement général de la population et de l’habitat de 2014, le taux d’activité des jeunes âgés de 15 à 24 ans atteint 52,6% chez les jeunes hommes contre 17,9% chez les jeunes filles. Pour les tranches d’âge supérieures à 24 ans, le taux d’activité économique est de l’ordre de 75,5% chez les hommes alors que celui des femmes atteint à peine 20,4%. Une des raisons de cette faible participation des jeunes filles réside, d’après les associations, «dans la pratique, courante dans le milieu rural, du mariage précoce. Une union qui n’est souvent officialisée que par la lecture de la sourate Al Fatiha, malgré l’article 16 du code la famille stipulant que le document de l’acte de mariage constitue la seule preuve valable de l’union de deux personnes».

Le lien entre la non-scolarisation et la faible participation économique des jeunes filles et le mariage précoce est donc évident. Et la réalité sociale démontre, selon le travail de terrain des diverses associations féminines, dont l’Association démocratique des femmes du Maroc ou encore l’Union de l’action féminine, les conséquences de cette pratique sur les filles. Elles sont souvent, dit-on dans les centres d’écoute, victimes de violences et leurs unions se soldent fréquemment par le divorce. Selon la Coalition du printemps de la dignité, qui œuvre pour la protection des droits des femmes, «le mariage des mineurs est l’une des principales causes du divorce en raison de leur manque de maturité, de leur irresponsabilité et leur incapacité à assumer leur choix». Et d’ajouter que «le mariage des mineurs est à la fois la cause et la conséquence de la féminisation de la pauvreté». Et selon l’Organisation mondiale de la santé, «le mariage des mineurs signifie souvent la fin de l’éducation pour les filles et entraîne des conséquences sur la santé des jeunes. Ainsi, les complications de la grossesse et de l’accouchement sont les principales causes de décès chez les jeunes filles âgées de 15 à 19 ans. Outre les conséquences physiques, le mariage des mineurs risque d’entraîner des maladies psychiques». Les diverses associations et autres organisations reconnaissent, à travers leurs études et enquêtes de terrain, que le mariage en deçà de l’âge légal fixé par la loi est à l’origine de privations multiples au niveau de l’épanouissement personnel des jeunes filles, de la santé psychique et physique, de l’éducation et de la stabilité familiale. Autant de raisons qui expliquent l’engagement des militantes pour mettre fin à cette pratique. Leurs recommandations sont relatives au juridique, à l’éducation, à l’institutionnel… Ainsi, en ce qui concerne le volet juridique, il est recommandé l’interdiction du mariage des mineurs de moins de 18 ans qui est prévu dans l’article 21 du Code de la Famille. En effet, en vertu dudit article, le juge de la famille chargé du mariage est autorisé à permettre le  mariage du garçon et de la fille avant l’âge de la capacité prévu à l’article 19 du Code de la Famille. La décision est motivée par l’intérêt et les motifs justifiant ce mariage, après  avoir entendu les parents du mineur ou son représentant légal, et après avoir eu recours à une expertise médicale ou procédé à une enquête sociale. La décision du juge autorisant le mariage d’un mineur n’est susceptible d’aucun  recours. Par ailleurs, les associations réclament la suppression de l’article 21 qui stipule que «le mariage du mineur est  subordonné à l’approbation de son représentant légal. L’approbation du représentant légal est constatée par sa signature apposée avec celle du mineur sur la demande d’autorisation de mariage et par  sa présence lors de la conclusion du mariage». Ce qui ôte toute liberté de choix aux jeunes concernés.

Au niveau de l’éducation, il est recommandé de garantir l’information à la santé sexuelle, la procréation et les risques encourus à un âge immature. Enfin, il faut veiller à l’obligation scolaire pour les jeunes filles et garçons aussi bien dans les villes qu’en milieu rural. Les associations soulignent la nécessité des campagnes de sensibilisation, de l’appui à l’accès à la justice pour tous les citoyens et en particulier les adolescentes, et ce, à travers la mise en place de centres d’écoute.

Le 21 mars 2018

Source Web : La Vie Eco

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