Maroc : le projet de société existe et il est islamiste...

Dès lors qu’on a supprimé l'enseignement de la philosophie et de la sociologie dans les facs de sciences humaines pour y installer des centres islamiques naissait un nouveau projet de société. Celui-ci allait se construire sur le mode de la « protection d'une religion menacée ». Sa ligne directrice s’appuyait sur le mythe d’un complot international visant l’islam. Il fallait contrecarrer les étudiants marxistes, porteurs d’une menace imminente pour la foi du Marocain. L'objectif étant de sauver le culte d'une menace d'extinction, il devenait impératif d’asseoir sa suprématie avec autorité, clamer, se convaincre que les musulmans sont les meilleurs, sont supérieurs, que la Vérité relevait de leur monopole. Cette surenchère a mis du vent dans les voiles des radicaux et a porté le mythe unificateur du Maroc jusqu'à nos jours.
Seul projet de société identifiable, fort, prégnant, l'islamisation de la société a constitué la boussole idéologique majeure du royaume durant les quarante dernières années. La tentative de l'Etat de vendre un contre-projet articulé autour du binôme tradition et modernité a lamentablement échoué. Elle s'est faite laminer par les tenants d'un islam rigoriste, holistique, régissant les relations humaines, l'intime, le conjugal, le lien si personnel entre Dieu et l'homme. L'incapacité du Pouvoir à séparer la mosquée et l'Etat, Big bang jugé trop risqué, impliquant une laïcisation des esprits contraire à l'ADN même du royaume, a doté le dogme une capacité de recrutement nucléaire, foudroyante comme l’éclair. Transposée à notre époque, il n’est pas certain que la réforme, en 2002, de la Moudawana, ait une chance d’aboutir. En seize ans, le conservatisme religieux a eu le temps de cadenasser les esprits.
Le projet de modernisation de la société qu'appellent de leurs vœux les intellectuels « éclairés » et l'élite occidentalisée, existe, mais il est fœtal, minuscule, il s’exprime par le biais de pétitions futiles, hélas, contre le ta’sib, la violence faite aux femmes et l’inégalité dans l’héritage. Microscopique, porté par une frange inaudible de l’intelligentsia, il est inopérant et fait ricaner la partie adverse, puissante machine déchaînée, sûre de son bon droit, juchée sur l’autel de la supériorité numérique. Mieux, La lobotomisation forcée des Marocains par une école de l’échec fournit les troupes nécessaires à la pérennité d’une idéologie qui s’enracine. Plus l’école produit de l’abandon (6 millions d’élèves en 18 ans), plus la force d’enrôlement des radicaux décuple. D’ailleurs, on entend rarement sinon jamais les islamistes pleurer au chevet du cadavre à la renverse qu’est l’enseignement public. Pourquoi tirer sur un système qui fait votre succès ?
L’idéologie islamiste règne donc seule, en maîtresse absolue, elle a la majorité de son côté, les femmes elles-mêmes s’insurgent contre toute tentative progressiste d’encourager leur émancipation. Qu’une Asmae Lamrabet ose remettre en cause l’hégémonie du dogme et elle est jugée décadente, dangereuse et poussée à la marge de l’ijtihad. Qu’un chercheur conteste la vraisemblance scientifique de Sahih al-Boukhari et son livre est officiellement interdit. Dans le même temps, les bavardages futiles du conseil supérieur de l’Education nourrissent la noria de l’impuissance. Il n’en sortira jamais rien qui puisse contrecarrer le pacte social qui cimente désormais les Marocains, autrement dit le le projet de société islamiste triomphant. Inutile de s’en cacher...
Débarrassé de toute entrave, jouissant d’une concurrence zéro, ce projet prospère, il s'étend, il altère en profondeur la physionomie du pays, il organise des micro-solidarités locales, optimise la rareté des ressources, plaque son propre modèle social là où celui de l’Etat ne génère qu’inégalités et exclusion. Le voile se banalise, le Salafisme se normalise, les prêches borderline pullulent, les barbes s’allongent, chacun bricole sa foi et ses convictions à la carte et s’empresse de moraliser son voisin. Les jeunes y trouvent écho à une condition de vie mauvaise, se résumant à un marché de l'emploi aux portes soudées, apanage des héritiers d'une bourgeoisie francisée.
Ce projet de société est, de plus, dopé par une législation liberticide frappant l'amour, le corps, la mobilité sociale, l'égalité des chances et l'épanouissement de la femme d'un interdit définitif. Du coup, faute de se tourner vers le présent ou l'avenir, on se tourne vers l'au-delà. Les fantassins du discours radical font miroiter des rivières de vins et une rangée de houris offertes aux pulsions brûlantes des jeunes fidèles. Le projet est imparable, il promet tout, mais n'est tenu à aucun engagement. Le royaume des cieux est le lieu de la promesse éternelle, là se trouve la récompense suprême. L'école, les colonies de vacances publiques, préemptées par les caporaux obéissants de l'idéologie dominante fabriquent de parfaits petits gardiens du temple. C’est ainsi que l'ouverture au monde se rabougrit à mesure que les esprits se contractent, s'emplissent d'une antimatière biliaire qui gèle la possibilité d'un rapport paisible à l'altérité. Une tectonique subtile des plaques est à l’œuvre qui nous fait voguer vers des lendemains d'unanimisme, des lendemains condamnant la parole minoritaire, l'aspiration au progrès.
Demain ne sera pas un autre jour, mais l'aggravation d'un présent où les symptômes de la déchéance se font éclatants devant les paupières et les lèvres suturées des élites gouvernantes, satisfaites peut-être de ces sombres évolutions, satisfaites d'un peuple résigné, oisif, regardant à l'unisson vers le ciel d'où viendra le salut…
Satisfaite d’un désastre…
Peur.
Le 06 Avril 2018
Source Web : Mondistain
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