Une alerte du parquet : comment des familles contournent la loi et marient leurs enfants mineurs

La présidence du parquet appelle à ériger cet agissement en infraction pénale. Le mariage coutumier des mineures, des "chiffres noirs" qui échappent aux radars. Des techniques pour contourner le refus d'un juge, ou pour en anéantir les effets.
Lutter contre le mariage des mineures, c’est une chose. Incriminer ce type d’unions lorsqu’il est souscrit par « Fatiha », c’en est une autre. Et c’est précisément ce que recommande la présidence du ministère public. Dans une étude récemment dévoilée, l’institution dirigée par El Hassan Daki appelle le législateur à ériger cet agissement en infraction pénale.
Ce point fait partie d’une série de recommandations contenues dans une étude dédiée au mariage des mineures. Menée par la Présidence, l’enquête détaillée restitue les données couvrant les années 2015 à 2019.
En 5 ans, les juridictions marocaines ont autorisé 80.599 mariages de mineures. Un chiffre en soi effarant. Sauf que parallèlement et en plus de ces statistiques, l’étude a relevé plus de 13.000 jugements en reconnaissance de mariage où l’une ou les deux parties étaient mineures.
Abandonné depuis février 2019, ce recours permettait aux conjoints d’obtenir, a posteriori, l’homologation judiciaire d’un lien conjugal passé sans acte de mariage, dit « mariage coutumier ». La pratique a démontré que cet outil est également un moyen d’esquiver ou court-circuiter la procédure spécifique au mariage des mineurs, théoriquement plus contraignante.
La présidence du parquet y voit un moyen de « contourner la volonté du législateur qui consacre une procédure précise et entourée de garanties exceptionnelles ». Cela renvoie, surtout, à l’existence d’un canal parallèle, qui échappe aux radars des autorités judiciaires. L’action en reconnaissance du mariage permet d’en capter une partie. Quid des mariages coutumiers impliquant des mineures et qui n’ont jamais été authentifiés ? Le ministère public évoque un « chiffre noir additionnel qui n’apparait pas dans les statistiques officielles » du mariage précoce.
Les techniques pour acculer les juges
Sollicitées par Médias24, des sources judiciaires spécialisées nous décrivent l’existence d’un système de fraude, qui prend le plus souvent deux cas de figures:
Le premier concerne des parents qui, « anticipant le refus du mariage de leur enfant, organisent tout de même une cérémonie coutumière. A charge, pour les deux conjoints, d’initier quelques années plus tard une action en reconnaissance de mariage ».
Dans le deuxième cas, il ne s’agit pas d’anticiper un refus éventuel, mais de « désactiver les effets d’un refus réel du tribunal». C’est le cas typique d’un mariage rejeté après expertise médicale, déclarant la fille physiquement inapte à la procréation. Les parents décident alors de sceller le mariage par Fatiha. Là aussi, les deux mariés reviennent des années plus tard pour authentifier leur union. « Quand leur demande est acceptée, le jugement agit de manière rétroactive. C’est-à-dire que le juge se retrouve, malgré lui, à authentifier un mariage de mineur rejeté quelques années plus tôt, et à juste titre, par son confrère ».
Un point commun entre les deux cas : L’action en reconnaissance de mariage est initiée 4 ou 5 ans après le mariage coutumier. Le temps, pour la fille, d’atteindre la majorité et pour le couple, de donner naissance à des enfants. Une manière d’acculer la justice : La présence d’enfants garantit souvent la validation de l’action.
Pire, un réseau de falsification des mariages est sous enquête à Marrakech, apprend Médias24 de source judiciaire.
L’action en reconnaissance de mariage n’est plus, le mariage par Fatiha persiste
Ce type d’actions avait été autorisé pendant les 15 ans suivant l’entrée en vigueur de la nouvelle Moudawana, qui lui consacrait son article 16. Cette période transitoire devait ouvrir la voie à la régularisation des mariages sans acte. Officiellement, ces recours ont été fermés le 5 février 2019, sous le ministre de la Justice Mohamed Aujjar. Ce dernier évoquait « un moratoire » en attendant le lancement d’une étude dédiée.
Dans les faits, les juridictions continuent de recevoir ces demandes et, parfois, de les accepter. Médias24 dispose de la copie d’un jugement rendu le 29 septembre 2021 (tribunal de la famille, Marrakech). Il authentifie un mariage coutumier sous prétexte qu’il remonte à 2019, période où l’article 16 était encore en vigueur.
Qu’elle existe encore ou à moindre mesure, l’action en reconnaissance de mariage n’est pas, à elle seule, problématique. En formulant sa recommandation, la Présidence évoque l’incrimination du mariage de mineures, dès lors qu’il est effectué sans autorisation du juge. Autrement dit, on vise plus généralement le mariage coutumier.
Des sanctions pénales, mais à l’encontre de qui ? L’institution d’El Hassan Daki glisse quelques pistes via d’autres recommandations. La présidence appelle « à modifier les dispositions relatives au mariage forcé qui ne doit plus être conditionné par le dépôt d’une plainte ». Le chef du parquet demande la pénalisation de « l’intermédiation, quelle qu’en soit la forme, dans le mariage des mineures » mais aussi « la non dénonciation » de ces actes.
Le 4 décembre 2021
Source web Par : medias24
Les tags en relation
Les articles en relation

Mariage précoce des filles : les pratiques culturelles continuent de résister à la loi
Le Maroc enregistre le taux le plus élevé en comparaison avec la Turquie et la Tunisie. La vulnérabilité économique et la non-scolarisation en sont les pri...

Mariage des mineures : un fléau qui a la peau dure
Le Maroc célèbre ce 25 mai la Journée nationale de l’enfant, l’occasion pour confirmer l’engagement national soutenu en faveur de la promotion des droi...

Les Hôtels Marocains Suppriment les Restrictions sur les Couples et les Femmes Résidentes
Le débat sur ces restrictions, qui avaient longtemps entravé l'accès aux services hôteliers, commence à porter ses fruits. Selon des informations relay...
#MAROC_LOI_MARIAGES_MINEURES: un collectif d’associations appelle à la suppression des articles d
Ce collectif de dix associations a souligné “la nécessité d’adopter une politique ou stratégie nationale globale pour éliminer le mariage des mineures ...

Portrait-robot des mineures mariées au Maroc
Âge, situation familiale, éducation, santé… le détail d’une étude du parquet Le parquet met le phénomène du mariage des mineures à la loupe. Le m...

Entre adultes consentants
En matière de consommation d’alcool comme de sexe, force est de constater qu’on s’accommode très bien du «je pratique sans pour autant approuver ce que...

Age d’éligibilité : trop jeunes, des présidents de commune contestés en justice
Des élections annulées pour cause de candidats trop jeunes... Les juridictions marocaines sont divisées sur l’âge minimum de candidature aux élections. L...

La Chambre des conseillers convoque le ministre de la Justice sur la question de l'accès des femmes
Le débat concernant la présumée interdiction pour les femmes de séjourner dans des hôtels sans présenter d'acte de mariage prend une nouvelle dimensio...

#Maroc : RÉFORME DU CODE DE LA FAMILLE LES ATTENTES POUR 2023 de Soumaya Naamane Guessous
Nous allions terminer l’année 2022 sur une note négative. Mais nous avons été sauvés par nos Lions de l’Atlas, qui nous ont inondés de joie. L’an...

Mariage des mineures : Pourquoi le phénomène persiste
Le mariage par la Fatiha est monnaie courante chez les villageois L’absence d’un acte de mariage officiel a des conséquences très graves et plus partic...

CESE: "La situation sociale des Marocaines connaît de multiples régressions"
Dans un rapport qu’il vient d’adopter, le Conseil économique social et environnemental sonne l’alerte sur la situation sociale des femmes marocaines qui ...

Les Lois Obsolètes au Maroc : Entre Violation et Résignation
L'arsenal juridique marocain regorge de lois obsolètes, voire absurdes, que le législateur n'arrive pas à éliminer. Ces lois, on les connaît tous p...