La géopolitique en mutation de l’émotion européenne

Dominique Moïsi est conseiller spécial de l’Institut Montaigne, à Paris, et l'auteur de la Géopolitique des séries ou le triomphe de la peur.
Un nouveau triangle de l’émotion géopolitique fait son apparition en Europe: la Grande-Bretagne a cessé de se sentir supérieure à la France, et la France ne se sent plus inférieure à l’Allemagne. On est en droit de se demander si cette métamorphose des sentiments ne réalignera pas les pouvoirs en Europe et–pourquoi pas?– dans le monde.
La suite des événements, en Grande-Bretagne et en France sera décisive. On ne sait pas encore comment les Britanniques parviendront à se sortir du guêpier où eux-mêmes se sont fourrés. Et l’on ne sait pas non plus si les Français parviendront à faire fonds sur l’énergie positive de leur nouveau président, Emmanuel Macron, pour mettre en œuvre des réformes qui s’imposent plus que jamais.
Mais s’il faut compter avec ces incertitudes, les deux pays sont d’ores et déjà engagés dans une sorte de transfert d’émotion à somme nulle qu’il est impossible d’ignorer. Il suffisait autrefois d’un voyage de Paris à Londres pour sentir la différence entre les deux métropoles. Londres était toute vibrionnante de dynamisme et fière de s’affirmer comme la capitale mondiale du multiculturalisme. Paris, pourtant plus belle, indubitablement, courait le danger d’étouffer, comme Rome, dans sa gloire passée, de n’être plus la ville où il faut être, mais celle, au mieux, qu’il faut avoir vue.
Une relation plus équilibrée entre la France et l’Allemagne aura des conséquences positives et sensibles sur la stabilisation de l’Europe, dont le problème n’est pas, contrairement à ce qu’ont affirmé ses détracteurs, qu’il y ait «trop d’Allemagne», mais bien «trop peu de France» (Ph. AFP)
La confiance a aujourd’hui déserté la Grande-Bretagne, en proie aux tourmentes sociales et politiques, au terrorisme, à l’incertitude sur son avenir. Selon certains sondages d’opinion, si ceux qui ont voté pour le Brexit campent sur leurs positions, l’antagonisme avec l’Union européenne s’apaise et le désir de quitter l’UE se calme. Les électeurs semblent moins convaincus que leur départ puisse rendre le Royaume-Uni plus sûr ou répondre aux besoins des plus pauvres et des plus vulnérables.Une énergie nouvelle et positive
En France, en revanche, chacun sent une énergie nouvelle et positive. L’espoir d’un avenir meilleur est de retour, comme l’exprime le soutien massif dans l’opinion française à la candidature de Paris pour les Jeux olympiques d’été, en 2024. Voici douze ans déjà, l’accueil des Jeux avait enthousiasmé les esprits, le 6 juillet 2005, lorsque Londres avait été choisie pour la XXXe Olympiade d’été, disputée en 2012. (La joie avait été de courte durée, pourtant, car le lendemain, une série d’attentats terroristes frappaient les transports en commun londoniens.)
Certes, l’optimisme qui se manifeste aujourd’hui en France ne signifie pas que ceux qui ont été défaits dans les urnes ne s’empareront pas de la rue, notamment pour protester contre la réforme prévue du code du travail. Mais les protestations semblent devoir être minoritaires dans un pays où l’humeur est devenue plus légère, et même joyeuse. Évolution patente, malgré l’abstention record lors des dernières élections législatives.
L’état d’esprit actuel me rappelle l’atmosphère qui avait brièvement baigné la France en juillet 1998, après la victoire des Tricolores sur le Brésil en finale de la Coupe du monde de football. Mais le sentiment d’euphorie pourrait être cette fois plus profond et durer plus longtemps. Le contexte économique en Europe est plus favorable et le rapport de force entre les deux grandes centrales syndicales françaises tourne en faveur de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), plus ouverte aux réformes que ne l’est la Confédération générale du travail (CGT), dont l’orientation est plus idéologique.
«Optimisme de la raison»
Une direction politique talentueuse et une chance qui ne se dément pas semblent justifier, pour la première fois depuis des décennies, un prudent optimisme en France. Pour paraphraser le théoricien politique italien Antonio Gramsci, on pourrait parler, à juste titre, d’un «optimisme de la raison».
Après la victoire de Macron dans les urnes et le pari manqué de Theresa May, qui comptait sur les élections anticipées du mois dernier pour lui permettre de négocier le Brexit en position de force, le cap que prend l’Europe dépend aujourd’hui beaucoup plus de ce qui se pense en France qu’en Grande-Bretagne. L’Allemagne, où l’on peut s’attendre à une réélection, en septembre, de la chancelière Angela Merkel, est le seul des trois «Grands» européens à n’avoir pas changé.
L’Italie aimerait remplacer le Royaume-Uni dans le trio des trois premières puissances européennes. Mais elle doit d’abord se rassembler. L’ancien premier ministre Matteo Renzi, qui tente de revenir au sommet du pouvoir, n’est pas un Macron italien. Quels que soient son talent et son énergie, il n’a fait preuve ni de la gravité du président français, ni de sa compréhension de l’électorat.
Quoi qu’il en soit, une relation plus équilibrée entre la France et l’Allemagne aura des conséquences positives et sensibles sur la stabilisation de l’Europe, dont le problème n’est pas, contrairement à ce qu’ont affirmé ses détracteurs, qu’il y ait «trop d’Allemagne», mais bien «trop peu de France». Un «moment français» peut donc signifier un «moment européen», s’il marque la reconstitution d’une alliance franco-allemande efficace.
Les émotions ne suffisent peut-être pas à expliquer les réalités politiques. Mais le basculement de l’humeur nationale en Grande-Bretagne et en France est indéniable. Et il jouera un rôle de plus en plus important dans ce qui déterminera la politique de l’Europe.
«Nous ferons bien pire»...
Les Américains doivent eux aussi comprendre les changements qui surviennent en Europe. Lors d’une récente conférence internationale à Venise, un responsable républicain demandait aux Européens de «cesser de critiquer comme [ils le font] l’administration Trump». Sinon, prévenait-il, «vous n’obtiendrez qu’un résultat, c’est que nous ferons bien pire. Et voulez-vous vraiment qu’on vous laisse seuls avec une Allemagne aussi forte».
Si l’on fait abstraction de la menace voilée, l’idée que, dans l’alternative, l’option de se retrouver «seuls» avec une «Allemagne aussi forte» viendrait remplacer l’option américaine, est comique. Car l’Allemagne n’a jamais voulu être seule à la tête de l’UE et aujourd’hui, avec la France politiquement rénovée de Macron, elle n’a plus besoin de l’être.
Le 19 Juillet 2017
SOURCE WEB Par L’économiste
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