REDONNER VIE À AGADIR MODE D'EMPLOI
Mehdi Reghai est le cofondateur de Synergie Media, agence digitale marocaine qui opère dans le domaine du conseil en stratégie Internet. L’entreprise compte parmi ses clients Maroc Telecom, Inwi, Auchan, Nokia et Microsoft, ainsi que plusieurs initiatives dont la plus reconnue reste la compétition des Maroc Web Awards (9 éditions) qui récompense les meilleurs créateurs de contenus en ligne marocains. Mehdi a acquis, au fil des 10 dernières années, une expertise dans les domaines du web et de la technologie, partageant cette expérience sur l’industrie numérique et l’univers des startups tech en tant que conférencier et consultant auprès d’universitaires et d’associations professionnelles, ainsi que sur les plateaux de télévision. www.synergie-media.com
Nous ne cesserons de le répéter, la région d’Agadir possède un immense potentiel, qu’il soit économique, social ou culturel. La ville est pourtant tétanisée par sa léthargie qui dure depuis des années et qui contraste avec le développement urbain que connaissent d’autres cités marocaines, notamment Marrakech et Tanger.
L’objectif de cet article n’est pas d’énumérer les faiblesses de la ville : détresse économique, délabrement des rues et incapacité à renouveler la destination, un mantra que récitent à l’unisson tous les habitants d’Agadir. Notre objectif est plutôt de proposer des exemples de « City Branding » réussis. Des villes comme Londres, Hong Kong ou Lyon constituent des cas d’école d’un bon repositionnement stratégique dont peut s’inspirer la région.
INTRODUCTION AU CITY BRANDING
À l’instant même où une ville devient une marque, il est plus aisé de mettre en avant ses qualités et de la promouvoir à l’international. Synonyme de luxe, de jet set, de cinéma et de mode, Marrakech a su séduire en moins de quinze ans, touristes, investisseurs et stars du show business, et capter l’attention du Palais et les finances de l’État. La ville ocre est le bon élève à suivre en termes d’aménagement urbain et de reconversion réussie.
Mais transformer une ville en « brand » (ou marque) n’est pas une mince affaire. Tout commence par la création d’une identité visuelle forte, accompagnée d’un slogan « impactant ». Only Lyon, Copenhagen, I Love NY ou I Amsterdam en sont des exemples concrets. Avec l’actuel logo de la ville d’Agadir signé Hicham Lahlou, le cabinet de l’ancien maire Tariq Kabbage était sur la bonne voie. Un logo qui n’a malheureusement pas été exploité pleinement en réapparaissant sur tous les portails en ligne de la ville, sur le nouveau mobilier urbain, sur les véhicules des services publics et sur une panoplie de produits dérivés destinés aux touristes et aux locaux.
La mise en place d’un tel projet aurait nécessité une vision qui intègre une myriade de partenaires : Centre Régional d’Investissement, Conseil Régional du Tourisme, Chambre de Commerce, d’Industrie et des Services, Agence Urbaine, Université Ibn Zohr, Office National des Aéroports, Aéroport d’Agadir – Al Massira, Commune Urbaine, Wilaya, Préfecture, Conseil Régional... Mais cette collaboration peine aujourd’hui encore à voir le jour, emportée par les rivalités entre agences et les clivages hérités d’une autre époque.
COMMUNIQUER AUTREMENT
La communication officielle d’Agadir aurait également dû suivre cet élan de modernité en recrutant des ambassadeurs (figures marquantes, artistes, intellectuels, influenceurs web) qui porteraient haut les couleurs de leur ville, en proposant des supports de communication de qualité (guides officiels, bulletins d’informations, cartes personnalisées, vidéos et photos originales) et en intégrant les nouveaux médias. Agadir n’est pas officiellement présente sur la majorité des réseaux sociaux, alors qu’en 2017 tout se joue sur Facebook, YouTube, Instagram et Snapchat.
Prenons l’exemple de la petite ville de Jun, dans la périphérie de Grenade en Andalousie. La commune qui compte quelques milliers d’habitants intègre Twitter dans tous les aspects de la vie de sa population, du menu de l’école publique partagé quotidiennement sur la plateforme de microblogging jusqu’aux différents services publics (assainissement, éclairage, sécurité) en grande partie gérés en ligne. Jun a même demandé à ses habitants de confirmer à la mairie leurs comptes Twitter en les liant à leurs cartes d’identité, afin d’officialiser les réponses des représentants municipaux et des chefs de services. La petite localité a ainsi bénéficié d’un rayonnement mondial, poussant Dick Costolo, ancien PDG de la firme américaine, à se déplacer en personne pour rencontrer Rodriguez Salas, le maire de la ville.
New York communique également sur Instagram avec les touristes et les newyorkais en leur suggérant des lieux à visiter, en leur proposant des actions citoyennes (comme les journées sans voitures) et en leur simplifiant, à l’aide d’infographies, certaines procédures administratives complexes.
MARKETING IMMOBILIER
Cette vision ne saurait se réaliser sans un alignement de la marque avec l’architecture d’Agadir. L’Agence Urbaine, placée sous la tutelle du Ministère de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire, devrait en tant qu’organisme de contrôle et de promotion, accompagner les anciennes et nouvelles constructions afin de respecter une charte architecturale et paysagère, surtout au centre de la ville et tout le long des principales artères que sont Mohamed Cheikh Saâdi, Président Kennedy, Moulay Abdellah, Hassan II, Mohamed V, 29 Février, Moulay Ismail, Al Mouqaouama et les FAR.
Les autorités d’Agadir devraient également trouver une solution rapide aux chantiers en suspens depuis plusieurs décennies et qui polluent le paysage de la ville. Le Conservatoire ou le siège des Services d’hygiène, tous deux abandonnés aux chiens errants et aux SDF, sont des exemples concrets d’une cité à la silhouette post-apocalyptique. Les vieilles bâtisses tombées en désuétude pourraient être reconverties, moyennant quelques millions, en espaces de travail pour startups capables de dynamiser de manière significative le tissu économique de la région. L’ancien siège de Bank Al Maghrib – avec son architecture classique typée – ou les bureaux sous-exploités de la Préfecture – très inspirés du style Le Corbusier – figurent en tête de liste de ces espaces capables d’être dédiés à la création et à l’entrepreneuriat. C’est dans cette même logique que la ville de Paris vient de lancer le projet du « plus grand incubateur de startups au monde » en réhabilitant la Halle Freyssinet, bâtiment ferroviaire construit dans les années 1920, en Station F, complexe capable d’accueillir dès le mois d’avril plus de 1 000 startups du secteur du numérique dans un espace de travail partagé avec service de restauration 24h/24 et « tout l’écosystème entrepreneurial réuni sous un seul et même toit ».
Agadir devrait aussi redonner vie à certaines zones et créer de nouveaux espaces de vie. La Place de l’Espérance pourrait redevenir emblématique, la Vallée des Oiseaux retrouver son charme d’antan et la promenade Tawada, sortir de sa torpeur. Mais comment redynamiser des lieux has been sans tomber dans le ridicule des spectacles de rue lancés dans la place Prince héritier l’année dernière ? En incluant tout d’abord dans la réflexion les habitants, surtout qu’Internet permet de recueillir leurs suggestions assez aisément, puis en intégrant la technologie et l’innovation pour communiquer plus efficacement autour de la ville. En améliorant ensuite la qualité des services urbains (toujours via le recours massif aux TIC) et en proposant des solutions de développement durable sur les moyens et longs termes (écotourisme, optimisation énergétique, tri des ordures, sensibilisation, etc.) afin de redorer l’image de la ville.
CONCLUSIONS
Faire d’Agadir une cité intelligente passe inéluctablement par une collaboration étroite avec l’Université, les professionnels du digital et les bons partenaires (opérateurs télécoms, constructeurs électroniques, équipementiers, etc.) et le rapprochement entre investisseurs et partenaires commerciaux. Des exemples de reconversion réussis existent, fort heureusement. Il suffit de s’en inspirer.
Faire d’Agadir une destination touristique « tendance » passe par une remise en question profonde des choix politiques des deux dernières décennies, afin d’effectuer un pivot stratégique rapide et brillamment exécuté.
Faire d’Agadir un hub économique et technologique est une priorité qui ne saurait se faire sans une prise de conscience sur le besoin d’intégrer les 110 000 étudiants de l’Université Ibn Zohr dans les prochains plans de développement et faire de la PME et de la TPE la principale préoccupation des décideurs.
À bon entendeur, salut !
Le 19 Mai 2017
SOURCE WEB Par Business Première
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