Enseignement supérieur Que font nos universités pour le développement durable ?
À l’heure où les débats liés à l'économie verte et au développement durable dominent la scène nationale et internationale, et au moment où tous les efforts se conjuguent pour faire face aux enjeux environnementaux, il est légitime de s’interroger sur le rôle du secteur de l’éducation et de la formation dans l’accompagnement de cette dynamique.
Préparer les nouvelles générations à affronter les grands enjeux d’aujourd’hui et de demain. C'est l’une des principales missions du secteur de l’éducation et de la formation. Étant incontestablement un levier de changement, l’éducation agit d’abord sur les comportements et favorise un changement de mentalités en faveur de la protection de l’environnement. À un niveau plus avancé, l’enseignement supérieur permet de former des compétences écoresponsables et de promouvoir la recherche scientifique pour trouver des solutions aux problèmes environnementaux. Qu’en est-il alors des universités marocaines ?
Les différents témoignages recueillis auprès des présidents de plusieurs universités nationales montrent une large prise de conscience de cette responsabilité vis-à-vis de l’environnement ainsi qu’une profonde conviction sur la nécessité de mener en urgence des actions qui seraient à la hauteur des défis à relever.
Et bien que le passage à l’action ait marqué du retard, la plupart des universités déclarent avoir déjà lancé, depuis quelques années déjà, différentes initiatives orientées environnement, que ce soit au niveau de la formation ou de la recherche scientifique. Mais rares sont celles qui ont déployé des stratégies globales de développement durable qui impliquent un changement au niveau de la gouvernance, de la politique sociale, de la formation et de la recherche.
«L’université, qui est une partie prenante de la société civile, a le devoir d’assumer sa responsabilité sociétale dont les principes reposent sur les concepts de “contrat social” entre l’université et la société, du rôle citoyen de l’université et de la diffusion de la culture de l’éthique à l’université», a indiqué le président de l’Université Hassan II de Casablanca (l’UH2C)Idriss Mansouri. Ceci bien sûr en plus de ses principales missions de formation et de recherche, car «le rôle de l’université en tant qu’établissement de l’enseignement supérieur est d’assurer la formation de ressources humaines compétentes et écoresponsables et de stimuler la recherche vers des solutions novatrices pour lutter contre les changements climatiques, en mettant à profit les compétences universitaires, notamment dans les domaines des sciences et techniques et des sciences sociales», a-t-il ajouté.
Dans le même ordre d’idées, le président de l’Université Mohammed V de Rabat, Saaid Amzazi, a souligné qu’étant donné que «les enjeux du péril climatique englobent aussi bien des questions sociales que politiques, économiques ou encore humanitaires, il est bien évident que l’université est la plus apte à y répondre en mobilisant une expertise variée et, qui plus est, déjà rompue aux méthodes d’investigation et d’analyse, puisque tout enseignant universitaire est d’abord et avant tout un chercheur».
L’Université Cadi Ayyad de Marrakech (UCA) est tout autant consciente du rôle et des responsabilités qu’elle exerce face aux enjeux majeurs des décennies à venir, comme l’a assuré son président Abdellatif Miraoui. Pour lui, «l’université saisit pleinement les préoccupations croissantes pour le développement durable, ainsi que l’importance de s’engager dans une démarche qui en respecte les principes. L’UCA a ainsi l’ambition d’être un lieu de formation de personnes compétentes, soucieuses de leur environnement, responsables et promotrices de changement, une véritable source de nouveaux savoirs et d’innovation, une université à vocation sociale, ayant d’importantes retombées économiques».
Oui, mais comment ? Eh bien par la mise en place et en œuvre de plans d’action et de stratégies efficaces et efficientes, répondent les responsables.
Idriss Mansouri fait savoir que «l’engagement de l’Université Hassan II de Casablanca dans le cadre des défis climatiques est fondé sur sa stratégie de développement durable qui s’inscrit dans son projet de développement pluriannuel 2015-2018, et ce, par la mise en place de plusieurs dispositifs et actions dans les principales activités de l’université en termes de formation, de recherche et de gouvernance».
L’Université Al Akhawayn assure, pour sa part, être parfaitement inscrite «dans la lutte pour un meilleur environnement, avec l’implication de toutes ses composantes». Elle affirme avoir entrepris des actions concrètes telles que «l’application du concept de campus vert» et le lancement de «plusieurs initiatives qui visent à réduire les émissions de CO2» sans oublier l’éducation et la sensibilisation des étudiants et toute la communauté à des comportements écologiques». De son côté, l’UCA travaille à l’introduction des principes du développement durable dans sa politique générale. Et c’est ainsi que plusieurs chantiers ont été ouverts dans le but «d’identifier les priorités d’action et les formes de mobilisation de la communauté universitaire et des parties prenantes», marquant un engagement progressif dans l’élaboration d’une stratégie durable dont le but in fine est de faire de l’UCA une université verte et socialement responsable.
La recherche scientifique, le fer de lance
«L’alerte sur le réchauffement climatique a été donnée en premier par les chercheurs. C’est en effet la recherche scientifique, issue des universités, qui dispose des outils et compétences pour évaluer l’état de la planète et proposer des solutions d’adaptation et d’atténuation relatives au changement climatique», soutient Saaid Amzazi pour souligner l’importance de la recherche scientifique universitaire dans la résolution des problématiques liées à l’environnement. Un point de vue partagé par Abdellatif Miraoui qui confirme que «la communauté scientifique n’est pas seulement appelée à observer les changements climatiques et leurs conséquences, elle doit élaborer des solutions afin de pouvoir aider à l’atténuation et à l’adaptation à ces changements. Les solutions les plus adaptées nécessitent un effort de recherche, de développement technologique et d’adaptation des comportements humains». Des solutions qui, à travers «le développement de la recherche scientifique dans le domaine des changements climatiques, offrent la possibilité d’accompagner la définition de politiques publiques alliant lutte contre la pauvreté et préservation de l’environnement», développe Idriss Mansouri. L’Université Al Akhawayn, à en croire son président Driss Ouaouicha, a toujours privilégié la recherche appliquée ayant un impact direct ou indirect sur son environnement local et régional, et encourage également «la recherche intégrée et multidisciplinaire puisque l’impact de telles recherches est toujours plus retentissant et plus durable». Concrètement, l’Université Hassan II de Casablanca a dédié 79 laboratoires de recherche aux travaux sur les thématiques liées à l’environnement et au développement durable, au développement local et régional ainsi qu’aux énergies renouvelables.
Cet important arsenal est également pluridisciplinaire et englobe les 18 établissements universitaires de l’UH2C. En outre, l’établissement planche sur la création d’un centre de recherche pluridisciplinaire et interdisciplinaire sur les changements climatiques, le but étant de développer un grand pôle de compétence dans ce domaine. À l’Université Cadi Ayyad, 47 laboratoires sur les 64 accrédités et 28 équipes de recherche des 82 accréditées placent directement les questions de l’environnement et/ou du développement durable parmi les axes prioritaires de leurs recherches. Et la nouvelle stratégie durable de l’UCA vient renforcer cette dynamique et encourager les chercheurs à y participer plus activement. Quant à l’Université Al Akhawayn, elle affirme avoir tissé un réseau considérable de collaborateurs qui lui permet d’opérer à une échelle internationale dans les domaines des énergies renouvelables, de l’efficacité énergétique, des bâtiments et villes intelligentes et de la gestion durable des ressources naturelles. «Nous arrivons aujourd’hui à attirer des fonds de recherche d’organismes nationaux et internationaux couvrant divers aspects relatifs à l’environnement», déclare non sans fierté Driss Ouaouicha.
Un consortium pour peser à la COP 22
En témoignage de leur engagement en faveur du climat, des d’universités publiques et privées marocaines ont pris part à la 22e Conférence des Parties à la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (COP 22). Pour l’occasion, elles se sont organisées en consortium, mené par la Conférence des présidents d’universités et composé des douze universités publiques en plus de l’Université Al Akhawayn, l'Université internationale de Rabat, l'Université euro-méditerranéenne, l’Université Mohammed VI des Sciences de la Santé et l’Université internationale Abulcasis des sciences de la santé. La participation de ce consortium à la COP 22 s’est articulée autour de plusieurs thématiques, notamment la jeunesse et le renforcement des capacités, l’éducation, le genre, la biodiversité, l’agriculture, l’eau, l’océan, le transport, la ville et le territoire, la résilience, les déchets, la santé, l’énergie et l’innovation. Cette initiative est le fruit d’un partenariat avec le Conseil national des droits de l’Homme, l’Académie Hassan II des sciences et techniques, Royal Air Maroc, le ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle et l’Institut de formation aux métiers des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. Elle est également appuyée par l’Union européenne, l’Institut de recherche pour le développement, l’Agence Universitaire de la Francophonie et l’Union des Universités de la Méditerranée.
Déclarations
Idriss Mansouri, président de l’Université Hassan II de Casablanca
«L’université, consciente de son rôle de formatrice des citoyens de demain et de son rôle de productrice et de consommatrice du savoir, exprime sa responsabilité sociétale par la mise à disposition à toute la société de ses compétences et de son expertise dans le domaine du développement durable. En termes d’actions dans le volet Formation, l’Université Hassan II de Casablanca (UH2C) met en œuvre des moyens considérables pour former des cadres capables d’appréhender les changements techniques, organisationnels et stratégiques induits par les changements climatiques.
Dans le volet Recherche, et à travers des activités de recherche et d’innovation, l’Université Hassan II de Casablanca propose des solutions novatrices pour l’adaptation aux changements climatiques, fruit des travaux de recherches de ses laboratoires. En termes de gouvernance, l’université se veut un modèle de management écoresponsable et met tout en œuvre pour devenir une “Université verte”.
En renforçant l’usage et les services du numérique dans tous les campus, l’UH2C s’assure d’un impact indéniable sur le développement durable. Cet engagement est renforcé par son adhésion et son implication dans plusieurs réseaux internationaux, notamment le Programme des Nations unies pour l’environnement qui inclut un important dispositif d’éducation et de formation dans ce domaine. L’UH2C a également intégré dans sa démarche qualité pour la période 2015-2018 une stratégie de développement durable renforcée par les mesures prises pour le développement de la démarche qualité à l’université dans le cadre du projet Système de management de la qualité SMQ 2015-2018 et la Responsabilité sociétale de l’université (RSU). Cette démarche a incité l’université à œuvrer pour publier annuellement son “Bilan Carbone” et à s’inscrire dans un processus de réduction de cette empreinte carbone en impliquant toutes ses parties prenantes». Propos recueillis par N.B.
Driss Ouaouicha, président de l’Université Al Akhawayn
«L’Université Al Akhawayn s’inscrit parfaitement dans la lutte pour un meilleur environnement, et ce, par toutes ses composantes : formation, recherche et développement de campus verts. L'université a déjà entrepris des actions concrètes telle la conversion des brûleurs à gasoil en brûleurs de biomasse pour le chauffage de la piscine. D'autres projets ont consisté en la conversion de l'éclairage public en éclairage au LED, l'installation de pompes à chaleur pour récupérer la chaleur extérieure et l'utiliser, et l'installation de panneaux solaires pour le préchauffage de l'eau sanitaire. Pour encourager la sensibilisation, nous avons lancé un projet visant à proposer à ceux qui le souhaitent de coopérer avec nous pour la réduction de leur empreinte carbone, en calculant la quantité de CO2 qu'ils rejettent dans l'atmosphère lors de leurs déplacements en avion ou en voiture et de compenser par des actions de protection de l'environnement, par exemple planter des arbres ou financer un panneau solaire. Pour ce qui est de la formation, nous offrons aujourd’hui un programme master unique en son genre au Maroc : “Master of Science in Sustainable Energy Management”. Quoique ce master soit relativement récent, ses lauréats sont aujourd’hui des acteurs important dans des firmes nationales et internationales œuvrant dans divers secteurs de l’énergie. Quant à la recherche scientifique, le financement, au mois d’octobre dernier, de six projets relatifs à l’environnement et au développement durable par la région de Fès-Meknès demeure un bon témoignage de l’importance que porte l’Université à son environnement socio-économique, mais aussi de la confiance de la région en nos chercheurs et leurs projets».
Propos recueillis par M.S.
Abdellatif Miraoui, président de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech
«Le développement durable est un projet de société auquel l’Université Cadi Ayyad attache une grande importance. Consciente de l’urgente nécessité qu’il y a à introduire les principes du développement durable dans sa politique générale, l’université a ouvert plusieurs chantiers pour identifier les priorités d’action et les formes de mobilisation de sa communauté universitaire et de ses parties prenantes.
L’Université s’engage ainsi progressivement dans une véritable stratégie de développement durable, et un plan d’actions concrètes et opérationnelles est en cours d’adoption pour compléter les initiatives déjà existantes. L’UCA a encouragé la création de plusieurs filières de formation dans le domaine de l’environnement et du développement durable dans un nombre important de ses établissements, afin que les étudiants puissent porter un regard nouveau dans le cadre de leurs activités professionnelles et en préparant au mieux les générations futures à la transition vers un monde plus durable. Les associations d'étudiants sont de plus en plus sollicitées pour toute action dans ce sens. Les chercheurs de l’UCA réalisent depuis des années des projets de recherche sur une très grande variété de sujets, touchant l’environnement, le développement durable et leurs incidences sur les populations. Les domaines de recherche au sein de l’UCA couvrent pratiquement toutes les sphères de la société, donc tous les aspects du développement durable. Plusieurs centres, laboratoires, et groupes de recherches traitant de ces questions sont déjà mis en place. Quelque 47 laboratoires des 64 accrédités et 28 équipes de recherche des 82 accréditées, placent directement les questions de l’environnement et/ou du développement durable parmi les axes prioritaires de leurs recherches. En investissant dans ces différents domaines, l’UCA est aujourd’hui bien placée pour mesurer les risques que font peser les bouleversements environnementaux sur la société. La nouvelle stratégie durable de l’UCA encourage ses chercheurs à participer plus activement à la recherche pour une société durable. Ils doivent être en prise sur les questions sociétales nouvelles, et leur prise en charge avec toute la qualité scientifique que leurs richesses disciplinaires rendent possible. L’UCA conçoit progressivement une stratégie environnementale interne, lui permettant de réaliser des études approfondies, pour améliorer son impact environnemental : bilan carbone, audits énergétiques, étude accessibilité handicap, diagnostic des réseaux d’eau… et de réduire ainsi son empreinte écologique. Dans cette optique, l’Université souhaite aujourd’hui renforcer son action et engager dans les meilleurs délais son projet innovant : l'Eco Campus de Tamansourt qui représente un projet ambitieux sur le plan environnemental, notamment en matière d’économie d’énergie, d’efficacité énergétique, de limitation des émissions des gaz à effet de serre, de développement des énergies renouvelables et de gestion économe des ressources».
Propos recueillis par M.Se.
Saaid Amzazi, président de l’Université Mohammed V de Rabat
«Le climat étant devenu une thématique prioritaire de recherche toutes disciplines confondues, l’université doit œuvrer à orienter les projets financés en ce sens et surtout veiller à ce que les résultats puissent véritablement impacter les pouvoirs décisionnels locaux, s’érigeant ainsi en interlocuteur de référence de ces derniers en matière d’environnement. Il lui faut par ailleurs renforcer toute coopération avec les universités étrangères, ainsi qu’avec les organismes internationaux, afin que le Maroc, et surtout les pays africains, puissent avoir leur mot à dire au sein des concertations et des prises de décisions à l’échelle mondiale. L’université doit également anticiper les besoins en matière de profils professionnels. à ce titre, l’Université Mohammed V a multiplié ces dernières années les offres de formation, Licences professionnelles et Masters spécialisés, en rapport avec le développement durable, domaine émergent très créateur d’emploi et qui concerne presque toutes les branches d'activités allant de la responsabilité sociale à l’éco-industrie, à l'agriculture durable, l'aménagement du territoire, l’économie verte ou encore les énergies renouvelables». Propos recueillis par N.M.
Le 22 Novembre 2016
SOURCE WEB Par Le Matin
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