Quelques principes de l'Etat de droit
Marrakech, Inezgane, Fès, Beni Mellal, Salé...: à supposer que la foule ait raison, elle n'avait pas à se substituer à la justice et à agresser, violenter ou tenter de lyncher les supposés coupables. Sinon, ce sera la porte ouverte aux escadrons de justiciers, fut-ce au nom de la religion. Seule la justice est opposable aux hommes par d'autres hommes et la justice a ses procédures, ses règles et ses autorités.
L'affaire du couple agressé à Marrakech peu avant le "ftour", rappelle l'affaire d'Inezgane en 2015, où deux jeunes filles avaient été agressées en raison de leur tenue vestimentaire avant d'être elles-mêmes poursuivies et finalement acquittées. Elle rappelle également les agressions contre des personnes considérées comme des homosexuels ou travestis, par exemple à Fès et à Beni Mellal.
Dans ces différents cas, une foule plus ou moins nombreuse a estimé qu'elle était en droit de se faire justice elle-même parce que la norme, la morale, a été selon elle transgressée.
On est donc allé au-delà de la désapprobation sociale.
Ci-dessous, voici un petit rappel de quelques règles régissant en principe le fonctionnement d'un Etat de droit et donc d'une société de droit.
Nous allons citer des exemples qui révèlent, chez une grande partie des citoyens, y compris responsables étatiques, une tendance à placer la justice morale, religieuse ou immanente au dessus de la justice "légale". Une hiérarchisation qui, dans la vie quotidienne, peut donner lieu à des situations cocasses, parfois tragiques.
L'Etat détient le monopole de la force légitime
L'Affaire Deroua, vous vous en rappelez? Une femme mariée est harcelée sexuellement par un caïd. Elle veut agir. Elle le convie à sa maison et l'invite à se mettre à l'aise sur le lit conjugal. Le caïd s'exécute. A moitié nu, il attend gentiment la femme, tandis que celle-ci fait mine de prendre une douche.
En réalité, on le sait, c'était un piège. La femme avait tout planifié avec son mari et un ami. Ces derniers devaient s'introduire à la maison et surprendre le harceleur en flagrant délit. Ce fut le cas. Il l'ont surpris, et par ailleurs menacé et giflé, le tout filmé par la femme, qui prenait bien soin d'immortaliser la scène, avant de la publier sur les réseau sociaux.
Quelle "belle" idée! Elle leur vaudra, un mois plus tard, une condamnation pour (entre autres) séquestration. Les trois écopent d'une peine d'emprisonnement: un an de prison ferme pour le mari, 8 mois pour l'ami et 4 mois pour la femme. Ils doivent également verser à la "victime" 60.000 DH de dommages-intérêts. Le caïd a, quant à lui, été révoqué de son poste. Il est actuellement poursuivi en état de liberté.
Ces sanctions étaient-elles injustes? Au sens de la loi, certainement pas. Elles auraient même pu être plus sévères: "Sont punis de la réclusion de cinq à dix ans, ceux qui (…) enlèvent, arrêtent, détiennent ou séquestrent une personne quelconque." (article 436, code pénal).
Pourtant, la réaction du public correspondait à ceci: "Le criminel" est poursuivi en état de liberté, alors que ses "victimes" sont condamnées et emprisonnées.
Même Abdelilah Benkirane s'en est publiquement indigné. Le chef gouvernement a-t-il oublié que l'Etat monopolise la force publique? Et que, par conséquent, personne n'est censé s'y substituer?
Cette affaire, entre autres, nous décrit la justice telle que perçue par le citoyen, lambda ou responsable. Mais ce n'est pas tout. Elle trahit surtout nos rapports à la loi. Une loi que nous revendiquons, contestons, redoutons, transgressons et surtout… ignorons.
Or, nul n'est censé ignorer la loi. Une lapalissade qui, lorsqu'elle est respectée, peut empêcher bien des tracas. Le ministère de l'Education nationale ignorait-t-il, au moment d'émettre ses deux décrets tardifs, le principe de la non rétroactivité des textes ? Eh bien, les enseignants stagiaires, en tout cas, ne l'ignoraient pas. Tant mieux pour eux. Ils ont pu, par la force de ce détail a priori anodin, faire céder le gouvernement, qui a finalement renoncé à leur opposer les deux décrets.
Le passage à l'Etat de droit
Ce même épisode n'est pas sans nous rappeler un autre problème, cette fois structurel: Celui du passage difficile vers l'Etat de droit. Ce principe implique, dans tout pays qui s'en prévaut et c'est le cas du Maroc, que l'Etat limite volontairement son pouvoir par le droit.
Volontairement, vous dites? Le gouvernement a plutôt fait dans l'orgueil, choisissant d'entrer en conflit avec 10.000 enseignants stagiaires, tous déterminés à arracher un droit qui, dans un "Etat de droit", devait aller de soi.
Résultat: De longs mois gâchés et un gouvernement qui perd en popularité. "Tout cela pour une petite question juridique, pour quelques jours de retard?", commentaient certains observateurs. Des remarques qui tendent à faire oublier que le droit est avant tout une questions de détails, de petits détails, d'infimes détails, dont l'inobservation peut parfois s'avérer fatale.
Le droit, ce sont les détails
Voici un exemple: Par des tours de passe-passe dont il a le secret, X réussit à subtiliser une somme d'argent à Y. Ce dernier ne s'en rend compte que 5 année plus tard. Il décide alors de poursuivre X pour escroquerie. Toutes les preuves sont contre X. Sa culpabilité ne fait aucun doute. Il a réellement escroqué Y. Pourtant, le juge rejette la demande de Y. Pourquoi? Une injustice? Encore?
La réponse est d'une simplicité cruelle. Y a déposé plainte, mais en dépassant le délai de prescription, qui est de 4 ans en matière de délit. Qu'arrive-t-il si l'action est enclenchée ne serait-ce qu'un jour après l'expiration de ce délai? le juge rejette la demande de la victime. L'action est éteinte. L'escroc, quant à lui, échappe à toute sanction. L'importance de la somme en jeu, le fait que la victime n'a, de bonne foi, pris connaissance que trop tard de l'arnaque, importent-ils? Bien sûr que non. Aucun recours n'y remédiera. Dure est la loi, mais c'est loi.
Le droit, c'est la preuve
Mais quid de celui qui a observé le délai de prescription, mais n'a pas réussi à prouver les faits dont il a été victime? Là aussi, même sort. Demande rejetée, accusé acquitté. La conviction d'avoir raison ne suffit pas. La seule conviction qui tienne est celle du juge, lequel s'appuie sur les preuves fournies par les parties. Le droit, c'est la preuve.
Mais pas seulement. Encore faut-il que les faits prouvés soient expressément incriminés par une loi. Car sans texte, pas de condamnation. C'est le sacro-saint principe de légalité des peines.
Par exemple, au Maroc, le vol d'usage n'est pas prévu par le code pénal. Peut-on donc, sans risque de sanctions, "soustraire frauduleusement un véhicule automoteur ou un cycle appartenant à autrui en vue d’un usage momentané et avec l’intention de le restituer?" En principe, oui, mais...
Le tribunal peut toujours trouver le moyen de sévir, même en l'absence d'un texte clair. Ce qui, dans certains cas, n'enlève en rien à la légitimité de la condamnation. Début mai 2016,une supposée "sorcière" a été écrouée par le tribunal de première instance de Salé. Mais pas pour "sorcellerie".
L'une des charges retenues contre elle est "l'atteinte à la vie d'un animal apprivoisé" (art 602 du code pénal) Elle avait cousu la photo d'identité d'un individu dans la gueule d'un chat, ce dernier ayant par la suite succombé à la faim. Le deuxième grief concernait "l'inconduite notoire compromettant gravement la santé et la moralité de ses enfants (art 482 du code pénal): la dame avait l'habitude de déposer son matériel, ses produits et ses animaux dans le garage de sa maison, exposés à ses enfants.
Le droit, c'est l'information
Le droit est consigné dans des textes, codifié dans des lois ou analysé dans des ouvrages. Il n'est ni plus ni moins qu'une information. Or, qui détient l'information, détient le pouvoir. Le pouvoir s'exerce ou se subit. Exerçons le pouvoir, connaissons nos droits.
Le 24 Juin 2016
SOURCE WEB Par Médias 24
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