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Vers une stratégie mondiale Patrimoine immatériel et intégrité territoriale du Maroc

Vers une stratégie mondiale Patrimoine immatériel et intégrité territoriale du Maroc

Guillaume Jobin, Président de l’école supérieure de journalisme de Paris, Alger, Dubaï, Casablanca, Rabat, Tunis.

Le patrimoine immatériel, au sens de l’Unesco, c’est tout ce qui fait la particularité du Royaume, sans pour autant avoir une valeur marchande directe. On peut distinguer un patrimoine à usage national, comme la musique marocaine qui est surtout consommée par les Marocains et le patrimoine de portée mondiale, aussi prisé par le reste de l’humanité : l’artisanat, les savoir-faire ancestraux comme la broderie, l’ébénisterie, les tapis, le patrimoine architectural et historique, l’édition, l’environnement et la protection des sites exceptionnels, la gastronomie, etc. Bref, une grande partie de ce qui fait que le Marocain est fier de son pays et qui peut attirer le visiteur étranger au Maroc.

Au Maroc, comme ailleurs, le patrimoine immatériel, s’il ne fait pas l’objet d’une démarche volontariste, régulée et stimulée par l’État, tend à se réduire face aux lois du marché. Les bâtiments anciens publics, comme la muraille de Rabat ou la cité du Chellah sont sauvegardés, mais des immeubles art déco du centre-ville de la capitale sont détruits par les pelleteuses des promoteurs. Les doreurs, les ébénistes, les carreleurs qui reproduisent les modèles artisanaux millénaires partent dans les pays du Golfe où leurs prix ne sont pas négociés à l’extrême. Les jeunes des quartiers populaires de Salé préfèrent briguer un poste de fonctionnaire au SMIC plutôt que de suivre une filière d’apprentissage de la broderie, pourtant bien plus rémunératrice.

Moins tragique, mais plus présente est l’irruption des sushis et de la frite surgelée dans les restaurants à la place des tajines et des épices. Les circuits commerciaux des tapis sahraouis en natte ou en pièces de cuir cousues se raréfient et ne sont fréquentés que par de rares connaisseurs étrangers. Le Maroc n’est pas un pays figé dans un archaïsme passéiste, en témoignent les centaines d’espèces exotiques de plantes importées dans les années 1920 par Nicolas-Forestier qui ont enrichi le patrimoine paysager sans y porter atteinte. La proximité entre la toute neuve centrale solaire d’Ouarzazate et la médina de cette ville est un hommage à la conservation des traditions, mais aussi à celle de l’environnement.

La sauvegarde du patrimoine immatériel n’est pas tant une affaire d’argent que de décision politique. La place ne manque pas, même en périphérie urbaine, pour bâtir des ensembles immobiliers sans détruire les bâtiments anciens. En revanche, créer un label de gastronomie marocaine attribué aux établissements qui respecteraient une norme établie avec les professionnels de la cuisine conforterait la pérennité du bon goût.

Ce ne sont que de brefs exemples, la liste des actifs du patrimoine immatériel marocain est longue et n’est pas fermée.

On pourrait imaginer la création d’une Académie royale du patrimoine immatériel, intégrant les plus célèbres représentants de chaque filière, de la chef cuisinière Fatema Hal, au président de l’association Casamémoire, sans oublier même des étrangers comme Yahia, le Britannique qui fait revivre la ferronnerie d’art traditionnelle marocaine à Marrakech.

Un entrepreneur suisse a réussi à convaincre l’ONCF de remettre en circulation la voie ferrée Oujda-Bou Arfa, sans intérêt économique depuis des décennies, mais aujourd’hui revivifiée par l’afflux de touristes dans son train spécial qui a servi au tournage du dernier James Bond. Toujours dans le thème ferroviaire, l’extension du réseau de Marrakech à Essaouira permettrait de combler un vide balnéaire ou culturel pour les visiteurs étrangers des deux villes. Notons aussi, à Fès, Marrakech et dans d'autres villes historiques, les palais anciens et sans affectation courante dont la transformation en hôtels de luxe sur le modèle des paradors espagnols aurait plus de facilité à séduire une clientèle exigeante, tant nationale qu’étrangère. Cette démarche doit être mondiale, elle n’est pas la seule. De récentes déconvenues diplomatiques quant aux droits du Maroc et son intégrité territoriale, avérées, comme en Suède, ou latentes, comme en Slovénie ou en Irlande, compensées par la dernière de nominations de représentants du Royaume, ont montré la nécessité pour le pays d’avoir une représentation dans chacun des pays de la planète, soit un peu moins de 200.

Si le travail diplomatique est le plus souvent affaire de relations, d’explications et de conviction, sa nature même relationnelle est synonyme de communication, non négligeable pour le diplomate marocain dans le pays qui l’accueille, si petit soit-il, en témoigne l’ouverture en janvier d’une ambassade au Panama.

Chaque ambassade dispose au minimum d’un chargé d’affaires politique, d’un consul dans les pays où est présente une diaspora marocaine. Pourquoi ne pas y ajouter systématiquement un responsable de la promotion du tourisme et du patrimoine immatériel marocains ? Quitte à ce que dans les pays où les enjeux sont importants, les organismes dédiés prennent le relais, dès les premiers flux lancés.

L’investissement n’est pas énorme en soi, le bénéfice est a priori largement prévisible, tant en termes de visiteurs étrangers au Maroc que d’exportations de produits artisanaux marocains.

Capital immatériel : Une idée qui fait son chemin

C’est à partir de 2005, dans son rapport intitulé «Where is the wealth of nations», que la Banque mondiale pose les bases d’une nouvelle méthode de calcul pour la richesse des nations. La notion de produit intérieur brut ne peut à elle seule expliquer la richesse d’une nation et doit être complétée par celle du capital immatériel. Ce dernier étant la somme du capital humain (qui est l’ensemble des compétences et des savoir-faire disponibles dans une nation), du capital social (qui est la capacité des individus à travailler ensemble pour atteindre les objectifs fixés) et du capital relatif aux institutions (qui se définit comme la qualité des systèmes juridiques, éducatifs et sanitaires en place dans un pays). Si à première vue, l’intégration du capital immatériel peut ressembler à un tour de passe-passe ou encore à un concept flou pour expliquer certaines incohérences statistiques, elle prend néanmoins tout son sens en observant le cas des entreprises. En effet, dans cette sphère, la notion de capital immatériel, plus connue sous le nom de facteur de compétitivité hors prix, est très connue des gestionnaires pour être un élément décisif de la compétitivité. Et les réussites fulgurantes des entreprises des nouvelles technologies dans le monde renforcent la position du capital immatériel comme véritable vecteur de la création de valeur.

C’est ainsi que plusieurs pays comme la France, ou le Maroc récemment, ont initié la réflexion sur la notion de capital immatériel à l’échelle de la nation et surtout sur son utilisation en tant que levier de la compétitivité et de la croissance nationale. Mais la tâche s’annonce pour le moins ardue, car si au niveau d’une entreprise, il est désormais clair que l’innovation, la qualité ou encore les ressources humaines sont les facteurs clés de la politique de différenciation, comment identifier ce qui pourra faire la marque de fabrique d’un pays ?

Capital immatériel : des définitions à trouver

Dans son rapport de 2005, la Banque mondiale définit le capital immatériel comme la combinaison du capital humain, du capital social et du capital institutionnel. Toutefois, cette définition ne semble pas être la même à l’échelle des pays. Ainsi, en France, où le concept de capital immatériel a fait l’objet d’un rapport en 2013, le développement du capital immatériel se focalise sur la notion de l’économie sociale et solidaire ainsi que sur celle de la finance responsable. Tandis qu’au Maroc, plusieurs concepts tels que la qualité de vie, la stabilité politique ou encore l’environnement pourraient constituer des éléments du capital immatériel. Y aurait-il donc un capital immatériel spécifique de chaque pays ? Autre question à débattre et non des moindres : celle des indicateurs. Car sur ce point encore, les arguments de la Banque mondiale restent discutables. Comment en effet comprendre que la qualité du système éducatif d’un pays soit mesurée par le seul nombre d’années de scolarisation par habitant, alors même que ce critère est au moins insuffisant, au plus sans pertinence réelle ? Ou encore peut-on réellement appliquer des indicateurs standards, alors même que les pays n’ont pas les mêmes niveaux d’avancement ? Dans un pays en développement, par exemple, les transferts des ressortissants à l’étranger peuvent-ils avoir le même poids dans le calcul que dans un pays développé ? Autant d'interrogations qui doivent trouver rapidement des réponses, car pour mieux exploiter les ressources et les développer, il est nécessaire de disposer de référentiels appropriés et fiables pour les mesurer et les évaluer. Cela est vrai aussi bien pour les pays développés que pour les pays en développement comme le Maroc.

Le 27 Février 2016
SOURCE WEB Par Le Matin

 

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