Roger Sahyoun, Président de SOMAGEC : «Le Maroc entier s’est senti concerné par ce projet de l’interconnexion 100% marocain»
Suite à une procédure d’Appel d’Offres Conception-Réalisation avec préfinancement, la réalisation du projet de l’interconnexion entre le bassin de Sebou et le bassin du Bouregreg a été confiée à un groupement d’entreprises marocaines composé de SOMAGEC (mandataire), SGTM, STAM et SNCE. L’infrastructure a pour objectif la valorisation des volumes d’eau du bassin de Sebou perdus en mer en les transférant vers le bassin hydraulique de Bouregreg, afin de permettre la sécurisation de la demande en eau potable des villes de Rabat et de Casablanca.
Le projet, qui a bénéficié de l’expertise de ces entreprises marocaines de renommée internationale, devait durer 3 ans, mais il a été accompli dans un délai de 6 mois. Son coût total est d’environ 6 milliards de dirhams.
Roger Sahyoun, Président de SOMAGEC, mandataire du consortium, explique comment l’outil national marocain, dans ses différentes composantes, fort de l’expertise et le savoir-faire de son élite du BTP, a réussi son pari de réaliser ce chantier majeur d’une grande importance pour l’axe Rabat-Casablanca en un délai record.
AFRIMAG : Comment aviez-vous accueilli ce choix de confier à un groupement marocain un projet qualifié de hautement stratégique pour le Maroc par le Maître d’Ouvrage, en l’occurrence le ministère de l’Equipement et de l’Eau ?
Roger Sahyoun : Nos entreprises sont bien connues par le ministère de l’Equipement et de l’Eau qui est un donneur d’ordres principal dans notre secteur d’activité. Le ministère a été très clair et transparent avec nous dès le début sur l’enjeu du projet dans un contexte de stress hydrique très sévère. Il a partagé son inquiétude alarmante et les conséquences graves auxquelles le pays s’exposerait en cas d’une saison hivernale 2023 à faible pluviométrie.
A la signature du contrat fin 2022, nous avons été envahis par un grand sentiment de fierté pour nos entreprises marocaines de par la confiance qui nous a été accordée pour lever un défi pour le bien du pays. Cette fierté n’a pas tardé à se transformer en stress avec le poids de la responsabilité qui a pesé sur nos épaules durant les 8 mois jusqu’à la mise en service de l’ouvrage.
AFRIMAG : La réussite d’une telle opération urgente nécessite des capacités financières importantes des entreprises. Comment le consortium a-t-il procédé très rapidement pour lever des fonds à hauteur de 65% pour préfinancer le chantier ?
Roger Sahyoun : Forte de son expérience réussie dans l’ingénierie financière développée ces dernières années sur le marché africain, SOMAGEC avait pris depuis début 2021 l’initiative d’introduire ce concept sur le marché marocain auparavant totalement renfermé sur un système bancaire traditionnel.
Pour réaliser ce contrat de 6 milliards de dirhams, soit environ 551 millions d’euros, SOMAGEC a mis au profit du consortium son expertise Project Finance, déjà éprouvée sur des opérations récentes au Maroc, pour lever un préfinancement à hauteur de 4 milliards de dirhams auprès de ses partenaires financiers. Ce préfinancement était une condition nécessaire pour réussir le projet dans un délai aussi court. Sans cela il n’aurait pas été possible de lancer à temps les achats des fournitures qui représentent 40% du montant du contrat.
AFRIMAG : Comment expliquez-vous que le Maroc entier s’est senti concerné par ce projet 100% marocain ? Est-ce lié au projet qui va beaucoup aider à sécuriser l’approvisionnement en eau potable des 12 millions d’habitants de l’axe Rabat – Casablanca ?
Roger Sahyoun : Notre pays a une relation très particulière avec l’eau. Pour le marocain l’eau c’est la vie. Nous avons même dans nos coutumes de solliciter le ciel dans nos prières pour nous donner la pluie et vaincre la sécheresse. Le pays est touché depuis plusieurs années par un stress hydrique accentué. Les réserves d’eau dans certains barrages ont touché les fonds. La composante agricole du Maroc a un impact fort sur l’économie et le social. Les Hautes Directives Royales prononcées par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Dieu le Glorifie, lors du discours Royal du 14 octobre 2022 ont sensibilisé le gouvernement et le peuple marocain sur l’ampleur des conséquences du stress hydriques sur le Royaume et tracé les solutions projetées.
Tout cela fait que le projet a été perçu et attendu comme une opération de sauvetage accélérée dans laquelle on jouait contre la montre.
AFRIMAG : Le consortium composé de SOMAGEC, SGTM, STAM et SNCE a signé le marché le 14 novembre 2022 avec un démarrage des travaux le 15 décembre 2022 et un délai de réalisation de 10 mois pour la mise en service de 6 m3/s et de 14 mois pour la livraison du débit total de 15 m3/s. Mais seulement en 2 mois d’études et 6 mois de travaux, votre groupement est arrivé à livrer les premiers 6 m3/s de ce projet d’envergure. Comment avez-vous opéré sur le chantier pour relever ce gros défi jusqu’à réaliser ce délai record ?
Roger Sahyoun : Le fait qu’on nous a demandé de raccourcir le délai contractuel du marché qui était déjà un challenge, nous a confirmé davantage la gravité de la situation et nous a mis dans la posture du pompier qui se bat avec le feu. La fusion autour de ce nouvel objectif entre la Commission nationale de l’eau et le Consortium a permis de solutionner les problèmes au quotidien avec une célérité exemplaire. Les administrations ont été mobilisées à tous les niveaux avec un dévouement total pour accompagner le Consortium et réussir le projet.
Les entreprises de notre Consortium ont été extrêmement solidaires dès le premier jour où nous avons décidé de réunir nos efforts pour lever ensemble le défi. Chaque entreprise a mobilisé des moyens énormes, sans réticence et sans calcul. Le mot d’ordre donné par les patrons à l’encadrement des opérations s’était «No Limit.»
Nous avons réuni autour du Consortium plusieurs prestataires et fournisseurs chacun dans son domaine d’excellence, depuis l’ingénierie de conception et de détails jusqu’aux laboratoires de suivi des travaux. Une fois de plus «L’union a fait la Force.»
AFRIMAG : Le 28 août 2023, les images et vidéos de l’eau déversant depuis l’ouvrage de dissipation vers la retenue du barrage Sidi Mohamed Ben Abdellah circulaient sur les réseaux sociaux. Des messages de félicitations et de joie s’échangeaient avec une fierté nationale de cet accomplissement que l’outil marocain a réalisé, tellement le défi paraissait insurmontable quelques mois auparavant. Qu’avez-vous ressenti en tant que groupement marocain ayant réalisé ce projet aussi vital pour les populations ? Et vous-même Président de SOMAGEC mandataire du Groupement, comment avez-vous vécu ce moment ?
Roger Sahyoun : Le 28 août 2023, les entreprises marocaines ont confirmé leur capacité de se mobiliser sans limites pour répondre aux Directives Royales et agir dans un rythme accéléré pour réaliser des travaux de grandes envergures afin de satisfaire les engagements pris. Le sentiment n’est plus personnel ou individuel, c’est la fierté de cet outil national qui venait d’observer l’aboutissement de plusieurs mois d’efforts exceptionnels.
Quant à moi, je me suis souvenu de l’aphorisme de John F. Kennedy : «La victoire a cent pères, mais la défaite est orpheline», et j’ai remercié tous ceux qui, autour de moi, ont contribué au succès de l’opération. Heureusement que nous avons réussi, personnellement je n’apprécie pas la solitude.
AFRIMAG : Peut-on voir en ce consortium l’élite du BTP marocain ?
Roger Sahyoun : Le Maroc est riche en entreprises de grande qualité. Dans le cas de ce projet, c’est le choix de la composition du Consortium qui a permis d’avoir un outil performant adapté aux besoins du projet avec une force de frappe et une homogénéité des approches qui ont écrit le succès des opérations. Ce modèle devrait être encouragé par les donneurs d’ordres publics en consolidant les composantes d’un projet de manière à les confier à un interlocuteur unique, un consortium de taille, responsable de l’opération et en mesure de la mener à la réussite.
AFRIMAG : Réussir une telle performance suppose une collaboration sans faille avec les pouvoirs publics à travers le Maître d’Ouvrage (la Direction générale de l’hydraulique) et le Maître d’Ouvrage Délégué (la Direction Générale de l’Agriculture). Comment s’est passé cette collaboration dans ce projet qui devait être réalisé en urgence ?
Roger Sahyoun : Nous avons la chance d’être dans un pays où la Vision Royale permet de réunir l’ensemble des administrations et du secteur privé autour d’un objectif national commun.
Le travail au quotidien a été suivi par les ministères impliqués à travers la Commission nationale de l’eau et l’information communiquée régulièrement au gouvernement. Les réunions de pilotage avec la Commission s’organisaient les samedis et les dimanches. Ce vrai partenariat public privé a été la clé du succès de ce projet.
AFRIMAG : Quels sont les enseignements principaux à tirer de la réalisation de ce projet majeur ?
Roger Sahyoun : Ce challenge réussi a confirmé une fois de plus que l’union fait la force. La solidarité entre les entreprises et l’administration autour d’un objectif commun a contribué à cette réussite.
Les options prises dès la mise en place du Marché ont permis l’atteinte des objectifs :
– L’option de laisser à l’entreprise la responsabilité technique de la solution a permis d’optimiser le budget du projet avant même la signature du marché ;
– La mise en place d’un préfinancement de plus de 65% de la valeur du contrat a permis un démarrage très rapide et une passation des commandes qui étaient sur le chemin critique du planning. Les paiements des situations des travaux n’ont commencé que le 4ème mois ;
– Le choix des conduites en acier avec soudage des joints et contrôle magnétoscopique systématique a permis d’aller plus vite sans obligation des essais de pression à l’eau par tronçons. A la mise en eau, aucun défaut de soudure n’a été relevé ;
– Le choix de la transparence sur les prix des fournitures importées et du partage du risque de change entre les parties contractantes a permis de générer une économie pour l’administration de plus de 200 millions dirhams ;
– La solidarité entre les quatre entreprises du groupement et la constitution d’une société commune en charge de réaliser le projet a permis de mieux structurer les méthodologies d’exécution avec la mise en place de services communs pour homogénéiser le process de construction depuis les achats des fournitures jusqu’au suivi qualité de l’exécution.
L’outil national marocain, dans ses différentes composantes, fort par l’expertise et le savoir-faire de ses entreprises, a réussi son pari.
AFRIMAG : La deuxième phase prévoit l’interconnexion de la retenue du barrage SMBA à la retenue du barrage Al Massira avec un débit de 30 m3/s. Où en êtes-vous à ce niveau ?
Roger Sahyoun : Nous avons été sensibilisés par la Commission Nationale de l’Eau sur l’urgence de la 2ème phase du projet. Cette future tranche est très lourde en terme d’investissement. Compte tenu des engagements actuels avec les conséquences du malheureux séisme que vient de connaître notre pays, les investissements prioritaires déjà inscrits au budget de la loi des finances, le succès de la candidature du Maroc pour organiser le Mondial 2030, le fardeau financier est lourd et les solutions innovantes deviennent nécessaires.
Le montage du financement du projet reste la clé de la réussite. Nous sommes déjà mobilisés pour chercher les fonds nécessaires pour ce projet avec des partenaires financiers en mesure de nous accompagner dans un schéma de Partenariat Public Privé (PPP) qui serait a priori le mieux adapté pour que ce projet puisse voir le jour rapidement.
Le 23/11/2023
Source web par : afrimag
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