L’Europe mène une offensive inamicale contre les transferts des MRE
C’est Abdellatif Jouahri qui a donné l’alerte le mardi 21 juin, lors de la traditionnelle conférence qui succède au Conseil de Bank Al-Maghrib. Il a signalé que certains pays européens durcissaient de plus en plus le contrôle sur les opérations des banques marocaines vis-à-vis de la diaspora. Contactés par Médias24, une source bancaire et un expert européen nous donnent plus de détails sur la menace qui pèse sur les MRE et la balance des paiements du pays.
Le gouverneur de la Banque centrale avait annoncé en mars dernier que ses services avaient constitué une commission avec le concours des banques pour trouver une explication à l’envolée spectaculaire des transferts des MRE depuis l’éclatement de la crise du Covid. Interrogé le mardi 22 juin par notre confrère Mustapha Azougah de SNRT news sur les conclusions de ce travail, Abdellatif Jouahri a répondu que la commission n’avait pas encore achevé sa mission. Il en a profité pour donner l’alerte sur une grande menace qui pèse sur les MRE et leurs opérations de transfert de fonds.
« Certains pays européens, dont un en particulier, commencent à avoir des positions dures vis-à-vis des transferts des MRE. On craint aussi qu’il y ait une réglementation de l’UE qui va rendre plus complexes les opérations de nos banques vis-vis de leur clientèle MRE », a révélé Abdellatif Jouahri. Il a annoncé par la même occasion que la Banque centrale et le GPBM travaillaient sur une note qu’ils comptent adresser au ministère des Affaires étrangères en vue de l’informer de cette menace et lui fournir toutes les données pour mettre ce point sur la table des négociations avec l’UE.
« Il ne s’agit pas seulement de l’intérêt financier du Maroc par rapport à ce sujet, mais de la défense des intérêts de nos concitoyens résidant à l’étranger », a expliqué Jouahri.
Qui sont ces pays qui veulent mettre des bâtons dans les roues aux MRE et aux banques marocaines ? Et pourquoi ? Nous avons essayé d’en savoir plus en contactant une source bancaire de premier plan, ainsi qu’un expert européen en la matière. Et leurs réponses sont stupéfiantes.
L’Europe veut mettre en place une sorte de FATCA à l’européenne
« Il y a une idée en Europe, qui n’est pas officielle, qui est celle de faire une sorte de FATCA européenne pour suivre les avoirs détenus à l’étranger par les Européens, et particulièrement les résidents étrangers chez eux. Nous constatons ce durcissement au quotidien avec des demandes d’informations assez poussées sur nos clients MRE, sur leurs avoirs, la nature de leurs transferts… Ils veulent connaître tout, même le statut fiscal de ces avoirs », nous apprend notre source bancaire.
Le FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) est une loi qui a été adoptée aux États-Unis en 2010. Elle est destinée à déceler les « personnes des États-Unis » qui ont recours à des comptes étrangers pour éviter le paiement de l’impôt américain. En vertu de la FATCA, les institutions financières non américaines doivent communiquer au fisc américain (IRS) toute information pertinente au sujet des comptes financiers détenus par un client identifié comme étant une personne des États-Unis. Dans le cas où une institution financière non américaine ne se conforme pas à la FATCA, l’IRS pourra imposer une retenue d’impôt de 30% sur les paiements de sources américaines, versés à cette institution financière ou à ses clients.
Si l’Europe se dirige vers la même réglementation, cela changera toute la donne pour la diaspora, le Maroc et ses institutions financières.
Cette pression vient selon notre source de trois pays : la France, la Belgique et les Pays-Bas, trois pays qui comptent une diaspora marocaine très importante. Mais les banques françaises se montrent particulièrement virulentes, confie notre source bancaire.
Et ce, au moment où rien n’oblige les banques marocaines à communiquer ce type d’informations demandées par les banques européennes. Car malgré la convention de l’OCDE sur l’échange de données bancaires dont le Maroc fait partie, cet accord n’est pas encore ratifié par le Maroc et n’a pas encore été mis en application pour des raisons techniques, explique notre source.
« Des mesures vexatoires purement politiques »
Notre source qualifie ce qui se passe de grande aberration : « On peut comprendre qu’un MRE qui fait entrer du cash dans sa poche peut être assimilé à un évadé fiscal, mais un virement d’une banque à une autre, c’est totalement transparent. La banque d’origine qui exécute le transfert est censée avoir fait toutes les due diligences sur cet argent déposé chez elle en principe. On ne comprend pas l’utilité de ce durcissement des contrôles. Et on ne voit aucune logique à tout cela », s’alarme notre banquier.
Le cas de la France est particulièrement inquiétant, car le pays a lancé en 2021 une sorte de chasse aux sorcières aux comptes et avoirs détenus à l’étranger par ses citoyens – MRE compris -, avec de lourdes pénalités à toute personne qui ne déclare pas au fisc ce qu’il détient comme avoirs dans son pays d’origine. Une mesure que notre interlocuteur trouve incompréhensible.
« La France veut changer la règle en cours de route. Il y a déjà entre nos deux pays des accords de non double imposition. L’argent transféré de France vers le Maroc est censé avoir été déjà imposé en France et avoir subi toute la compliance exigée par les banques françaises. Et même si un MRE a un revenu locatif, agricole ou financier au Maroc, cela ne concerne pas la France, car cela tombe sous le coup de l’accord de non double imposition, puisque ce revenu est imposé en principe au Maroc », clarifie notre source.
Tout cela n’a, selon elle, aucune justification économique, mais il s’agit simplement de « mesures vexatoires ».
« Quand on analyse le sujet, nous en concluons que tout cela n’a pas de sens. C’est comme l’histoire des visas. Ce sont des mesures vexatoires. C’est politique tout cela. Et n’a rien à voir avec la logique économique ou financière », s’indigne notre interlocuteur.
Et d’ajouter : « En Europe, il y a le principe de libre circulation des capitaux. Si un Français de souche veut acheter un bien au Maroc, personne ne l’en empêche. Mais si c’est un MRE, on commence à lui mettre les bâtons dans les roues. Il faut qu’on fasse très attention à tout cela. Cela va d’abord de l’intérêt de nos concitoyens et de l’importance de leurs transferts pour l’économie du pays », conclut notre source.
Les banques européennes sapent la confiance envers Bank Al-Maghrib
Professeur de Fintech à la Chicago University et fondateur de Remesas.org, une organisation spécialisée dans l’étude et la recherche sur les transferts de fonds dans le monde, Inigo Moré nous confirme le caractère aberrant de ce qui se passe en Europe vis-à-vis des transferts des diasporas.
« C’est un sujet très politique. Les politiciens en parlent beaucoup ces derniers temps. En France particulièrement, où c’était un des sujets de campagne lors des dernières élections. Et ça concerne tous les courants politiques, de l’extrême droite à la gauche. Même au gouvernement, il y a une tendance à limiter les transferts de la diaspora sous prétexte de lutter contre le blanchiment d’argent », nous indique notre expert.
Il cite l’exemple de l’Espagne qui, en plus de l’identification du client qui réalise le transfert, exige désormais ce qu’on appelle « l’origine légitime des fonds ». Une exigence qui s’applique à toute personne, nous explique Ingo Moré, qui transfère plus de 3.000 euros par trimestre.
« Ce genre de contrôle en Espagne comme en Europe devient de plus en plus strict, sous couvert de lutte contre le blanchiment d’argent. C’est totalement ridicule de parler de blanchiment pour un pauvre travailleur qui envoie des petites sommes à sa famille, alors qu’on ne parle jamais des casinos, des transactions immobilières… », souligne notre interlocuteur.
Et les banques européennes ne se contentent pas de durcir le contrôle sur les MRE, mais rendent les choses plus complexes également pour les banques marocaines, toujours sous le prétexte des lois anti-blanchiment.
« Si une banque marocaine s’engage dans une opération de transfert, elle est soumise à un contrôle anti-blanchiment par la banque correspondante qui peut exiger de voir ses comptes certifiés, connaître ses actionnaires, demander un tas de certificats à fournir de la part de la Banque centrale… C’est exagéré », considère le fondateur de Remesas.org.
Pour lui, il ne s’agit pas simplement ici d’un sujet économique ou financier, mais d’une question de confiance.
« Il y a un minimum de confiance à avoir. Les banques marocaines sont contrôlées par Bank Al-Maghrib. Le Maroc est un pays très sérieux, et sa Banque centrale est crédible et fiable. Exiger pour chaque opération de transfert un contrôle anti-blanchiment, c’est ne pas faire confiance au pays et à sa Banque centrale. C’est anormal », soutient Inigo Moré.
Le 22/06/2022
Source web par : medias24
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