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De la révolte Kharijite à Idriss Ier, ou comment le Maroc a marqué son indépendance de l’Orient

De la révolte Kharijite à Idriss Ier, ou comment le Maroc a marqué son indépendance de l’Orient

Si la tendance est à la remise en question du pacte d’Awerba comme l’acte fondateur de l’Etat marocain, il serait aujourd’hui temps de revenir sur la question avec moins de “déconstrutivisme”.  Car en réalité c’est moins la création de l’Etat marocain qui importe mais la fondation de l’identité politique marocaine et de son inertie géographique. Le couronnement d’Idriss Ier n’est pas l’événement qui a amorcé le processus d’indépendance du Maroc vis-à-vis des califats d’Orient, mais plutôt la formalisation d’une spécificité affirmée par les tribus berbères contre les omeyyades puis contre les abbassides. Retour sur une séquence historique troublante et passionnante.

La réalité historique de l’Afrique du nord avant la conquête de l’Islam est souvent assimilée dans l’imaginaire à un bloc homogéne, bérbéro-judéo-romain, de l’Atlantique à la Cyrénaïque. Or, la situation était bien plus complexe. Puisque de la Libye de l’Est actuelle à l’Oranie, une forte présence romaine avait laissé derrière une structure anthropologique différente de celle qui prévalait de l’Oranie à l’Atlantique (Maroc actuel), où il n’y avait quasiment aucune poche de romanisation (1). Cette dichotomie a donc conditionné la réception de l’Islam entre ces deux grands espaces. Dans le premier, la résistance à Oqba Ibn Nafii a été virulente au vu de l’appartenance civilisationnel des peuples berbères au monde romano-byzantin (Oqba ayant été tué par un berbère algérien avec l’aide de Constantinople). Dans le Maroc actuel, la faiblesse des structures anté-islamiques a permis une réception bien plus pacifique de l’Islam :

“C’est le nord marocain qui semble avoir le plus résisté aux conquérants (ndlr: venus de Damas), c’est-à-dire le pays latinisé et christianisé. Mais bien des tribus du nord du Maroc furent entraînées par les musulmans à la conquête de l’Espagne, qui débuta en 709. Les berbères trouvèrent dans la Péninsule gloire et profit : ils devinrent solidaires de l’expansion musulmane dont ils se montrèrent les meilleurs ouvriers. C’est la conquête de l’Espagne qui a consolidé la domination de l’Islam sur la Berbérie et en particulier sur le Maroc du Nord”. 

(H.Terrasse, Histoire du Maroc, 1949, t1, p 89)

La révolte kharijite et l’affirmation de l’indépendance

Néanmoins cette idylle entre les tribus berbères marocaines et les Omeyyades ne dura que quelques temps. Alors qu’ils avaient accepté l’islamisation, ils se soulevèrent avec violence quelques années plus tards contre la présence arabe, mais au nom de l’Islam lui même. En effet, les coutumes d’autogestion berbère voyaient d’un très mauvais œil la centralisation systématique de Damas, et ont donc adopté le Kharijisme, doctrine apparue au VIIIe siècle et qui refusait l’hérédité de la succession du Califat. Il y avait également des problématiques fiscales puisque ne se considérant pas comme ayant été soumis par la force, les tribus refusèrent de payer le Kharaj (2).

En 734, la révolte sonne au nord du Maroc et les Insurgés prennent Tanger et battent les troupes loyalistes au Calife venues d’Espagne, puis en finissent avec les troupes damascènes à Kairaouane (Tunisie actuelle) en 742, une bataille qui a vu tomber le gouverneur omeyyade Koltoum qui officiait depuis l’Ifriquia depuis la perte de Tanger. Néanmoins, les manœuvres arabes en tripolitaine et le risque d’encerclement a poussé les berbères à stopper leur vendetta en Afrique du Nord et à se replier au Maroc, point de départ de leur campagne. A la faveur du renversement des Banou Oumayya par les Abbassides, et le transfert du pouvoir de Damas à Bagdad en 750, les tribus marocaines ont ainsi pu avoir leur paix des braves (3). Néanmoins, la situation au politique dans le Maghreb occidental demeure confuse avec des petits royaumes kharijites éparpillés principalement au Maroc et dans l’Ouest de l’Algérie actuelle, en plus de l’apparition d’un syncrétisme religieux à Boughwata.

C’est dans ce contexte qu’apparaît Idriss, descendant arabe d’Ali, lui-même en révolte contre Bagdad.

La rencontre de la dissidence arabe et de l’autogestion berbère

En faisant le tri entre l’hagiographie, les chroniques d’époque, et l’historiographie (recoupage et non déconstruction), l’on conclut que l’allégeance d’Idriss Ier à Awerba, n’est pas un point de départ mais l’aboutissement d’un processus amorcé par les tribus. Car comme le dit Bernard Lugan, bien qu’ayant refusé la domination orientale, le Maroc “a toujours regardé vers le Levant”. La venue d’un descendant du prophète, dépositaire d’une pureté islamique en opposition avec la décadence arabe, a réussi à fédérer les tribus, en commençant par Awerba, avant de soumettre le reste du pays, notamment le Nord et le centre du Maroc actuel. Une capacité unificatrice qui poussa ainsi le Calife abbasside Haroun Rachid à le faire empoisonner.

Néanmoins l’œuvre d’Idriss Ier a surtout été de préparer le terrain au retour de l’orthodoxie religieuse au Maroc et la fin du kharijisme, ce qui facilita unification de la foi, premier socle de l’unification politique. Puisque malgré le chaos provoqué par les successeurs de son fils Idriss II à la fin du Xe siècle, les Almoravides ont vite rempli le terrain vide, depuis le sud, profitant de la réislamisation des tribus berbères opérés par les idrissides, au début du XIe siècle ‘4). L’orientation tellurique de la géopolitique du Maroc a également été amorcée avec la constitution de plusieurs chefs lieux urbains ayant un ancrage dans l’espace saharien. 

Le refus de la domination politique de l’Orient décadent est donc une constante de l’histoire du Maroc, en témoigne, les conflits sanglants entre Saadiens et Ottomans (5), ou encore une fois, signe de cette constante, un Sultan marocain – Mohammed Echeikh – sera assassiné par l’evahisseur oriental. Cette orientation sera de moins en moins prioritaire cependant depuis que les menaces des puissances impériales européennes étaient bien plus dangereuses que celles venant des Ottomans de moins en moins puissants et de plus en plus attachés à leurs conquêtes en Europe de l’Est (6).

1. La romanisation de l’Afrique (Tunisie, Algérie, Maroc) de Gauthier E.J 1913

2. Aux origines de la Berbérie de G. Camps, 1963

3. De Rome à l’Islam de Courtois Christian, sur Revues africaines 1942

4. Histoire de l’islamisation de l’Afrique de l’Ouest, Joseph Cuoq, 1984

5. Al Ifrani, Histoire de la dynastie saadienne, 1888

6. Le Maroc face aux impérialismes. Charles-André Julien 1979

Le 08/05/2021

Source web Par : inactuel

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