Stratégie solaire : le quitte ou double du Maroc (II)
Choix technologique décrié, déficit structurel, retard dans l'atteinte des objectifs, projets à l'arrêt,... Les griefs contre la stratégie solaire sont nombreux dix ans après son lancement. Cette issue pouvait-elle être anticipée ?
On mesure la réussite ou l’échec d’une stratégie à l’atteinte de ses objectifs. Sur ce point, la stratégie solaire n’a pas été au rendez-vous fixé en 2020, malgré le fait que les responsables ne cessaient de clamer le contraire.
Rappelons que le Maroc devait atteindre une capacité solaire installée, à l’horizon 2020, de 2.000 MW et une capacité éolienne et hydroélectrique installée de 2.000 MW chacune.
En 2018, le management de Masen affirmait que les objectifs seraient dépassés en 2020. Au cours de ces deux années, très peu de réalisations ont été concrétisées et l’objectif n’a finalement pas été atteint.
Au lieu des 42% espérés, la part des énergies renouvelables (EnR) dans la puissance électrique installée (10.557 MW), est d’environ 36,8%.
Cela suffit-il à conclure à l’échec de la stratégie ? Nos différentes sources sont partagées. Pour certains, la réponse est oui. Jusqu’à qualifier ce qui se passe dans le solaire de « Talsinterie«, en référence à l’affaire Talsint qui a fait scandale, au début des années 2000.
Pour d’autres, « parler d’échec est un bien grand mot«. Les éléments d’appréciation de cette stratégie sont plus complexes. D’autres paramètres, au-delà des chiffres, sont à prendre en considération : les contextes national, international et géostratégique, les technologies disponibles, les contraintes, les coûts, le taux d’intégration économique …
Au commencement, une situation de crise transformée en ambition
En 2008-2009, le monde traverse une crise internationale ayant d’importantes répercussions sur les cours des matières premières, marqués d’une grande volatilité. A titre d’exemple, le baril de pétrole a explosé tous les records atteignant un pic de 144,27 dollars en juillet 2008, avant de chuter à 32 dollars vers la fin de l’année.
Des fluctuations énergétiques « immaîtrisables », avec des prix insoutenables pour des économies émergentes. Par ailleurs, les questions du changement climatique sont au cœur des débats mondiaux. Une mobilisation internationale se met en place.
Sur le plan national, le Maroc est engagé dans de grands projets structurants qui ont besoin d’énergie. De ce fait, la consommation électrique a atteint des niveaux très élevés. « Cette évolution dépassait toute la planification prévisionnelle faite par le Maroc, une situation difficile », commentait un responsable du ministère de l’Energie en 2013, lors d’une conférence-débat sur la transition énergétique.
Le Maroc était donc acculé à réviser sa stratégie. Il met en place une stratégie basée sur la transition énergétique qui permet d’utiliser les EnR, une ressource disponible localement, pour produire l’électricité propre, diminuant ainsi notre dépendance aux importations et notre empreinte carbone.
La CSP, une erreur d’appréciation ?
Dans ses fondamentaux, la stratégie marocaine est bonne. Dans son exécution, certaines fausses notes ont été commises, de l’avis des experts sondés.
« La lettre de cadrage royale envoyée aux premières assises de l’énergie en mars 2009, mettait en exergue deux points importants comme fondamentaux de notre transition énergétique. Le premier fondement est l’efficacité énergétique comme priorité nationale. Le second est l’adoption des énergies renouvelables et propres (gaz naturel, électronucléaire, solaire de puissance,…) lorsque les conditions économiques… seront remplies », avance l’expert en conseil stratégique dans le domaine des politiques énergétiques, Said Guemra.
« Sa Majesté disait que toute autre technologie utilisée doit répondre à la condition des critères économiques. Cela veut dire qu’on ne doit pas dépasser le coût du charbon et de l’éolien, qui étaient choisis comme socle de notre production. C’est à dire, un prix moyen du réseau de 0,6 DH/kWh. Donc les consignes étaient claires«, poursuit-il. Pour ce dernier, ces consignes n’ont pas été respectées.
« L’annonce d’un plan solaire venait avec la promesse de gains énormes sur la facture énergétique, le prix de l’électricité allait baisser… Le gain annoncé devait être de 21 MMDH. Et ce projet allait coûter environ 9 MM$, à l’époque où le dollar coûtait 8 DH, donc 72 MMDH. En conclusion, sur le papier on se disait c’est excellent on va récupérer notre mise en moins de 4 ans. Mais à la signature de NOOR 1 avec Acwa Power, les espoirs se sont effondrés en apprenant que le kWh allait être vendu à 1,62 DH », explique Said Guemra.
Sur les trois projets du complexe Noor Ouarzazate, les prix varient entre 1,62 et 1,38 DH et sont vendus à 0,85 DH à l’ONEE. Masen supporte la différence entre le prix d’achat à Awca Power et le prix de vente à l’ONEE. Un écart estimé à 800 MDH par le CESE.
« A cela, il faut ajouter le déficit caché, supporté par l’ONEE qui est en train d’aggraver sa situation. C’est le différentiel entre le prix d’achat du solaire à 0,85 DH et son coût de production moyen estimé à 0,60 DH », précise Said Guemra.
« Résultat de tout cela, on se retrouve finalement en 2021 avec des déficits croissants. Plus le soleil brille et plus le contribuable subventionne », avance-t-il, en assurant que le Maroc a fait une erreur en optant pour la technologie CSP.
Pour lui, « la CSP était une nouvelle technologie, une technologie de laboratoire qui n’a pas atteint le stade de maturité. Le Maroc a donc été le terrain d’expérimentation de trois technologies, la CSP, la tour et le photovoltaïque. Et, franchement, nous n’avons pas les moyens pour expérimenter des technologies nouvelles. Nous avons besoin de technologies éprouvées qui marchent ».
« On a subi un échec sur la technologie CSP. Il faut l’assumer et avancer », tranche-t-il en assurant que le Maroc aurait mieux fait de miser sur l’éolien, dont le prix était à l’époque moins cher que le solaire, et attendre que le prix de l’énergie solaire baisse avant de s’y aventurer.
Le stockage, le facteur déterminent
Les interrogations sur les choix technologiques en matière de solaire, le différentiel de coût entre la CSP, le photovoltaïque et l’éolien ne sont pas récents. Elles ont accompagné le projet depuis ses débuts. Médias24 avait consacré un article à cette question en 2013 avec pour titre : Plan solaire marocain : le projet CSP coûterait-il trop cher ?
Et de toutes les analyses, l’élément du stockage ressortait comme facteur déterminant dans le choix opéré par le Maroc.
« Le Maroc n’avait pas privilégié telle technologie par rapport à telle autre. Les autorités cherchaient simplement une solution pour s’affranchir de leur dépendance aux combustibles fossiles importés et lutter contre le changement climatique. Lors de l’étude de marché réalisée par MASEN, la compagnie nationale d’électricité a souligné que les pics de demande étaient enregistrés en début de soirée, juste après le coucher du soleil. Grâce à ses capacités de stockage thermique, la CSP pouvait donc répondre à ces besoins. En revanche et, malgré des coûts d’équipement bien moindres, l’énergie photovoltaïque ne peut produire de l’électricité qu’en plein jour, quand le soleil brille. Conscientes de la supériorité de la solution CSP, les autorités marocaines étaient disposées à investir », avance Mustapha Bakkoury, PDG de Masen, cité dans un article publié sur le site de la Banque mondiale en 2016.
Sachant l’importance du stockage pour le Maroc, « il faut comparer le comparable », nous dit un acteur qui est au cœur des projets EnR marocains. « A cette époque, les solutions de stockage associées au PV n’existaient pas. Elles n’ont commencé à émerger qu’après, mais restaient chères », ajoute notre interlocuteur.
Une source à l’Association Marocaine de l’Industrie Solaire et Eolienne (AMISOLE) verse dans le même sens. « Replaçons les choses dans leur contexte. Le choix de telle ou telle technologie est fait sur la base des besoins de l’acheteur qui est l’ONEE, c’est-à-dire avoir de l’énergie à l’heure de pointe qui venait en début de soirée et qui lui coûtait cher ».
Cet argument ne trouve pas écho auprès de Said Guemra qui estime qu’il n’est pas pertinent. « Finalement, l’énergie solaire intervient sur une petite partie de la pointe électrique. Quand vous avez 160 MW de Noor 1, disons que la moitié de cette puissance intervient sur les 3 heures de pointe nationale de plus de 7.000 MW. C’est du 1% de réduction de la pointe, de quoi on parle ? On ne peut pas dire que le stockage va nous aider au niveau de la pointe qui est, par ailleurs, très bien gérée par l’ONEE », rétorque-t-il.
Que l’électricité générée par le complexe Noor ait un impact significatif ou non sur la pointe, on ne pouvait le savoir réellement qu’après coup. Mais pouvait-on anticiper le déficit, le coût élevé de la technologie, les difficultés rencontrées dans les projets ?
Toutes nos sources répondent par l’affirmative. « La stratégie a été annoncée, discutée, analysée au vu et au su de tout le monde au Maroc et à l’international du fait de l’implication d’institutions internationales », répond notre acteur du secteur énergétique.
« Les gens font mine de découvrir qu’il y a un déficit ou encore des retards dans la stratégie. On savait, bien évidemment, qu’il y aurait des déficits à supporter. Masen a été créée avec l’idée d’absorber ce déficit tout en travaillant un business model pour inverser la vapeur. Pour ce qui est des retards, leur premier jalon était le rendez-vous raté de 2015. Car initialement, les premiers 500 MW de solaire devaient être opérationnels en 2015 avant d’atteindre les 2.000 en 2020 », assure un fin connaisseur du secteur.
Noor Midelt, le second complexe solaire, voulu par le Maroc encore plus grand que Noor Ouarzazate grâce à ces 1.600 MW accuse des retards importants. Certains présagent même son abandon. D’autres penchent, plutôt, pour un repositionnement du projet sur la technologie PV.
L’intégration industrielle, parent pauvre de la stratégie
Un autre point sur lequel s’accordent nos experts, c’est que la taille des projets lancés ne laissait pas au Royaume une grande marge de manœuvre. « Le Maroc a peut-être eu les yeux plus gros que le ventre« , avance l’une de nos sources.
« Le Maroc n’est pas un marché, il fait partie du marché. Il n’a pas la taille de marché pour être créateur de technologie. Il ne peut que suivre les tendances internationales. En réalité, s’il y a un biais dans la stratégie c’est d’avoir opté pour des mégaprojets alors que le tissu industriel n’était pas prêt à suivre« , poursuit notre interlocuteur.
« Les responsables de la stratégie avaient deux alternatives : plusieurs petits projets ou un mégaprojet. Le processus juridique et administratif (appels d’offres, due diligence, contrats, financement,…) étant le même; quelle que soit la taille du projet, ils ont opté pour un grand projet au lieu de plusieurs petits projets pour lesquels le processus doit se refaire à chaque fois. Sur le principe, la logique se tient. Mais le fait d’avoir fait de l’industrie solaire un marché; a mis le Maroc face deux issues possibles : une réussite spectaculaire ou un échec retentissant. Si la réussite était aussi franche qu’espérée, personne n’essaierait aujourd’hui de se dédouaner de cette stratégie, car disons-le, la responsabilité des décisions prises est collective« , avance cette source qui connaît bien les arcanes de la stratégie solaire.
Pour lui, ce choix de grands projets qui paraissait à l’époque défendable et une meilleure option, n’a pas permis de mettre en place une vraie industrie du solaire. « La création de l’industrie ne se fait pas dans les bureaux cossus de Rabat », conclut-il.
C’est d’ailleurs ce que reproche l’Amisole à la stratégie solaire. « Ce n’est pas seulement une question de chiffres. Le problème n’est pas tant ce qui a été réalisé ou non, mais quid de l’intégration industrielle… où est le savoir-faire marocain dans l’industrie solaire ? «, Avance notre interlocuteur.
« On évoque un taux d’intégration de plus de 30%. Encore une fois regardons au-delà des chiffres. Qu’est-ce qu’il y a dedans ? C’est une bonne chose que nos entreprises marocaines de génie civil et de structures aient pu accompagner ce projet, mais qu’en est-il du savoir-faire marocain en termes de panneaux solaires, d’onduleurs,… Si on avait consacré 5% de l’objectif de 2.000 MW en petits projets accessibles pour les entreprises marocaines, on aurait pu construire une industrie« , poursuit-il.
« Sur ce volet, il est clair que le Maroc a perdu 10 ans », conclut notre source à l’Amisole.
Tout n’est pas perdu
Critiquer une stratégie n’est pas la condamner. Ce n’est pas, non plus, un procès fait à ses porteurs. C’est un débat dans un esprit constructif pour apporter un regard externe qui permet de réajuster ce qui doit l’être.
Ce qui ressort de l’analyse de nos experts est que la stratégie solaire est plus que jamais importante pour notre pays. « Toutes les raisons objectives qui ont été derrière l’adoption de cette stratégie sont toujours d’actualité. Il n’y a donc pas de raison pour l’abandonner. Au cours de cette dernière décennie, on a révisé la gouvernance du secteur, on a révisé les lois, on a revu les objectifs, on devrait peut-être aujourd’hui réviser la stratégie« , avance-t-on à l’Amisole.
« Je pense aussi qu’il est préférable d’abandonner ou, du moins, ne plus mettre le focus, sur des grands projets difficiles à financer, à mettre en place, à gérer…. On ne peut plus travailler ces mégaprojets qui nous mettent à genoux. Il faut, plutôt, s’orienter vers des projets de plus petite taille décentralisés sur tout le Maroc. C’est-à-dire des projets de 50 ou 100 MW qui peuvent vraiment avoir un impact régional et qui sont faciles à financer par les banques marocaines. Nous verrons la naissance de nouveaux opérateurs marocains qui peuvent vendre l’électricité en moyenne et basse tensions, à condition de faire sauter les blocages de la loi 13/09 », recommande l’expert Said Guemra. (A SUIVRE)
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Le 14 avril 2021
Source web Par : medias24
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