#MAROC_terre_crue: Une solution pour alléger la facture thermique du bâtiment
Le chercheur Jean-Claude Morel décrit les bienfaits de ce matériau délaissé dans le secteur de la construction, malgré sa résistance et ses excellentes propriétés thermiques.
Et s'il suffisait de s'inspirer de techniques millénaires pour concevoir des édifices et des habitations durables ? Le secteur du bâtiment fait sans conteste partie des plus énergivores. En France, il représente 44% de l'énergie consommée et émet chaque année plus de 123 millions de tonnes de CO2, selon le ministère de la Transition écologique. Alors que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré mercredi que l'Union européenne devait tendre vers un nouvel objectif de réduction de 55% de ses émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990 et d'ici 2030, il est plus que jamais urgent d'innover, de proposer des solutions. Et pour diminuer la facture thermique du bâtiment, les constructions en terre crue ont de sérieux atouts. Jean-Claude Morel, chercheur à l'université de Coventry, au Royaume-Uni, a consacré sa carrière à ce matériau longtemps délaissé, dont la simplicité n'est qu'apparente. Il a expliqué à Libération en quoi elle pourrait être une des clés de la transition écologique du bâtiment.
Délaissée pendant des siècles, la terre crue retrouve petit à petit sa légitimité auprès des architectes. Suffit-il de creuser dans n’importe quel sol pour se la procurer ? En quoi consiste exactement ce matériau ?
La terre crue est une technique de construction aussi ancienne que l’homme ! Et surtout, elle a été utilisée partout à travers le monde. Cela explique l’immense diversité des techniques d’exploitation de la terre crue : la bauge, le torchis, le pisé… Pour synthétiser, il s’agit de puiser de la terre dans le sol contenant de l’argile, en plus ou moins grande quantité. Ensuite, les techniques diffèrent en fonction de l’époque, de la culture, et de la zone géographique. Le seul paramètre important, c’est qu’il ne faut pas chercher à dénaturer la terre en lui ajoutant des substrats. Certains ne voient aucun problème à y incorporer du ciment, sous prétexte de vouloir la consolider. C’est illogique, ça va à l’encontre d’une démarche durable.
La terre crue n’est pas une ressource renouvelable, elle ne se régénère pas une fois extraite. En revanche, si elle reste pure, elle est réutilisable à l’infini. Pour y avoir accès, on n’a pas besoin de creuser des carrières, ça n’aurait d’ailleurs pas de sens. On sait aujourd’hui que la construction est l’un des secteurs qui génère les plus gros déchets en Europe. A l’intérieur de ces déchets, on trouve une immense quantité de terre crue. Pourquoi ne pas l’exploiter ? L’Orangerie, dans le quartier Confluence de Lyon, est un exemple emblématique. On a récupéré la terre d’un chantier situé 30 kilomètres plus loin. Plutôt que de l’envoyer dans des décharges, on l’a utilisée pour construire un bâtiment nouveau. C’est une économie circulaire rare dans le milieu de la construction.
Quels sont les autres avantages des constructions en terre crue ?
Le secteur du bâtiment est très énergivore. Il faut les chauffer, parfois les climatiser et cela rejette dans l’atmosphère une quantité importante de gaz à effet de serre. Or la terre crue est un matériau très isolant, capable de conserver la chaleur comme la fraîcheur. En revanche, pour exploiter cet atout, il faut bien le connaître. Quand les murs sont épais et que la terre est apparente, l’énergie est mieux stockée. De plus, la terre crue correspond très bien à nos climats continentaux, mais sa capacité à réguler la température fonctionnera moins bien dans les zones géographiques où la chaleur ne diminue pas la nuit.
Une étude publiée en 2012 par l’éditeur de littérature scientifique néerlando-britannique Elsevier a démontré qu’un revêtement en terre crue argileuse peut améliorer la qualité de l’air en absorbant certains éléments comme l’ozone. Cette propriété peut être intéressante dans un contexte épidémique. Des études sont menées pour évaluer la capacité de l’argile à absorber des virus.
Comment expliquer la persistance des préjugés négatifs sur la terre crue, alors ?
Selon moi, le premier obstacle à la démocratisation de la terre crue est culturel. Dans les écoles d'ingénieur et d'architecte, tout le monde est formé au béton. On ne parle pas de la terre. Elle a l'image d'un matériau salissant, peu résistant. Beaucoup ont conservé le souvenir du tremblement de terre de 2003 en Iran, où les constructions de brique crue se sont effondrées. La terre a été pointée du doigt comme trop fragile. Mais personne n'a accusé le béton quand le pont de Gênes s'est effondré en août 2018. On a des bâtiments en terre vieux de plusieurs siècles et qui sont toujours là, alors que le béton armé n'a jamais été dimensionné pour durer aussi longtemps.
Il y a aussi des obstacles politiques. Le secteur du bâtiment est soumis à une réglementation importante qui favorise des techniques industrielles. Mais la terre crue ne peut pas être exploitée de manière industrielle ! Les professionnels de la construction ont pris l’habitude d’adapter les matériaux à leurs besoins. Or, quand on utilise la terre, c’est à nous de nous adapter à ce qu’elle offre. La terre a besoin d’un savoir-faire humain, de cerveaux et de mains capables de s’adapter en permanence. Ce n’est pas vraiment compatible avec nos sociétés modernes où tout est standardisé et réalisé en série.
Le 18 février 2021
Source web Par : liberation
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