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"Architectures du bien commun", le nouveau et passionnant livre de Salima Naji



Le bâti ancien n'est pas uniquement un héritage esthétique, historique ou culturel. Il n'est pas uniquement muséographique. Il peut devenir une alternative, à travers des "filières constructives" recréées, écologiques et durables.

Salima Naji publie un nouveau livre sur son (passionnant) travail. Un jour, c'est elle qui sera un sujet d'étude. Une architecte qui s'est tournée vers le passé et le rural, vers le "bien commun" (agadir, oasis, lieux de cultes), construits à travers les siècles par des collectivités selon des techniques locales forgées dans la durée.

Salima Naji aurait pu construire des immeubles, des sièges sociaux, des villas; obtenir des prix, se faire un nom à la mode, une griffe. Elle a choisi les biens communs comme un sacerdoce, un ministère, bien plus qu'une vocation ou une passion.

Dans l’imaginaire collectif, la ville moderne doit être bâtie à coup de ciment, de béton armé et de verre. Cette vision est opposée à l’architecture ancienne ou traditionnelle qui a accumulé savoirs et techniques à travers les siècles, mettant à profit matériaux locaux, environnement et contexte socio-économique.

Dans son livre Architectures du bien commun (M?tis Presses), elle plaide pour une véritable restauration et protection de ces lieux constitutifs du patrimoine architectural ainsi que pour une approche sociale et écologique du bâti au Maroc.

Architectures du bien commun aborde les sujets de la valeur que l’on accorde au patrimoine, des difficultés rencontrées sur les chantiers de restauration, ainsi que des possibilités qu’offre un tel patrimoine à un niveau urbanistique, social et écologique. Ce livre est un plaidoyer non seulement pour une revalorisation du patrimoine mais aussi pour un changement des attitudes face à notre culture et à notre passé ainsi qu’à notre manière de vivre et d’habiter.

Tradition ou modernité ?

On comprend assez vite, à la lecture de ce livre, que le paradigme opposant de manière caricaturale tradition et modernité est un cliché. En effet, issu d’abord d’une vision coloniale orientalisante et archaïsante, ce paradigme apparaît aujourd’hui dans une volonté d’être moderne, et cette « modernité » passe par la conformation à des codes occidentaux qui ne prennent pas nécessairement en compte les conditions sociales et environnementales marocaines.

En d'autres termes, la tradition a été un jour une modernité. Ce qui compte, c'est d'abord d'encourager la vraie création; ni une sacralisation du passé, ni un mimétisme dans le présent.

La majorité de architectes ont préféré la brique et le béton armé à la terre crue et à la pierre. Ce phénomène est favorisé par un discours considérant ces dernières comme archaïques et par une législation qui leur était défavorable, du moins jusqu’en 2015. Il relève aussi d’une volonté de s’émanciper des traditions dans le but d’obtenir un prestige social, la maison construite avec des matériaux et des procédés dits modernes étant un symbole de réussite sociale.

Cependant, l’attrait pour une certaine idée de la modernité importée de l’Occident n’est pas la seule cause sous-jacente de ce phénomène. En effet, un discours salafiste — c'est-à-dire désireux d’un retour à un islam jugé pur et authentique — et porteur d’une vision internationaliste et unificatrice de l’islam méprise ces architectures traditionnelles. On peut citer l’exemple des igoudar, ces greniers collectifs qui sont non seulement des bâtiments à la fonction agricole, sociale et spirituelle mais aussi les détenteurs d’une richesse architecturale et de spécificités régionales, que de tels discours tendent à faire disparaître.

Des chantiers laborieux techniquement et pédagogiquement

Plusieurs obstacles s’élèvent face à ceux désireux de voir ces bâtiments historiques restaurés. Il s’agit de comprendre avant toute chose que leur valeur découle d’abord de leur historicité — c'est-à-dire de ce qu’ils peuvent nous dire de notre histoire, de nos pratiques sociales et environnementales — ainsi que de leur valeur architecturale, c'est-à-dire des techniques et des savoirs dont ils sont les gardiens.

Par conséquent, la restauration n’a pas pour unique finalité la restitution du bâtiment dans son authenticité mais aussi et surtout l’apprentissage que représente le chantier. Le chantier représente alors une véritable école. Parmi les chantiers évoqués dans le livre, on peut évoquer ceux des igoudar d’Aguellouy et d’Id Issa à Amtoudi ou celui de l’agadir d’Inoummaâr à Idouska n’tsila.

De là, les « restaurations » à but touristique, répondant aux « cahiers de charge de l’hôtellerie de luxe » et financées par de grands groupes ou les grandes figures du monde économique, manquent de rigueur dans la réalisation authentique des procédés constructifs et se conforment dans une action superficielle et grandiloquente, délaissant ainsi les techniques traditionnelles et mettant à mal la signification profonde des sites, c'est-à-dire leur historicité.

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D’un autre côté, les projets de restauration se trouvent freinés ou abandonnés par des obstacles propres au chantier lui-même. La corruption de certains élus locaux et les conflits d’intérêts au sein de la population locale ralentissent les travaux, tout comme le manque d’ouvriers qualifiés qui rendent les chantiers laborieux techniquement et pédagogiquement.

Parmi les projets remarquables, la rénovation de la kasbah de Tiznit (chantier malheureusement à l'arrêt) dans le cadre d’un projet de centre de réinterprétation culturel a retenu notre attention. Une promenade autour et dans la kasbah est proposée et un théâtre en plein air et un espace muséographique avec jardins ont été installés. Ce projet à permis de remettre le patrimoine au cœur de la ville et des habitudes des habitants : le patrimoine n’est pas qu’une chose morte consacrée dans un sanctuaire isolé mais elle s’insère aussi dans des habitudes sociales qui peuvent être conservées ainsi que renouvelées.

Un modèle écologique pour le futur

L’intérêt qui doit être porté aux bâtiments d’architecture dite vernaculaire ne relève pas uniquement d’une nature technique ou historique mais doit aussi s’insérer dans les questions écologiques auxquelles ce type d’architecture semble apporter une réponse. En effet, l’architecture traditionnelle est pensée dans une harmonie et une adaptation à l’environnement. Elle utilise des matériaux disponibles à proximité : terre crue, pierres, adobe faite à partir de paille et de terre, pisé fait de terre comprimée.

Outre le fait d’offrir un cadre de vie de qualité et un confort notamment thermique, leur utilisation est écoresponsable : un impact faible sur l’environnement — contrairement à l’industrie du ciment qui épuise des ressources rares — et une réutilisation possible des matériaux ne générant ainsi aucun déchet !

Nos manières actuelles de construire, coûteuse et nuisibles pour nous et pour l’environnement, doivent nous amener à réfléchir sur la manière dont nous voulons construire notre futur. Notre patrimoine est riche d’un savoir-faire qui mérite d’être exploré, développé et plébiscité.

Au XXIème siècle, où les questions écologiques se font criantes, la question du bâti —qui nous touche intimement — doit être repensée au même titre que toutes nos manières de produire, de consommer, de vivre ensemble.

C’est avec de telles réflexions que l’on quitte le livre de Salima Naji, "Architectures du bien commun", la question du bien commun étant au cœur du grand enjeu contemporain qu’est la refonte de nos modes de vie. De là, l’intérêt pour l’architecture traditionnelle serait une étape pour trouver une issue marocaine aux questions écologiques et sociales.

Photo de début d'article:

Salima Naji lors des travaux de restauration du grenier Aguellouy, Amtoudi, région Guelmim-Oued Noun. Financement Prince Claus et Global Heritage fund de 20 000 dollars pour la restauration des deux greniers de la vallée d'Amtoudi fortement abîmés suites aux pluies diluviennes de 2014.

Le 31 août 2020

Source web par : medias24

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