Le patrimoine architectural national gravement malmené
Triste trouvaille. Restaurer par la destruction
Recoller à l’identique un miroir brisé en mille morceaux. Utopique et totalement dénuée de sens, cette hypothèse trouve pourtant un prolongement dans la démolition partielle de la mosquée “Assuna”. Car c’est le discours lénifiant servi à l’Association Casamémoire par les autorités compétentes, après la vive polémique née des travaux censés réhabiliter un édifice historique qui n’en avait pas vraiment besoin, et dont la valeur architecturale est inestimable. Récit d’une affaire dont personne n’est sorti grandi. Surtout pas le patrimoine de la ville.
L’une des plus emblématiques mosquées de la ville
Le 17 novembre dans l'après-midi, Casamémoire, association dont l'objectif est de promouvoir et de sauvegarder le patrimoine architectural du XX? siècle de la capitale économique du pays, se fendait d’un communiqué incendiaire. “Quand allons-nous comprendre la valeur de notre patrimoine?”, s’est interrogée Rabia Ridaoui, présidente de Casamémoire. “La mosquée «Assuna», l’une des plus emblématiques mosquées de la ville, réalisée en 1968 par Emile Duhon, l’architecte de Feu S.M le Roi Mohammed V, est en cours de démolition”, poursuit-elle tout en dénonçant vigoureusement les travaux de démolition. Une indignation somme toute compréhensible, d’autant que les enjeux, notamment en coulisse, dépassent le simple cadre de la mosquée “Assuna”. Si l’on en croit Rabia Ridaoui, cette mosquée est “l’une des pierres angulaires de l’argumentaire pour l’inscription de Casablanca sur la liste indicative de l’UNESCO.” Face à l’assourdissant silence des autorités compétentes, Casamémoire a pris la courageuse décision d’organiser sous 48 heures, un sit-in devant le parvis de la mosquée “Assuna” afin de dénoncer une démolition qui rangerait dans le tiroir des oubliettes “l’un des témoignages singuliers de style brutaliste au Maroc, un symbole de la modernité, de la diversité culturelle et de la tolérance que Sa Majesté le Roi Mohammed V a instauré comme valeurs fondamentales pour le Maroc moderne”, souligne Casamémoire.
Des travaux de démolition sans autorisation
Quelques jours plus tard, les anciens murs et la toiture de la mosquée Assuna, et plus précisément la partie réservée aux femmes, ne sont plus qu’un amas de gravats composés de béton et de fer. Et le courageux sit-in ? Annulé. Mais pourquoi donc, l’Association Casamémoire a-t-elle fait marche arrière alors que les travaux de démolition avaient débuté sans plaque indicative, sans avertissement et encore moins autorisation? “L’association a été contactée par les autorités compétentes”, nous révèle un acteur proche du dossier “Elles ont tout d’abord présenté leurs excuses, prétextant qu’elles ignoraient, à la fois, la valeur historique et architecturale de la mosquée “Assuna” et l'existence même de l’Association Casamémoire. Puis, elles ont promis à l’association que les dégâts seraient réparés”, ajoute notre interlocuteur, qui a été aussi surpris que nous l’avons été par la tournure des évènements.
Restaurer après avoir détruit
Une partie de l’édifice religieux sera donc restaurée après avoir été...détruite. Une drôle de façon de s’y prendre, aux antipodes, par exemple, de la restauration de l’ancienne Médina de Fès. Une restauration quasiment parfaite, puisqu’elle n’a démarré qu’après une compréhension spécifique et globale, à la fois de l'archéologie, de l'histoire, de l'architecture, de ses décors et de son usage. Et surtout sans démolition. “L’association n’a pas donné beaucoup de crédit aux discours des autorités. Mais que faire dans ce cas ? Leur déclarer la guerre ? Ça ne servirait à rien. Les membres de l’association se sont, d’une part, réjouis de leur force de frappe médiatique et, d’autre part, ils ont timidement proposé aux autorités compétentes de participer aux travaux, en engageant des architectes bénévoles pour mieux contrôler et préserver les travaux de restauration de la mosquée Assuna. Mais l’association s’est vu opposer un refus poli”. nous confie notre interlocuteur. Les autorités en question, qui ont, par ailleurs, justifié leur manque de communication sur le sujet par un simple “c’était un jour férié (Fête de l’Indépendance)”, semblent en réalité maîtriser leur sujet, quand bien même elles veulent faire croire le contraire. Preuve en est la démolition du Café Maure de Rabat, pendant l’été 2020, quelques semaines après celle de la villa Mauvillier à Casablanca (voir notre édition du mercredi 17 juin 2020 ).
Impossible de remonter le temps
Certes, un café n’est pas une mosquée aux yeux de la loi, mais aux yeux de l’histoire, ce sont des édifices à grande valeur patrimoniale. Quoi qu’il en soit, les autorités avaient à l’époque justifié la démolition du Café Maure par son intégration dans un projet global de mise en valeur de la Kasbah des Oudayas. En gros, le site devrait être reconstruit à l’identique. Difficile de croire à un scénario aussi idyllique. S’il était possible de remonter dans le temps, ça se saurait. Or c’est la seule solution pour reconstruire à l’identique, en utilisant les mêmes matériaux de l’époque et les mêmes techniques, conditions indispensables pour reproduire un tel travail d’orfèvre. Bref, vous l’aurez compris, la communication des autorités compétentes a pour principal objectif d'éteindre les flammes de la polémique. Et il faut croire qu’elles ont réussi leur coup, jetant par la même occasion le discrédit sur les véritables intentions des associations de sauvegarde du patrimoine. Qui plus est quand le passé regorge d’affaires où ces mêmes associations sont loin d’être blanc-seing. L’affaire la plus marquante reste celle liée au projet du Grand Théâtre de Casablanca. A l’époque, plusieurs voix se sont élevées contre la destruction programmée de la fontaine de la place Mohammed V. Nombre d’associations de sauvegarde de patrimoine avaient crié leur désarroi alors que le projet allait conjuguer au passé et à jamais, un lieu creuset des souvenirs de l’enfance des habitants de Casablanca. Des associations dont Casamémoire ne faisait étonnamment pas partie. Et pour cause, Rachid Andaloussi était à la fois un des deux architectes responsables du projet du Grand Théâtre de Casablanca, mais aussi président de Casamémoire. Il avait d’ailleurs proposé un déplacement de la fontaine. Par déplacer, il entendait certainement détruire avant de reconstruire. Un discours qui est toujours d’actualité, la mosquée “Assuna” faisant foi. Sauf qu’entre-temps, le mal est déjà fait.
Le 22/11/2021
SOURCE WEB PAR Libe
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