368 milliards de DH, la part de l’économie non observée dans le PIB en 2018
La CGEM réclame des Assises nationales sur l’informel avant celles prévues sur la fiscalité et l’emploi. Le phénomène, sous le concept large d’économie non observée, prend des proportions importantes. Le HCP l’intègre dans le calcul du PIB.
De nouveau, le dossier de l’informel remonte à la surface : la CGEM, qui a dressé le constat de ces activités à travers une étude réalisée par le cabinet Roland Berger, il y aura bientôt un an, réclame désormais des Assises nationales sur l’informel, avant même celles qui devraient être organisées, courant avril-mai, sur la fiscalité ou encore la formation et l’emploi. Dans la mesure où une bonne partie des moyens de lutte contre l’informel, suggérée par les experts en la matière, est de nature fiscale, la proposition tombe sous le sens. Mais connaissant les divergences qui entourent cette thématique, puisque certains y voient encore un “filet social” dont le démantèlement ne serait pas sans conséquences, la question reste donc posée de savoir si la requête du patronat sera entendue.
En attendant, il n’est peut-être pas sans intérêt de repréciser ce phénomène, car celui-ci ne se limite pas à l’informel dans son sens le plus restreint et qui est déjà statistiquement appréhendé par le HCP à travers des études auprès des ménages. Il se déploie aussi sous d’autres formes, visibles et invisibles, licites et illicites, et, explique un spécialiste marocain, «touche, ne serait-ce que partiellement, des activités relevant du secteur organisé». De sorte que, désormais, le concept le plus approprié pour parler des activités totalement ou partiellement hors contrôle, c’est celui de l’économie non observée (ENO).
Le système de comptabilité nationale (SCN) des Nations Unies de 2008, auquel la plupart des Etats, dont le Maroc, se conforment pour la confection de leurs comptes nationaux, a classé l’ENO en quatre branches : la production informelle, la production souterraine, la production illégale et la production des ménages pour leur propre usage.
Au Maroc, la production informelle, limitée au secteur non agricole, est saisie à travers les enquêtes du HCP, dont la dernière remonte à 2014. La précédente avait été réalisée en 2007. Ce type d’enquête est dite structurelle, elle ne se renouvelle, par conséquent, que tous les dix ans, environ. Dans cette enquête, l’informel est défini comme toute production de biens ou services qui n’obéit pas à une comptabilité détaillée, donc non conforme à la réglementation comptable en vigueur. Le poids de cette production informelle non agricole est estimé à 11,5% du PIB, au lieu de 11% lors de l’enquête de 2007. Et contrairement à ce que beaucoup pensent, ces activités informelles sont intégrées dans le calcul du PIB marocain. Bien plus, on peut le révéler ici, au moment d’élaborer les comptes nationaux pour évaluer le PIB, donc la richesse produite, le HCP tient compte aussi de deux autres paramètres, qui n’étaient pas concernés par l’enquête de 2014, mais qui sont appréhendés par des techniques de modélisations et autres outils statistiques : l’activité agricole et les loyers dits fictifs ou implicites (c’est-à-dire les loyers que les propriétaires auraient dû payer s’ils étaient locataires). Précisons tout de suite que la notion de loyer fictif, aussi farfelue qu’elle a l’air, n’est pas quelque chose de nouveau, tous les pays, du moins ceux qui tiennent une comptabilité nationale conforme aux standards internationaux, l’intègre dans le calcul du PIB. Pour la raison simple que l’occupation d’un logement acquis en toute propriété est considérée comme un avantage en nature, évalué précisément au moyen du loyer fictif. Selon un responsable au HCP, celui-ci représente une moyenne de 10% du PIB entre 2007 et 2017. Les activités agricoles, elles, c’est une moyenne de 13% du PIB. En y ajoutant les 11,5% de l’informel non agricole, confie le même responsable, l’économie non observée, telle qu’elle est calculée par le HCP, ressort à 33/34% du PIB en moyenne sur la période 2007-2017. En 2015, par exemple, année dont les comptes sont maintenant définitifs, la part de l’économie non observée dans le PIB représentait, sur cette base, quelque 330 milliards de DH. Pour 2018, ce montant grimpe à 368 milliards de DH, si on prend en compte les niveaux du PIB et de l’inflation estimés, d’un côté, et si on considère que la part de l’économie non observée dans le PIB est toujours à 33%, de l’autre côté.
Le Maroc mieux classé que la Tunisie et l’Egypte
Bank Al-Maghrib (BAM), pour sa part, a procédé en 2018 à l’estimation de l’économie non observée, en utilisant la méthode monétaire empruntée à l’OCDE. Le résultat obtenu est proche de celui du HCP : l’ENO représente une moyenne de 31,3% du PIB sur la période 2007-2016.
En utilisant d’autres méthodes d’approche, des études internationales sur un échantillon de 158 pays, ont abouti, s’agissant du Maroc, pratiquement aux mêmes résultats que ceux du HCP et de BAM : une moyenne de 34% du PIB au lieu de 34,2% pour l’Egypte, 35,3% pour la Tunisie, 31,5% pour la Malaisie, 31,3% pour la Turquie, 62,3% pour la Bolivie, 9,9% pour l’Autriche…
Mais l’économie non observée, suivant le système de comptabilité nationale des Nations Unies, ce n’est pas que cela ; celui-ci recommande également, dans la mesure où les données sont disponibles et l’appareillage statistique le permet, d’estimer puis d’intégrer dans le calcul du PIB les activités illicites, comme le trafic de drogue et la prostitution. L’Italie, la Belgique et le Royaume Uni se sont déjà conformés à cette directive, et la France, à son tour, a fini par céder à la demande européenne en annonçant en janvier 2018 que désormais il sera tenu compte dans le calcul de son PIB de l’argent issu de la drogue, mais pas de la prostitution.
Au vu de l’importance, en termes de poids, de l’économie non observée, notamment dans les pays du Sud, la question qui n’a pas encore reçu de réponse claire et nette est la suivante : l’un des remèdes principaux toujours proposés pour lutter contre étant de nature fiscale, le phénomène traduit-il alors le caractère confiscatoire des prélèvements fiscaux et sociaux que pratiquent les Etats concernés ? Réduire les taux d’imposition comme le recommandent toutes les études consacrées à ce sujet, n’est-ce pas opérer un nivellement par le bas, s’aligner sur les pratiques de dissimulation et de fraude et, finalement, donner une onction de légitimité à celle-ci ? Et d’abord, qui peut dire vraiment quel est le niveau optimal des taxes et impôts ? Même avec un taux maximum de TVA à 10%, par exemple, il n’est pas certain que ceux qui sont “allergiques” à l’impôt rentreront dans les rangs. Et puis, quid des recettes fiscales, donc des dépenses publiques, tellement indispensables, en particulier dans les économies en développement ?
Que deviendraient les organismes de prévoyance sociale (santé et retraite), déjà en difficulté, s’il fallait abaisser les taux de cotisations sociales ?
La recommandation d’intégrer dans le PIB certaines branches de l’économie non observée, notamment les activités illicites, soulève encore plus de questions. Car, comment considérer comme création de valeur, donc de richesse, des activités, comme le trafic de drogue, qui, si elles enrichissent effectivement les trafiquants, détruisent la santé des populations addictes à cette substance ? La même observation vaut pour la prostitution : dans la mesure où dans certains pays l’argent issu de cette activité est intégré dans le PIB, en quoi cela enrichit-il ces pays ?
Il faut dire que le calcul du PIB est depuis longtemps déjà sujet à caution. Il ne mesure que la production, sans prendre en compte les conséquences de celle-ci, entre autres les dégâts causés à l’environnement et aux populations. Mais l’on n’a pas encore trouvé mieux…
Plus de 600es travailleurs dans le monde employés dans l’économie informelle
• L’étude de Roland Berger pour le compte de la CGEM avait estimé l’économie informelle à près de 21% du PIB hors agricole de 2014, dont 30 milliards de DH sous forme d’impôts et taxes, donc de manque à gagner pour le Trésor public.
Selon cette étude, des pays comme le Chili et la Turquie sont parvenus à réduire le poids de l’informel respectivement de 10% et 20% sur dix ans, à travers la mise en œuvre d’une palette de mesures, parmi lesquelles la réduction des taux d’imposition et la simplification des procédures, en particulier.
• L’économie informelle, selon le HCP, assure plus de 36% des emplois non agricoles, soit plus de 2,3 millions de personnes.
• Une étude de l’Organisation internationale du travail (OIT), publiée à la veille du 1er mai 2018, estimait à plus de 60% les travailleurs employés dans l’économie informelle à l’échelle internationale. C’est en Afrique (85,8%), en Asie Pacifique (68,2%) et dans le monde arabe (68,6%) que le travail informel atteint des proportions extrêmement élevées, selon l’OIT. En France, par exemple, l’emploi informel est estimé à près de 10% de l’emploi total.
Le 28/03/2019
Source web Par La Vie Eco
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