Droits de l’Homme. Bientôt un accord autour des questions conflictuelles ?
Le plan d’action national en matière de démocratie et des droits de l’Homme, qui a récemment suscité des tensions au sein du gouvernement, n’a pas permis de trouver une issue aux questions conflictuelles comme l’abolition de la peine de mort, ou à certains points ayant trait au Code la famille, à l'instar de l’héritage et du mariage des mineures. Mustapha Ramid compte sur les associations pour lancer des concertations publiques sur les dossiers en suspens.
Le plan d’action national en matière de droits de l’Homme, dont la publication au Bulletin officiel a fait l’objet d’un bras de fer entre deux départements gouvernementaux, devrait être doté d’un plan exécutif fin décembre. Le différend intra-gouvernemental a été dépassé après l’intervention royale, comme l’a laissé entendre le ministre d’État chargé des droits de l’Homme, Mustapha Ramid, aux représentants des associations qui demeurent, malgré tout, sceptiques quant à la mise en œuvre de cette stratégie attendue depuis de longues années. Ramid entend passer à une nouvelle étape, celle du lancement des débats publics autour des questions conflictuelles qui demeurent en suspens et qui ne sont pas encore inclues dans le plan d’action des droits de l’Homme. Mais il faut dire que certains dossiers ne nécessitent pas forcément de concertations publiques car ils sont plutôt tributaires d’une volonté politique, comme l’assurent les acteurs associatifs. Il s’agit notamment de la ratification du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, signé par le Maroc en 2000. Cela fait plus de 18 ans que la société civile nationale et internationale exhorte le Maroc à rejoindre la Cour pénale internationale pour renforcer la lutte contre l’impunité. La CPI est la première cour internationale au monde habilitée à poursuivre les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. Le royaume est attendu sur un autre dossier: la ratification de la convention de l’Organisation internationale du travail (OIT) n°87. C’est l’une des doléances insistantes des centrales syndicales, et ce depuis de longues années. Le gouvernement justifie la non-ratification de cette convention par les dispositions de la Constitution qui prévoient l’interdiction de constituer des syndicats pour les porteurs d’armes.
Le mariage des mineures : une question conflictuelle ?
Le gouvernement est aussi épinglé pour son manque de volonté vis-à-vis d’autres dossiers, comme le mariage des mineures, qui ne devrait pas faire partie des questions conflictuelles. Ce dossier devrait en effet être tranché en révisant la loi. L’appel est lancé depuis des années pour interdire officiellement le mariage avant l’âge de 18 ans en amendant l’article 20 de la loi 70-30 du Code de la famille. Une proposition de loi du groupe socialiste, adoptée par la Chambre des conseillers en 2013, traîne toujours chez les députés. Le texte a été dépoussiéré en janvier dernier, mais les parlementaires de la chambre basse se sont contentés de sa présentation. La proposition vise à combler le vide juridique concernant l'âge minimum autorisé par le juge pour le mariage des mineures. Elle le fixe à 16 ans, tout en prenant en considération l’âge des deux parties.
La polygamie, un sujet controversé
L’interdiction de la polygamie est une requête de longue date du mouvement féministe et des défenseurs des droits de l’Homme. La loi marocaine permet toujours à l’homme d’être polygame. L’article 42 du Code de la famille stipule que «la demande doit indiquer les motifs objectifs exceptionnels justifiant la polygamie et doit être assortie d’une déclaration sur la situation matérielle du demandeur». L’aval de la première épouse est requis. En cas de refus, elle peut demander le divorce. L’expérience démontre que plusieurs femmes se trouvent contraintes, en raison de leur situation économique, d’accepter la polygamie. Les derniers chiffres officiels font état de pas moins de 950 mariages polygames contractés en 2015. Ces chiffres ne sont pas exhaustifs car il faudra y ajouter les unions contractées en recourant à l’utilisation frauduleuse des dispositions sur la période transitoire de recevabilité de l’action en reconnaissance de mariage. Le dossier va-t-il être révisé? Il s’avère difficile de trancher sous le mandat de l’actuel gouvernement dirigé par le PJD, et dont certains membres défendent la polygamie.
Héritage: l’égalité, un vœu pieux?
Le Maroc est-il prêt à réformer les dispositions de l’héritage? Plusieurs voix appellent à ouvrir un débat serein sur cette question, d’autant plus qu’un organe constitutionnel (le Conseil national des droits de l’Homme) a déjà plaidé en 2015 pour l’amendement du Code de la famille de manière à accorder aux femmes les mêmes droits en matière successorale. Pour le conseil, la législation successorale inégalitaire participe à augmenter la vulnérabilité des femmes à la pauvreté. Idem pour la pratique du Habous et les règles régissant les terres collectives, qui participent à déposséder les femmes de leurs droits à la terre ou à la succession. Du côté du gouvernement, le sujet semble extrêmement sensible. Certaines déclarations brandissent la carte de la spécificité du Maroc, État musulman qui tient aux droits de l’Homme, mais «sans porter atteinte aux fondamentaux et passer outre les constantes religieuses». D'ailleurs, ce point n'est pas considéré comme une question conflictuelle par Ramid alors que les acteurs associatifs appellent à l'inclure dans le débat ainsi que d'autres points comme la polygamie.
Tutelle: conditions restrictives pour la mère
La tutelle légale sur les enfants est l’un des points les plus importants dans le cahier revendicatif du mouvement féministe. La notion d’autorité parentale partagée n’existe pas en droit marocain. La loi ne permet à la mère d’accéder à la tutelle légale sur ses enfants mineurs que sous certaines conditions très restrictives. L’article 231 du Code de la famille mentionne l’ordre dans lequel est désigné le tuteur légal: «La représentation légale est exercée par, en premier lieu, le père majeur; puis la mère majeure à défaut du père ou par suite de la perte de la capacité de ce dernier; le tuteur testamentaire désigné par le père; le tuteur testamentaire désigné par la mère». Par ailleurs, les associations appellent au non déchéance du droit de garde de la mère en dépit de son remariage. La garde de l’enfant incombe au père et à la mère tant que les liens conjugaux subsistent.
Peine de mort: une position figée
Le gouvernement est appelé à approuver la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies relatives à un moratoire sur l’application de la peine capitale dont le vote est prévu en décembre. L’Exécutif est aussi exhorté à ratifier le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, seul traité international abolissant la peine de mort en toutes circonstances. Les activistes des droits de l’Homme s’appuient sur l’article 20 de la Constitution qui consacre le droit à la vie. La position du Maroc n’a pas changé, même si l’exécution de cette peine est gelée depuis 1993. On recense 15 jugements de peine de mort au Maroc en 2017 contre 6 en 2016.
Nécessité d’assainir le contexte général
Les représentants des associations, invités par le ministère des Droits de l’Homme à débattre des questions conflictuelles dans le plan national des droits de l’Homme, ont été unanimes sur un point: la nécessité d’assainir le contexte général. Ils font état de la dégradation de la situation des droits de l’Homme au Maroc et donnent notamment pour exemple le retard accusé en matière de remise des récépissés aux associations, même en cas de renouvellement du bureau de structures déjà existantes. Des doutes sont émis quant à l’opérationnalisation des mesures prévues dans le plan d’action des droits de l’Homme, qui doit être accompagné de garanties en matière de mise en œuvre.
Publié le 30 novembre 2018
Source web par: les Eco
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