Tourisme: Multiplication d'intermédiaires chinois clandestins au Maroc
L’Office national marocain du tourisme était présent à la 2ème foire internationale du tourisme qui s’est tenue à Pékin du 5 au 7 septembre. Cette 2ème participation de l’ONMT vise à positionner le Maroc comme la nouvelle destination des Chinois dont les arrivées explosent littéralement. Un optimisme tempéré par plusieurs patrons marocains d’agences de voyages dont le chiffre d’affaires fond à cause de la concurrence d’anciens employés chinois ayant créé un marché informel.
Des opérateurs de voyages travaillant sur le marché émetteur chinois sont remontés contre le ministère du Tourisme et tiennent à le faire savoir.
C’est le cas de l’ex-secrétaire générale de la Confédération nationale du tourisme (CNT) qui l’accuse de "tuer la poule aux œufs d’or" par sa passivité contre une concurrence déloyale et illégale.
Interrogée par Médias24, Hayat Jabrane affirme que son agence qui est l'une des pionnières du marché chinois, a vu son chiffre d’affaires baisser de 70% en 2017. Pessimiste, elle n’exclut d’ailleurs pas de reconvertir son activité vers d’autres marchés émergents comme l’Inde ou le Brésil.
Selon elle, la participation de l’ONMT à la 2ème foire internationale du tourisme est une véritable perte de temps et d’argent alors que la vraie priorité devrait être la lutte contre les clandestins chinois qui ont fait passer son agence de 1ère du Maroc, en termes de clients, à la dernière marche du classement.
La première agence spécialisée dans le marché chinois se retrouve à la dernière place "Quelle utilité pour l’ONMT d’avoir un stand de 100 mètres carrés alors que, selon mes confrères sur place, il n’y a eu aucune visibilité supplémentaire pour le Maroc.
"Cela fait 12 ans que j’ai investi ce marché mais, sans soutien effectif du ministère et de l’ONMT, nous ne sommes toujours pas à la hauteur. J’en veux pour preuve le fait qu’aucune recommandation des 2 forums sur le marché chinois organisés par le duo ministériel n’a été suivie d’effet.
"Aujourd’hui, la seule préoccupation des voyagistes marocains est de survivre face à l’informel qui a entraîné une baisse de 70% de mon chiffre d’affaires. J’ai prévenu tous les acteurs (ministère, ONMT, observatoire du tourisme, associations, fédérations …), mais sans aucun résultat probant.
"Tout ce beau monde se félicite de l’explosion de ces arrivées mais en omettant de préciser que nous recevons beaucoup moins de recettes car ces visiteurs ne viennent plus par des agences classiques.
"Ce n’est pas la désintermédiation qui nous pose problème mais plutôt la concurrence sauvage de personnes physiques qui travaillent à partir de leur domicile de manière illégale au Maroc.
"En règle générale, ce sont d’anciens employés chinois d’agences marocaines spécialisées qui nous volent notre clientèle. Ils jouent le rôle d’agents de voyages sans aucune structure légale ou déclarée.
"Les autorités laissent faire alors que toute la profession leur demande d’assainir cette nouvelle concurrence en se contentant d’appliquer la loi. Il suffirait d’envoyer des agents contrôler les cars de touristes chinois devant les monuments pour se rendre compte que la majorité des guides n’ont pas d’autorisation d’exercer voire même pas de titre de séjour leur permettant de travailler au Maroc.
"Ce qui est fou, c’est qu'avant la suppression des visas, les agences chinoises étaient obligées de passer par les agences locales pour cautionner la délivrance des visas de leur clientèle. Depuis la suppression des visas, des Chinois viennent travailler 3 mois, sortent une journée du pays et reviennent continuer leur business lucratif d’intermédiaire. Ils gardent ainsi un statut de touriste et leur séjour reste légal.
"Après avoir mis en compétition les tarifs des prestataires du réceptif touristique (transport, hôtel, restauration …), ils proposent leurs services à des agences chinoises en se proposant comme guides. Comme ils ne payent aucune taxe, il nous est impossible de nous aligner sur leurs tarifs imbattables.
Faute de traducteurs locaux, des arrivées en hausse mais des recettes en baisse
"Comment proposer un tarif attractif quand on doit payer un guide traducteur 1400 DH par jour alors que leur maîtrise de la langue ne coûte rien à ces "agents polyvalents".
"Sans la formation de traducteurs locaux, promise depuis des années par le ministère, nous sommes donc noyés dans l’informel qui profite de l’absence de réaction des autorités.
"Seuls de grands hôtels comme Accor ou Four Seasons ont recruté un staff chinois. Nous avons également des manques dans la restauration, la signalétique, les toilettes publiques.
"Ainsi, malgré la hausse des arrivées chinoises, le Maroc a moins de recettes car les clandestins se font payer une bonne partie de leurs prestations en Chine qui échappe aux opérateurs et au fisc marocain. Sans contrôle, les locaux spécialisés dans ce marché ne vont pas faire long feu et vont devoir se reconvertir. Ainsi, mon agence risque d’agoniser.
"Avant de songer à des grandes campagnes médiatiques en Chine ou d'avoir une ligne aérienne directe, il faut balayer devant notre porte pour protéger les intérêts des agents marocains face à un marché qui peut atteindre 500.000 arrivées en 2020 et dépasser dans 10 ans, le 1er marché étranger (France) du Maroc", conclut Jabrane qui lance un véritable appel au secours aux autorités.
Atlas voyages ne compte plus sur les promesses des autorités
Des propos confirmés par le président du 1er tour opérateur marocain, Atlas voyages, qui déclare que ces nouveaux concurrents compressent au maximum leurs marges au détriment des agents locaux:
"Le tarif devient une obsession et pour résumer, c’est un business-modèle où on s’entretue. Des opérateurs connus pour leur professionnalisme comme Hayat Jabrane ne se retrouvent pas dans leurs obligations contractuelles car la pression des clandestins est très forte.
"Mon groupe ne compte plus sur l’ONMT dont l’activité à Pékin est réduite à sa plus simple expression avec deux malheureux employés censés promouvoir le Maroc. Nous avons donc recruté un commercial chinois et deux représentants sur place pour ne pas avoir à faire face à cette concurrence sauvage.
"Pour résumer, l’ONMT et le ministère sont toujours à l’époque du télex. Ils participent à des petits salons comme celui de Pékin qui ne présente aucun intérêt en termes de visibilité et de trafic.
"Heureusement que d’autres ont compris l’intérêt de la destination marocaine. C’est le cas de Qatar Airways qui va lancer à la fin du mois une ligne Pékin-Doha-Marrakech", nous explique Othman Alami.
Une ligne directe Pékin-Casablanca dans au moins 2 ans
Face aux déclarations optimistes du DG de l’ONMT, Adel El Fakir, qui prévoit l’ouverture rapide d’une ligne aérienne directe entre le Maroc et la Chine, une source autorisée de la RAM nous confirme que des discussions sont en cours mais révèle qu’il faudra un minimum de deux années avant qu’elle ne soit effective.
"La RAM travaille bien de concert avec l’ONMT sur cet ambitieux projet qui permettra de booster le tourisme chinois au Maroc et transporter les Marocains voulant se rendre en Chine.
"Pour l’instant, nous ne disposons pas encore d'appareils qui puissent accomplir le trajet car les actuels Dreamliner 787-8 n’ont pas l’autonomie requise.
"Par contre nous avons commandé quatre 787-9 qui pourront assurer cette liaison directe. En attendant qu’ils arrivent (entre décembre 2018 et 2019) et que nous obtenions les autorisations de l’aviation civile chinoise, le processus prendra entre 18 et 24 mois", précise notre source requérant l’anonymat.
Faute de réaction des autorités, les clandestins trustent le marché
Un autre opérateur spécialisé dans le marché chinois estime que les salons comme celui de Pékin ne présentent aucun intérêt.
Pour Fayçal Zeghari, les agents chinois clandestins pullulent au Maroc depuis la suppression des visas.
"Hormis le segment de haut de gamme, ils s’adjugent la majorité du business. Il est impossible de lutter contre eux. Ils font du mal au secteur car ils proposent de mauvaises prestations. Ce sont des opérations one-shot avec un taux de retour nul.
"Tout le monde le sait (ministère et ONMT) mais personne ne fait rien car les autorités pensent que s’ils chassent ces clandestins, le Maroc perdra une partie de la clientèle chinoise", déplore le patron de "VTA travels" qui ajoute que de plus en plus de sociétés tenues par des Chinois (restaurateurs) se lancent également dans les services touristiques en se faisant payer à l’étranger.
Chaque touriste chinois est un futur commerçant potentiel au Maroc
Le propriétaire de l’agence de voyages "Ultra Tours" nous précise que les Chinois sont fidèles à leur réputation de commerçants et que le tourisme est aussi un moyen de trouver des marchés lucratifs.
"Tout client chinois qui se rend chez nous est un futur commerçant potentiel. Il fait du tourisme mais en profite aussi pour s’informer et relever tous les prix. Les agences chinoises sont ainsi au courant de tout ce qui se passe au Maroc car leurs clients leur rapportent tout", conclut Fathi Attigui en se désolant d’avoir dû apprendre par son partenaire chinois que les prix des tickets d’accès aux monuments marocains avaient été multipliés par 7, faute d’information du côté marocain.
Publier Le 10 Septembre 2018
Source web par: medias24
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