Boycott: sondage, avis d’experts, voici ce que l’on sait
5 semaines environ après le démarrage du mouvement de boycott, que peut-on en dire? quelles leçons en tirer? Y a-t-il des données quantitatives ou qualitatives qui apportent enfin une meilleure connaissance de ce phénomène inédit?
Plus le temps passe, et plus on se rend compte que le boycott a été un séisme. Sur le plan social, économique, politique et également sur le plan de la communication. Un séisme qui dépasse largement les frontières des trois marques concernées.
Dès le démarrage du boycott, Médias24 avait décidé de lancer une étude sous forme de sondage. Nous nous sommes associés à notre confrère Panorapost pour cette opération. Le sondage a été effectué du 10 au 17 mai par la société spécialisée VQ, de sondages et d’études de marché.
Les données détaillées sont disponibles dans le fichier que l’on peut feuilleter ici.
Les principales conclusions de cette étude quantitative sont les suivantes:
1. -Le boycott est un phénomène essentiellement urbain, concentré sur les villes de taille grande ou moyenne.
2. -Les catégories les plus actives sont les csp ABC. Et c’est naturel, dès lors que l’on tient compte du pouvoir d’achat.
3. -Les CSP dites populaires (D), apportent un support social à l’action des autres catégories et font preuve de détermination dans ce soutien.
4. – L’ampleur du boycott.
Le mouvement avait atteint une ampleur certaine au moment de la réalisation de ce sondage:
*Pour Centrale Danone: 30,5% des personnes interrogées ont arrêté ou diminué leur consommation. Et 24% ont continué de consommer.
*Pour Sidi Ali, 28% de l’échantillon ont changé de comportement ou arrêté de consommer la marque; 25% ont continué de consommer.
*Pour Afriquia, 17,5% de l’échantillon ont changé de comportement et ont arrêté de consommer. Et 16% ont maintenu la consommation de ces produits.
5. -Près du tiers des sondés ont suivi des amis, des membres de la famille ou des collègues dans la décision de boycott. 68% ont pris la décision d’eux-mêmes.
6. –Comment la décision a-t-elle été prise?
Les personnes ayant décidé de boycotter telle ou telle marque:
*13% ne savent pas si elles reprendront la consommation;
*42,5% estiment qu’ils reprendront la consommation;
*44,5% déclarent qu’elles ne reprendront pas.
Aucune date de reprise n’est indiquée. Les boycotteurs semblent dans l’expectative.
7. -Légitimité, utilité, durée:
*Cette action est légitime (59%)
*Cette action est utile (57%)
*Cette action va continuer (42,5%).
8. -17% des sondés estiment que l’action de boycott a pris une autre tournure, notamment politique, a dévié de ses objectifs.
9. -Le verbatim sur les attentes est très instructif. Les boycotteurs attendent:
* une action sur les prix: 71,5% (baisse rapide ou baisse progressive).
*une communication interactive avec le consommateur: 19,5% (communiquer avec le citoyen, expliquer les marges, écouter le consommateur, présenter des excuses).
Cela étant dit, il n’est pas possible à ce stade de connaître l’impact chiffré précis du boycott, ni dans quelle mesure la consommation des produits boycottés a repris. L’observation empirique des points de vente montre un ralentissement du boycott, sans qu’il soit possible d’en mesurer l’ampleur avec précision.
(Cliquer sur l'image pour accéder au fichier)
Au final, ce sondage est sans surprise. Toutes les couches sont concernées, dans la limite de leur pouvoir d’achat.
Les raisons principales sont liées au pouvoir d’achat et/ou à des prix perçus comme excessifs. A ce stade, il est inutile et contre-productif pour les marques d’essayer de démontrer le contraire. Par contre, ouvrir des canaux de communication avec les consommateurs, montrer de l’empathie, et enfin baisser rapidement ou progressivement les prix est fortement recommandé.
Un “avant“ et un “après“
Le mouvement de boycott est atypique et inédit, comme l’avait décelé Médias24 dès son lancement, ce vendredi 20 avril sur Facebook. Il a suscité une forte inquiétude dans les milieux d'affaires.
Désormais, toute entreprise doit tenir compte de son image et de son environnement.
Toute entreprise qui a un enjeu important:
-soit qu’elle est de grande taille;
-soit qu’elle a une ou des marques connues, surtout de grande consommation;
-soit qu’elle est cotée en bourse doit désormais avoir une vraie stratégie d’image.
Une telle stratégie suppose 4 piliers:
*une veille quotidienne de sa e-reputation
*une vraie stratégie de réseaux sociaux et non pas une simple page sur Facebook où des vidéos de promotion sont mises en ligne.
*une interactivité réelle avec les consommateurs et avec son environnement
*des plans anticipant différentes situations de crise.
La communication, une ressource vitale
Les managements des sociétés visées par le boycott ont été au cours des premières semaines tétanisés par l’ampleur du mouvement. Désorientés, ils n’ont pas su réagir. Des erreurs ont été commises, c’est compréhensible.
Le Maroc recèle de nombreux communicateurs de haut niveau. Médias24 a été en contact avec les communicateurs qui ont conseillé les trois marques concernées et a constaté leur niveau d’implication et leur qualité d’analyse.
Ils ont tenté de rattrapé les cafouillages des dix premières jours de boycott. Tâche ardue, rendue encore plus complexe par le caractère atypique du boycott qui est davantage devenu une vague de protestation sociale qu’une revendication précise concernant une marque.
Selon nos propres observations, la plupart des décisions prises ou des recommandations des communicateurs étaient pertinentes.
Sidi Ali est sorti du silence au bon moment et a ouvert la communication avec son environnement et ses consommateurs. L’appel lancé au public pour visiter la source de Sidi Ali a suscité plusieurs dizaines de demandes.
Concernant Centrale Danone, les excuses formulées par M. Benkirane après ses propos sur les boycotteurs étaient une étape nécessaire. Elle a été suivie par la désignation d’un porte-parole qui s’est exprimé par vidéo.
Ces deux marques ont également pris des mesures concernant les prix, certes sous forme de promotions. Elles ont essayé de passer les messages essentiels, les plus attendus: de l’empathie pour les consommateurs, l’écoute, la volonté de communiquer dans les deux sens…
Malgré ces avancées, la situation pour les deux marques est compliquée par le comportement du réseau de distribution. Sous la pression de leur environnement ou de leur personnel, ou par adhésion au boycott, des points de vente ne distribuent plus les marques ciblées.
Le cas d’Afriquia est différent. La marque possède son réseau de distribution dédié. Elle n’a pas du tout communiqué car elle subit des attaques parfois à connotation politique. Elle a choisi de rester discrète tout en affichant les prix les plus bas ou presque du marché; mais sans toutefois communiquer dessus.
Les 4 règles à appliquer dans ce type de situations de crise sont les suivantes:
-la communication interne est essentielle. Autant que nous puissions en juger, le personnel des trois marques ciblées a fait bloc autour du management. Le front intérieur est une priorité.
-Désigner un porte-parole, un visage qui s’exprime en public et qui va incarner la marque.
-Montrer de l’empathie, ouvrir les canaux de communication avec son environnement et son public.
-Dire la vérité, être sincère.
Parmi les erreurs à ne pas connaître: s'exprimer par le biais de tiers, agence conseil ou journaux. Les marques mises en cause doivent s'exprimer directement, elles doivent être en contact direct avec le public. Si la marque a des choses à se reprocher, elle doit les reconnaître et les corriger.
Un mouvement de protestation sociale
Le boycott a pris dès la fin de sa première semaine, une tournure de protestation sociale. Il a été un cri contre les inégalités de toutes sortes. Ce message doit impérativement être capté par le gouvernement.
Le Maroc est le pays le plus inégalitaire d’Afrique du Nord et de loin.
Selon le dernier rapport Oxfam:
-Les 10% les plus riches ont un niveau de vie en moyenne 12 fois supérieur à celui des 10% les plus pauvres, un écart qui n'a guère reculé depuis les années 1990.
-Le Maroc possède le niveau d'inégalités le plus élevé d'Afrique du nord, malgré une légère baisse depuis une décennie.
Si la situation globale des Marocain-e-s s'est améliorée au cours de ces dernières années - le taux de pauvreté ayant été divisé par trois entre 2001 et 2014 (de 15,3% à 4,8%) - plus de 1,6 million de personnes restent pauvres et 4,2 millions de personnes restent vulnérables, c'est-à-dire susceptibles de basculer dans la pauvreté à tout moment. La plupart des personnes pauvres et vulnérables résident en zones rurales.
Le sentiment d’injustice et d’inégalité des chances pose le problème du modèle de développement.
Dans son discours d’ouverture de la première session de la deuxième année législative de la 10e législature (2017), le Roi avait réclamé "un développement équilibré et équitable pour les citoyens marocains, un développement garant de la dignité de tous, générateur de revenus et d’emplois, notamment au profit des jeunes; un développement qui contribue à instaurer un climat de tranquillité et de stabilité, et qui favorise une insertion réussie dans la vie familiale, sociale et professionnelle, que chaque citoyen appelle de ses vœux". Cela devient urgent.
Le 26 Mai 2018
Source Web : Médias 24
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