Entretien. Saïd Ibrahimi et le plan stratégique 2025 de CFC
“Ses réalisations sont restées en deçà des ambitions“. Cette appréciation au sujet de Casablanca Finance City figure dans le rapport annuel de Bank Al Maghrib, publié le 29 juillet. Said Ibrahimi, CEO de CFC Authority, explique à Médias24 quelles sont les ambitions de cette place financière et dévoile les grandes lignes du plan stratégique 2025.
Médias24: Casablanca Finance City n’a pas vraiment atteint ses objectifs selon le dernier rapport de Bank Al Maghrib…
Saïd Ibrahimi: Je voudrais juste situer un peu les choses dans leur contexte. Dire que nous n’avons pas atteint nos objectifs, n’est pas juste.
Je défie quiconque de me citer des objectifs tracés en 2010 et qui n’auraient pas été atteints.
Il faut le dire et le redire: nous sommes aujourd’hui le premier centre financier africain. Nous sommes classés 30e au niveau mondial.
Est-ce que quelqu’un pouvait imaginer cela quand le projet a été lancé? Personnellement, quand j’ai été nommé par Sa Majesté, je lisais le classement des centres financiers début 2011, et mon objectif pour 2013-2014, c’était juste d’intégrer ce classement. Nous l’avons intégré, nous avons évolué et nous sommes bien classés.
La vérité, c’est que nous avons certes atteint nombre d’objectifs, mais il était possible de faire mieux. Et cela, parce que notre offre, notre proposition de valeur qui fait notre attractivité, aurait dû être améliorée. Il y a un palier à passer pour aller encore plus loin.
Pour dire les choses différemment, il y a un contexte international particulièrement favorable pour que le Maroc fasse plus et mieux en tant que centre financier et plateforme d’investissement pour les investisseurs qui veulent aller en Afrique.
Il y a une opportunité sur laquelle le Maroc n’a pas capitalisé au maximum.
-Pourtant, votre offre semble très attractive, avec pas mal d’avantages et de souplesse en faveur des entreprises labellisées…
-Ce qui a été réalisé, l’a été avec des “moyens du bord“, nous avons une proposition de valeur qui est grosso modo, celle que nous avons mise en place en 2010. Or, dans ce domaine, la concurrence est extrêmement vive, les offres évoluent régulièrement. Avec une proposition de valeur stable, notre place a perdu un petit peu en compétitivité.
On aurait pu faire encore plus si notre cadre institutionnel avait suivi.
Je vous donne un exemple.
Maurice, connue pour être un centre financier, était classée avant nous. Elle est aujourd’hui 3e en Afrique et au-delà de la 70e place mondiale.
Début 2017, Maurice a créé deux structures: une agence de promotion du centre financier en s’inspirant un peu de ce que nous avons fait; et deuxièmement, un ministère indépendant, chargé du secteur financier, de son cadre réglementaire, de ses réformes…
Les pays qui veulent aller dans ce créneau-là des places financières se donnent moyens, cadre réglementaire et budgets. Nous fonctionnons avec des budgets qui sont 10% de ce que doivent avoir Dubai ou Doha.
Si je résume, nous aurions pu faire mieux dans le contexte international.
Cela dit, nous restons toujours très attractifs, nous recevons régulièrement de grands groupes intéressés par l’implantation à Casablanca.
-Quel est votre bilan depuis 2011?
-Je rappelle que l’année dernière, nous avons accueilli les deux premières entreprises chinoises, cette année, les deux premières japonaises.
Nous avons aujourd’hui 130 entreprises labellisées CFC, parmi lesquelles de grands noms. C’est un écosystème qui se met en place, qui se développe, avec des institutions financières au centre et, tout autour, des services professionnels. Ce dernier domaine prend de l’ampleur.
Il faut faire attention à ne pas confondre offshoring et services professionnels, car malheureusement il arrive que certains de nos interlocuteurs les confondent.
L’offshoring est la délocalisation d’un back office vers des pays à bas coûts de main d’œuvre. Les services partagés sont des services à haute valeur ajoutée.
Aujourd’hui, il y a 48 pays africains qui sont couverts depuis le Maroc par des groupes internationaux à travers leurs structures bénéficiant du statut CFC.
En 2016, les entreprises labellisées CFC ont réalisé les trois quarts des investissements du Maroc en Afrique.
Le positionnement de hub financier destiné à réaliser des investissements en Afrique, est bien traduit dans ces chiffres établis par l’Office des changes.
-Comment faire évoluer votre offre, passer un palier comme vous dites?
-Il y a des choses basiques et simples dans notre proposition de valeur.
Par exemple, une fiscalité des personnes, avantageuse, accordée pour 5 ans seulement, c’est perturbant pour les sociétés bénéficiaires et leurs salariés, car cela crée une incertitude. D’ailleurs, nous y sommes, nous avons déjà les premiers cas, les premières entreprises qui ont été labellisées CFC.
Ce désavantage compétitif est parfaitement identifié par les acteurs et par l’administration fiscale et a fait l’objet de propositions d’amendement par la DGI lors des deux dernières lois de finances au titre des années 2016 et 2017.
Au niveau de l’offre marocaine, nous avons un doublon, avec la place financière offshore de Tanger, cela crée une confusion dans l’esprit des investisseurs, c’est quelque chose qui doit être réglé rapidement car la coexistence des deux places engendre une dispersion de l’offre financière et est préjudiciable aux objectifs du Maroc.
Cette coexistence est de nature à nuire à la lisibilité de la proposition marocaine en tant que place financière régionale et internationale. Une rationalisation de l’offre marocaine des places financières s’impose alors afin de la valoriser sur la scène internationale et anticiper certaines évolutions à l’international qui peuvent mettre à mal nos efforts de valorisation de la place si les pouvoirs publics ne font pas preuve de la réactivité suffisante.
Surtout, il y a la réforme institutionnelle du secteur financier marocain, pour l’amener à une dimension régionale.
En tant que marché financier, Casablanca doit devenir un marché régional. Les entreprises africaines devraient pouvoir venir faire leur marché (de capitaux) ici à Casa.
Casablanca doit drainer des capitaux internationaux vers le Maroc et le reste de l’Afrique via des fonds d’investissement régionaux à l’instar du fonds Africa 50 que nous avons à CFC.
Il faut permettre aux entreprises africaines de lever des fonds à Casablanca en se côtant en dirham et en devises à la bourse de Casablanca. Pour cela, il faut notamment qu’il y ait des accords avec les régulateurs de différents pays. Cela commence à se faire.
Il faut aussi avoir un compartiment pour les «Project bonds» ou «infrastructure bonds» pour permettre à la Bourse de financer les grands chantiers structurants du Royaume et du continent. Une réflexion sérieuse mérite d’être engagée dans ce sens. Imaginez les bénéfices du financement du gazoduc Nigéria- Maroc pour connecter l’Afrique à l’Europe par des «infrastructure bonds» listés doublement à Casablanca et à la bourse du Nigeria.
Il faut également connecter notre industrie de la gestion d’actifs aux investisseurs internationaux et à la croissance africaine en développant des fonds régionaux «Afrique» en dirham investis à hauteur de 100% en devises et des fonds en devises domiciliés au Maroc offrant une exposition Afrique. Pour cela, la réglementation doit évoluer.
Enfin, il faut l’opérationnalisation des lois relatives aux services financiers adoptées ces dernières années puisque aujourd’hui, plus d’une cinquantaine de textes règlementaires d’application sont attendus pour cela. Il faut également amender ceux qui existent, notamment les lois sur les OPCVM, sur le prêt de titres, sur le marché à terme.
Ces évolutions vont nous permettre d’avoir à Casablanca les ETF, les OPCI, le marché à terme, les obligations sécurisées, les Sukuk. Cette diversification et modernisation des instruments financiers permettra à la place financière de jouer un rôle de premier plan dans le financement de l’économie nationale et régionale et être une locomotive pour l’accélération du développement économique de notre pays.
Tout cela fait partie du plan stratégique 2025 que nous avons élaboré.
Là, Casablanca atteindrait une dimension internationale enviable, avec les retombées que l’on devine pour le Maroc et pour l’Afrique.
Le 02 août 2017
SOURCE WEB Par Médias 24
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