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La vérité sur le wahhabisme : des Saoud à Daech

La vérité sur le wahhabisme : des Saoud à Daech

Récemment les médias occidentaux ont opéré un tournant radical à propos du wahhabisme. Ils en parlent ouvertement, alors que jusqu’ici ils faisaient silence sur cette doctrine. Cela signifie que les USA s’apprêtent à lâcher l’Arabie Saoudite et le Qatar. Cela fait des mois que je dis publiquement que l’Arabie Saoudite va bientôt imploser..

Abdel Aziz ibn Saoud, le roi d’Arabie Saoudite, en compagnie du président des USA, Roosevelt, à bord du Quincy, en février 1945, lors du pacte de Quincy – DR.

Le présent texte est une clarification s’appuyant sur de solides et incontestables documents et faits historiques ; loin du storytelling saoudien. Il s’est imposée à moi après qu’un certain nombre de jeunes musulmans, ayant acquis une éducation religieuse et des certitudes sur youtube, m’aient réclamé des preuves quant à ce que j’avançais à propos de l’histoire et de la doctrine wahhabite, dont ils ignorent apparemment tout, s’accrochant à la fable que les wahhabites leur racontent, à savoir que Mohamed Ibn Abd al-Wahhab aurait revivifié la religion musulmane, qu’il aurait été un fondamentaliste ayant appelé les musulmans à revenir au véritable Islam

Je ne reviendrai pas ici sur l’alliance fondatrice entre Mohamed Ibn Abd al-Wahhab et la tribu des Saoud, les différentes phases d’expansion des wahhabo-saoudiens (du milieu du XVIIIe siècle à l’instauration du dernier royaume saoudite en 1932), les grands massacres qui les ont accompagnés[1] – qui ont servi de modèle à l’Armée syrienne libre (ASL), al-Nosra (al-Qaïda) et Daech… –, le soutien que les wahhabo-saoudiens ont reçu des Britanniques, puis des Etasuniens, combiné au sponsoring des pétrodollars, dans le but de faire de la doctrine wahhabite la nouvelle orthodoxie de l’Islam. Sans oublier la façon dont les réformistes de l’Islam, les disciples de Mohamed Abduh, dont Rachid Ridha (le maître de Hassan al-Banna), ont au préalable promu et légitimé, avec l’argent des Saoud, le wahhabisme dans les pays arabes.

Tout ceci je l’ai exposé dans mon ouvrage Occident et Islam – Sources et genèse messianiques du sionisme, en replaçant dans une perspective historique, eschatologique et géopolitique, le rôle du wahhabisme et du réformisme islamique, dont l’origine est, comme je l’ai expliqué, messianique.

Je me limiterai ici aux débuts du wahhabisme, à sa doctrine et à l’attitude des grands savants et muftis contemporains de Mohamed Ibn Abd al-Wahhab, afin de livrer un point de vu exclusivement islamique sur le wahhabisme.

Mohamed Ibn Abd al-Wahhab[2] (1703-1792) est issu d’une famille de savants ; son père, Abd al-Wahhab, était un juge respecté auprès duquel il apprit les bases de la théologie, mais avant qu’il ne termine le cursus, il quitte sa terre natale (le Nadjd) afin de trouver des maîtres auprès desquels il pourrait étudier. Il se rend d’abord dans le Hedjaz (région de la Mecque et de Médine), revient chez lui avant de partir en Irak, à Bassora (ville majoritairement chiite). Après un séjour de quatre années, vers 1727, il en est expulsé, et retourne dans le Nadjd, dans la province de Huraymala, où se trouve son père.

Vers 1740 il rédige son plus célèbre ouvrage : Le livre de l’unicité divine (qui fait seulement 50 pages), et décide de prêcher publiquement, mais son père l’en empêche ; nous comprendrons par la suite pourquoi. Par ailleurs, la tradition voulait que le fils ainé du juge lui succède, or, le père de Mohamed Ibn Abd al-Wahhab nomme à sa place son frère cadet, Suleyman, qui succède donc au père au poste de juge. De fait, Mohamed Ibn Abd al-Wahhab est désavoué par son père.

Si vous voulez comme Olivier Cromwell (1599-1658) ou Ibn Abd al-Wahhab, imposer une nouvelle idéologie pour subvertir une religion majoritaire et bien établie, vous devez commencer par vous présenter comme étant un fondamentaliste – au sens du retour à la pureté originelle –, et dans le même temps, pointer du doigt vos « coreligionnaires » comme étant déviants au regard des fondements de la religion dont vous prétendez être le revivificateur et le représentant.

C’est précisément ce qu’a fait Ibn Abd al-Wahhab. Dans son ouvrage, Le livre de l’unicité divine – pauvre du point de vu intellectuel et théologique – il énonce des banalités relatives à l’unicité divine, dogme fondamental de la foi monothéiste dont tout musulman d’hier et d’aujourd’hui est familier. Mais le but du livre d’Ibn Abd al-Wahhab n’était pas, comme il le prétendait, de rétablir les fondements de la foi que les musulmans auraient oublié, mais plutôt, les accuser d’être des associateurs, des impies et des mécréants, avec pour objectif de leur imposer sa doctrine.

Il accusera ouvertement les musulmans d’Arabie et des régions avoisinantes d’être des païens, des adorateurs des saints et de leurs tombeaux.

Dès lors, en 1740, il commence à envoyer des lettres à ses partisans comme à ses ennemis et aux musulmans dans leur généralité. Ces lettres, dont je livre ci-dessous un extrait, comportent des menaces à peine voilées ainsi que l’ombre de l’excommunication (takfir) :

« La croyance dominante en la sainteté (il fait allusion aux saints que des musulmans vénéraient) et en des choses semblables est de l’associationnisme. Si vous en êtes convaincus, vous devrez savoir aussi que ceux qui disent que nous ferions mieux de cesser d’accuser les gens d’impiété et de leur faire la guerre se trompent. Nous vous conseillons seulement de connaître et d’appliquer la religion de Dieu et de son Prophète, si tant est que vous apparteniez à la communauté de Muhammad. »[3]

Dans ces quelques lignes, il accuse l’ensemble des musulmans d’associationnisme (shirk) et d’impiété, et les menaces de leur faire la guerre s’ils ne se soumettent pas à lui.

Or, le Prophète Muhammad a dit (hadith notoire et authentique) : « Ma communauté ne tombera jamais d’accord sur une erreur. »

Par conséquent, Mohamed Ibn Abd al-Wahhab, conformément à ce hadith, ne pouvait être dans la voie de la Vérité et les musulmans dans l’erreur.

Le mouvement que l’on appelle aujourd’hui takfiri, vient précisément de cette doctrine de l’excommunication érigée par le bédouin Ibn Abd al-Wahhab. Takfir signifie excommunier ; le mouvement takfiri excommunie toute personne qui ne partage pas les idées du wahhabisme, ce qui justifie d’après eux l’exécution de « l’impie ». Une arme politique aussi cruelle qu’efficace.

Mais le Prophète Muhammad a déclaré au sujet de celui qui dit d’un musulman qu’il est mécréant : « Lorsqu’un musulman dit de son frère qu’il est mécréant, l’un des deux l’est nécessairement. Si l’homme est tel qu’il l’a décrit, il sera traité comme tel, sinon l’accusation se retournera contre lui (celui qui l’a prononcée) »[4]

La combinaison de ces deux seuls hadith du Prophète suffirait pour conclure qu’Ibn Abd al-Wahhab était un mécréant. Ce qui va dans le sens des avis de la totalité des savants de son époque qui se sont prononcés sur son cas (j’y viendrai plus bas).

Dans une de ses lettres, Ibn Abd al-Wahhab expose son système d’excommunication et désigne ceux qui sont visés par l’accusation d’impiété. D’une façon assez habile mais sans aucune base théologico-juridique, il élargi le champs de l’excommunication à tous ceux qui ne partagent pas son avis :

« Celui qui connaît l’unicité divine et n’agit pas en conséquence est un infidèle, obstiné comme le Pharaon ou Satan. Et celui qui innocente le coupable d’un tel acte, qu’il s’agisse des Anciens ou des impies de notre époque, est lui-même un infidèle ! Ils sont tous coupables de la grande impiété, c’est-à-dire de l’associationnisme. »[5]

Ibn Abd al-Wahhab intègre à l’associationnisme toute une série d’actes qu’il juge impies et ne laisse aucune échappatoire au musulman « coupable », sinon celle de l’excommunication.

Cette nouvelle doctrine, qui ne se fonde sur aucune science islamique, ne manque pas de choquer les savants contemporains à Ibn Abd al-Wahhab.

Mohamed Ibn Abd al-Wahhab excommunié par les savants

Ce que les musulmans et les partisans du wahhabisme ignorent aujourd’hui, c’est que la totalité des grands savants de l’époque d’Ibn Abd al-Wahhab l’on désavoué, ne lui reconnaissant aucune qualification théologique, et l’accusant d’être un innovateur, un égaré, un hypocrite, un athée, un rusé, un manipulateur et un faux prophète[6].

Ces accusations extrêmement graves venant de savants et de muftis d’Arabie, d’Irak et du Yémen, se sont faites, dans la plupart des cas, sans concertation, ce qui donne plus de valeur encore à leur jugement (j’y reviendrai). Tous les savants qui l’on réfuté l’ont déclaré hérétique, lui ont dénié le statut de savant moujtahid (habilité à interpréter le Coran) et ont constaté qu’il ne maîtrisait pas la douzaine des sciences religieuses. Les savants ne s’arrêtèrent pas là, ils réfutent une à une les thèses d’Ibn Abd al-Wahhab, démontrant ainsi qu’il est un hérétique et un inculte ignorant les fondements même de la théologie[7].

Je commencerai par le propre frère de Mohamed Ibn Abd al-Wahhab, Suleyman (qui était magistrat à Huraymala), et qui lui a écrit ce qui suit, dans une lettre qu’il rédigea vers 1753 et dont le titre est Les Foudres divines réfutant le wahhabisme (c’est à Suleyman Ibn Abd al-Wahhab que revient la paternité du néologisme wahhabisme) :

« Depuis huit ans plus personne n’est musulman sauf les contrées qui t’obéissent… Que Dieu nous garde tous de l’égarement ! »[8]

Suleyman apostrophe son frère et lui pose cette question : « Quel est le nombre des piliers de l’Islam ? », à quoi Mohamed répond « cinq », alors Suleyman lui rétorque : « Pourquoi alors ce sixième pilier sur l’impiété des musulmans ? »[9]

Entre 1740 et 1745, alors que la prédication de Mohamed Ibn Abd al-Wahhab débute, le magistrat et mufti – le mufti a une autorité juridique, il est autorisé à émettre des avis juridiques (fatwas) – de Riyad, Suleyman ibn Suhaym (1717-1767), après un échange épistolaire avec Ibn Abd al-Wahhab, rédige une lettre adressée aux savants d’Arabie :

« Je porte à votre connaissance qu’un innovateur est apparu dans notre pays, un ignorant, un égaré qui égare, sans science sans piété ; il a commis des méfaits redoutables dont certains se sont déjà propagés, et d’autres encore limités à notre contrée. Je veux justement en informer les ulémas (les savants), héritiers des prophètes, afin qu’ils mettent un terme à son égarement et à son ignorance. Il a détruit les tombes et brûlé des livres de prières populaires ; il prétend que, s’il le pouvait, il détruirait la Pierre noire de la Kaaba ; il considère que les gens depuis six cents ans sont dans l’ignorance… Mais d’où tire-t-il ce savoir ? En a-t-il reçu la révélation ? Ou le diable le lui a-t-il soufflé ? Je vous en supplie ! Faites-le savoir aux pauvres gens qu’il a séduits par des artifices, et parez au plus pressé avant qu’il ne soit trop tard ! »[10]

Dans la région de l’Ahsa, un savant nommé Al-‘Afaleq (mort en 1751) attaque Ibn Abd al-Wahhab dans une lettre s’appelant Les traditionalistes se moquent de celui qui prétend renouveler la religion. En 1745, le même Al-‘Afaleq rédige une réponse au livre d’Ibn Abd al-Wahhab (Le livre de l’unicité divine) sur lequel il dit :

« L’unicité divine est un crédo à propos duquel l’umma (la communauté musulmane) est unanime (conformément au hadith du Prophète précité), sauf ce faux prophète »[11]

Un autre savant, al-Hudari, dans un libelle qu’il diffuse, écrit :

« Au sujet de la réfutation de l’innovateur Ibn Abd al-Wahhab qui opère en ce moment au Nadjd, persistant dans son égarement et son obstination… »[12]

Voilà pour les réfutations venues du Nadjd (région d’origine d’Ibn Abd al-Wahhab).

Suite à cela, des réfutations sont venues de savants du Hedjaz (région de la Mecque et de Médine), à commencer par les maîtres qu’Ibn Abd al-Wahhab a eu durant sa scolarité à la Mecque, M. Ibn Suleyman al-Kurdi et M. Ibn Hayet al-Sanad, qui le soupçonnent d’athéisme.

Al-Kurdi, dans une lettre qu’il envoie à son ancien élève, lui écrit :

« Eh ! Abd al-Wahhab, je te conseille de cesser de médire des musulmans. Si quelqu’un croit en l’intercession et non en Dieu, prends la peine de lui prodiguer de bons conseils ; s’il persévère, accuse-le d’impiété intuiti personae, mais tu n’as pas le droit d’accuser la grande masse des musulmans de laquelle tu t’es toi-même exclu (toujours en conformité avec le hadith du Prophète). Dieu n’a-t-il pas dit que : « celui qui suivra un autre sentier que celui des croyants, nous le brûlerons au feu de la géhenne » (IV :115) ? Mais comme on dit : le loup ne s’attaque qu’aux brebis égarées. »[13]

En 1743, les muftis issus des quatre écoles de droit musulman sunnite (malikite, chafiite, hanafite et hanbalite) avalisent et commentent une réfutation contre Ibn Abd al-Wahhab intitulée Le Livre de la prévention de l’égarement et de la répression de l’ignorance, rédigée par un savant égyptien résidant à la Mecque du nom de al-Tandatawi[14].

En plus du Yémen[15], des réfutations viennent d’Irak où en 1776, le savant Ali ben Abdallah as-Suwadi écrit Tabernacle qui éclaire la réfutation du wahhabisme. Il conclut sa lettre ainsi, s’adressant à Abd al-Wahhab :

« Hé ! Lourdaud et diable obstiné, si tu as compris ce qui précède, comment peux-tu accuser d’impiété celui qui atteste qu’il n’est de dieu que Dieu et que Muhammad est son Prophète. »[16]

Quelques années après la mort d’Ibn Abd al-Wahhab (1792), son livre, Le livre de l’unicité divine, est lu par un conseil de savants à Bagdad dont fait parti l’imam de la mosquée de Bagdad, Abd al-Khattib Affendi al-Rawi. Voici ce qui ressort de l’analyse du livre faite par ce conseil :

« Après examen, le livre comprend des questions disparates d’inégale valeur. Son auteur est de ceux qui ne connaissent qu’une partie de la charia[17], qu’il n’a pas pris la peine d’approfondir ; il n’a pas eu de maître qui l’eût dirigé sur le droit chemin, l’eût orienté et lui eût appris les sciences nécessaires qui guident vers la voie juste. »[18]

Les attaques contre la doctrine d’Abd al-Wahhab, sa « pensée » et contre les wahhabites qui lui succèderont, sont multiples et viennent de toutes parts ; essentiellement de savants sunnites – les savants chiites le réfutent aussi, à l’unisson avec les sunnites – alors même que les wahhabites se réclament du sunnisme. Il est important de rappeler que l’opposition au wahhabisme – qui voue une haine viscérale au sunnisme autant qu’au chiisme – faisait l’objet d’un consensus entre les savants sunnites et chiites.

Nous n’avons ici rapportées que quelques unes des nombreuses réfutations et des dénonciations dont doctrine wahhabite a fait l’objet ; réfutations qui se poursuivront à travers les siècles, et ce jusqu’à nos jours, à l’exemple du Sheikh d’Al-Azhar (le centre intellectuel de l’Islam sunnite), Yusri al-Azhari, en 2012[19].

Près d’un siècle après la mort d’Abd al-Wahhab, Ibn Girgis s’en prend aux wahhabites dans un texte qui s’appel Le plus Dur Jihad (1887-1888) où il exprime la position musulmane sunnite traditionnelle à laquelle les wahhabites sont étrangers, à savoir que seuls les quatre fondateurs d’Ecole du droit (Malik, Abu Hanifa, Chafii, Ibn Hanbal), héritiers des prophètes, sont dotés de l’ijtihad (l’effort d’interprétation du Coran dont découle les règles du droit) absolu. Ils sont seuls dignes d’imitation leur rappelle-t-il. Or, ajoute-t-il, « en ces temps-ci, de prétendus savants s’improvisent en créateurs d’Ecole alors qu’ils sont les plus ignorants des hommes, obstinés, corrompus et polémiques, des déments qui méritent l’emprisonnement et le châtiment perpétuel »[20].

Nous conclurons cette série de réfutations par la preuve (si ce n’était pas déjà prouvé) qu’Ibn Abd al-Wahhab n’était pas un véritable savant, mais un imposteur. En 1883, Zayni Dahlan (1817-1886), le mufti de la Mecque, dresse un bilan des réponses faites à Ibn Abd al-Wahhab :

« Au total, nombreux sont ceux qui l’ont réfuté, d’Orient et d’Occident ; ils appartiennent aux quatre écoles, y compris la sienne, le hanbalisme ; ils lui ont posé des questions à la porté des débutants, auxquelles il n’a pas été en mesure de répondre. »[21]

Valeur théologico-juridique des avis des muftis et savants sur le wahhabisme

Nous venons de le voir, il y avait consensus (ijma’) entre les savants des quatre écoles juridiques sunnites, du Nadjd, du Hedjaz, du Yémen et d’Irak au sujet de Mohamed Ibn Abd al-Wahhab et sa doctrine.

Du point de vue du droit musulman, en théorie, il y a consensus sur un cas juridique, lorsque tous les moujtahid (savants capables d’interpréter le Coran) du monde musulman sont unanimes[22].

Dans le cas du wahhabisme, il y avait accord entre un nombre précis de moujtahid ; mais précisons qu’à cette époque, se sont prononcé les savants des régions qui ont eu connaissance de l’existence d’Abd al-Wahhab et de sa secte. Au XIXe siècle, les savants du Maghreb ont à leur tour réfuté le wahhabisme[23].

Toutefois, des oulamas (savants) pensent qu’il est impossible d’avoir un véritable consensus, dans la mesure où l’on ne peut connaître tous les moujtahid de la planète ainsi que leur avis à tous sur un cas juridique. Partant de là, le fondateur de la quatrième école de droit musulman, Ahmad ibn Hanbal (780-855) a conclu que : « Celui qui prétend qu’il y a eu consensus ment. Il se peut que les spécialistes se soient contredits à propos de la question sans le savoir et qu’il ne le sache pas. Il vaut mieux dire : à ma connaissance, il n’y a pas eu de conflit d’opinions sur cette question »[24].

En réalité, ce que l’on qualifie  d’ijma’ (consensus), à l’exemple des jugements consensuels émis par les Compagnons du Prophète, est un avis concerté entre un groupe de personnes présentes à un moment donné, possédant le savoir et la compétence nécessaires pour juger du cas porté devant elles[25].

Historiquement, l’avis concerté n’a existé qu’à deux époques : celle des premiers califes et Compagnons du Prophète (Abu Bakr, Omar, Othman et Ali) et au cours de quelques Califats omeyyades en Andalousie.

En dehors de ces deux périodes, chaque moujtahid répondait aux cas juridiques qui lui était soumis dans son pays et sa société[26].

Il existe deux types de consensus[27] :

    Le consensus explicite (al-ijma’ as-sarih) : tous les moujtahid d’une époque donnée expriment leur accord sur un avis juridique de manière explicite.

    Le consensus implicite (ali-ijma’ as-soukouti) : une partie des moujtahid d’une époque s’exprime sur un cas juridique, tandis que le reste des moujtahid n’exprime aucun avis. Celui-ci a une valeur moindre, sauf pour les savants hanafites, car selon eux le silence d’un moujtahid sollicité ne peut exprimer que son accord.

Au vu des éléments historiques et théologico-juridiques présentés, les jugements que les savants et muftis ont portés sur le wahhabisme, à la fois individuels et concertés, sont des plus solides de l’histoire de l’Islam, concernant une secte[28].

Comme l’a écrit l’ancien juge du Caire, inspecteur des tribunaux et professeur à la faculté de droit du Caire, Abd al-Wahhab Khallaf (1888-1956) : « Le consensus sur un avis juridique devient une loi religieuse coercitive. Si le même cas se présente aux moujtahid des époques suivantes, ils doivent adopter le jugement prononcé par leurs prédécesseurs et s’abstenir de tout nouvel effort de réflexion sur ledit cas. Ainsi, une loi religieuse résultant de l’ijma’ est définitive, indiscutable et ne peut être ni contredite ni abrogée. »[29]

Nous attendons donc que les savants contemporains aient le courage d’adopter le jugement prononcé par leurs prédécesseurs.

 [1] Voir le détail de ces massacres commis par les Saoud sous la conduite d’Ibn Abd-al Wahhab dans : Hamadi Redissi, Le pacte de Nadjd, ou comment l’islam sectaire est devenu l’islam, éditions Seuil, 2007. Son enquête sur la naissance et l’expansion du wahhabisme, s’appuyant sur des documents originaux et des témoignages de l’époque, est la plus fouillée et la mieux documentée.

[2] La biographie d’Ibn Abd-al Wahhab dans : Hamadi Redissi, op. cit.

[3] Les Lettres personnelles de M. Ibn Abd al-Wahhab, Publications de l’Université de l’imam M. Ibn Saoud, Ryiad, s.d. (n°29), rapporté par Hamadi Redissi, op. cit., p. 86.

[4] Selon Ibn Omar, rapporté par Bukhari et Muslim, cité notamment par Muhammad Nasir Ad-Din Al-Albani (qui est une des principales références des wahhabites contemporains), dans son ouvrage Les jardins des Vertueux (Riyad As-Salihin), chapitre 15 : L’interdiction de dire de son frère qu’il est mécréant.

[5] Lettres 26, in Ibn Ghannam, p. 250 et 439-440, rapporté par Hamadi Redissi, op. cit., p. 127.

[6] Hamadi Redissi, op. cit., p. 136.

[7] Hamadi Redissi, op. cit., pp. 131-132.

[8] Lettre éditée à Bombay en 1889 ; une seconde édition date de 1923 et une autre de 1987 au Caire. Rapporté par Hamadi Redissi, op. cit., p. 98.

[9] Rapporté par Hamadi Redissi, op. cit., p. 248.

[10] Rapporté par Hamadi Redissi, op. cit., p. 99.

[11] Rapporté par Hamadi Redissi, op. cit., p. 100.

[12] Rapporté par Hamadi Redissi, op. cit., p. 100.

[13] Rapporté par Hamadi Redissi, op. cit., p. 101.

[14] Voir : Hamadi Redissi, op. cit., p. 101.

[15] Voir les réfutations yéménites du wahhabisme dans : Hamadi Redissi, Le pacte de Nadjd, pp. 105-108.

[16] Manuscrit 2156, Bibliothèque royale de Berlin. Rapporté par Hamadi Redissi, op. cit., p. 107.

[17] La charia, n’est pas, comme on aime à le répéter en Occident, la loi Islamique réduite aux châtiments corporels. Charia signifie la voie ; étymologiquement, ce mot désignait la source d’eau où s’abreuvaient les animaux dans le désert, et par extension on appelait ainsi la voie qui menait à la source d’eau. La charia est donc la voie qu’emprunte le croyant pour accéder à Dieu, qui est la source (l’eau étant la source de toute vie). La loi islamique constitue les limites de la voie (charia), limites sans lesquelles on ne peut se guider ni distinguer la voie droite du chemin tortueux. Toute route, par définition, à des limites.

[18] Rapporté par Hamadi Redissi, op. cit., pp. 88-89.

[19] Voir le prêche donné en 2012 par Yusri al-Azhari, durant lequel il réfute le wahhabisme : https://www.youtube.com/watch?v=0zKEK-T9bAM

[20] Rapporté par Hamadi Redissi, op. cit., pp. 108-109.

[21] Zayni Dahlan dans son Durar (Les Perles, rédigé en 1883). Rapporté par Hamadi Redissi, op. cit., p. 97.

[22] Voir : Abd al-Wahhab Khallaf, ‘Ilm ousoûl al-fiqh (Les fondements du droit musulman), 1942, réédité en 1997 et 2008, Ed. Al-Qalam, p. 68. Abd al-Wahhab Khallaf (1888-1956) fut juge auprès des tribunaux d’Egypte, directeurs des mosquées au ministère des fondations religieuses, inspecteur des tribunaux et professeur à la faculté de droit de l’université du Caire.

[23] Hamadi Redissi et Asma Nouira, Réfutations maghrébines du wahhabisme au XIXe siècle, éd. Dar al-Tali’a, Beyrouth, 2008.

[24] Abd al-Wahhab Khallaf, Les fondements du droit musulman, p. 72.

[25] Abd al-Wahhab Khallaf, op. cit., p. 73.

[26] Abd al-Wahhab Khallaf, op. cit., p. 74.

[27] Voir le détail dans : Abd al-Wahhab Khallaf, op. cit., pp. 67-75.

[28] Voir l’opinion d’Ibn Rushd (1126-1198), le grand juriste du XIIe siècle, sur l’origine et la nature du sectarisme, dans son ouvrage Le discours décisif (fasl al-maqal).

[29] Abd al-Wahhab Khallaf, op. cit., p. 69.

Le 9 Décembre 2015

SOURCE WEB Par Arretsurinfo

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