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La presse électronique indépendante au Maroc

La presse électronique indépendante au Maroc

Entre volontarisme, défis et limitations

La profusion de journaux électroniques au Maroc suscite l’intérêt de tout professionnel ou chercheur sur l’espace médiatique. C’est une nouvelle expérience que vit la presse marocaine qui a emboîté le pas au reste des médias dans le monde comme conséquence de la généralisation de l’utilisation de l’Internet et de la réduction de la brèche digitale entre les différentes couches sociales.

Plusieurs facteurs justifient la naissance de journaux numériques marocains. Citons particulièrement la crise économique que traverse la presse traditionnelle (presse écrite), la libéralisation du marché de l’Internet et la naissance d’une génération de journalistes en rupture avec les modèles traditionnels de la presse écrite (presse de partis et pro-gouvernementale surtout). Il est aussi judicieux de mentionner le bas coût de gestion d’un site web et l’aspiration à s’exprimer indépendamment de la tyrannie des rédactions et des patrons de la presse. Cependant, ce type de presse paraît encore confronté à de multiples contraintes d’ordre matériel, légal, idéologique et culturel.

Méthodologie pour une étude empirique

Nous nous sommes appuyés, dans l’étude de la presse électronique au Maroc, sur les résultats d’un suivi exhaustif, durant un mois, de quatre journaux numériques marocains : Badil (http://badil.info), Lakome (http://lakome2.com), Goud (http://www.goud.ma) et Febrayer (http://www.febrayer.com).

Les quatre journaux se considèrent indépendants pour élaborer leurs éditions hors de toute sorte d’influence de la part des partis politiques, d’un quelconque ministère ou du patronat. Ils ne sont pas non plus des versions électroniques des journaux-papier du fait que leur production est exclusivement l’œuvre de leurs propres rédactions.

En avril 2015, Le Maroc comptait, selon le ministère de la Communication, un total de 158 sites d’information électronique autorisés à exercer alors que le nombre de journalistes électroniques titulaires de la carte de presse professionnelle portant le nom de leur support médiatique était de 89 en 2015. Ceux-ci sont employés dans 20 sites (contre 26 en 2013 et 46 en 2014), soit une moyenne de 4,5 journalistes para média.

Le but de cet essai est de présenter une esquisse du panorama de la presse numérique au Maroc en vue d’aborder la question de la presse électronique indépendante au Maroc à partir d’une étude empirique de la production durant un mois (5 octobre - 5 novembre 2015) des médias retenus. Cet exercice s’est appuyé sur le suivi ininterrompu de leurs éditions quotidiennes durant les sept jours de la semaine.

Il a suffi de scruter leur contenu plusieurs fois par jour pour établir un répertoire des articles diffusés, les classer selon les variables et catégories, les thèmes et genres. Nous avons pu également parvenir à calculer une moyenne approximative par journal des articles diffusés.

Un nouvel espace d’expression

Les résultats de cette analyse de contenu quantitative nous ont permis de comprendre les fondements de la ligne éditoriale, la tendance idéologique et le public ciblé de chacun des médias étudiés. De ce fait, nous considérons que nous sommes en présence d’une expérience unique que le Maroc vit depuis seulement quelques années, particulièrement depuis le mouvement social qu’a vécu le Royaume en février 2011. Ceci démontre que le monde des médias au Maroc est sous l’influence des grands changements que subissent les autres sociétés dans le monde et répond aux attentes du grand public. Le journal électronique est ainsi un espace d’expression libre, rapide et conjoncturelle. L’objet de cet essai n’est nullement de chercher à étudier les raisons des mutations sociales au Maroc.

Il s’agit de journaux de format numérique qui sont édités en langue arabe. S’agissant de la périodicité, il est utile de signaler que leur production est permanente (non-stop) le long de la journée et sans horaire déterminé avec une moyenne quotidienne de 15/20 articles par journal qui sont souvent illustrés d’archives graphiques. Parfois, des archives multimédia (vidéo) y sont insérées pour appuyer le texte ou simplement sont présentées sans texte en bas d’un titre.

La thématique est variée mais demeure conditionnée par l’actualité. Durant la période d’étude retenue, ont été signalés en priorité les répercussions des élections municipales et régionales, élections à la Chambre des conseillers, élections des présidents des Assemblées régionales, problèmes sociaux, batailles entre les états-majors des partis politiques, manifestations des étudiants de médecine, marches des habitants de certaines villes contre la hausse des factures d’eau et d’électricité, activités du souverain et décisions du gouvernement, fausses batailles intergouvernementales (Benkirane-Akhnouch), question de la femme et l’héritage, crash d’un avion russe au Sinaï.

En dépit de la variété des questions et évènements traités, leurs éditions ont été boudées par les annonceurs avec un bilan nul en termes de publicité. Cette situation devient encore plus délicate à cause de l’absence actuellement d’organismes officiels qui notifient les taux de fréquence pour mesurer leur indice de lecture et degré d’audience parmi les lecteurs de la presse au  Maroc. Dans autres pays aux mêmes affinités culturelles et linguistiques, telles la France et l’Espagne, des instituts d’études sur la presse et les médias et les Organismes de justification de la diffusion et justification (OJD) diffusent régulièrement des statistiques relatives de ce type de presse. D’autant plus que la presse électronique au Royaume ne dispose pas de réglementation propre, comme son homologue écrite. 

Thématique restrictive

Les quatre journaux puisent particulièrement leurs sources (sans les citer le plus souvent) dans la presse écrite, les communiqués officiels, les déclarations de sources de profil bas et déclarations reprises sur d’autres médias. Les sources propres sont rarissimes.

Au niveau de la thématique, nous avons ventilé par ordre de classement tous les articles selon des sections créées par les journaux dans la détermination des genres journalistiques et sections. Ces dernières sont calquées sur le format adopté dans la presse écrite. Des sections spéciales sont signalées à la Une (page principale) pour y insérer des faits divers (Zine oua lhdaga, Casanegra, Tbarguig, Fane Al aïch, etc.). Cependant, le politique  est l’aspect dominant dans la production.

La section «politique» se nourrit exclusivement de l’actualité nationale. Elle  est alimentée d’informations puisées dans les multiples supports médiatiques et traitant des faits du jour les plus marquants de la vie politique au Maroc. C’est la section qui attribue davantage de prestige au journal électronique au Maroc pour traiter de questions relatives aux conflits entre leaders de partis politiques, syndicalistes, acteurs sociaux et gouvernement.

La section «économie» s’intéresse principalement à l’actualité économique au Royaume. La matière est puisée dans les communiqués officiels et autres sources de deuxième main. Cette section est moins nourrie et souffre d’un grand déficit en informations utiles pour le grand public tels le suivi des prix des produits de consommation de base, études de marché, études sur le pouvoir d’achat, les grands problèmes d’infrastructure, informations relatives à la banque, aux organismes de développement et surtout des relations de coopération entre le Maroc et d’autres pays. En somme, il s’agit d’une section peu valorisée dans les médias électroniques marocains. Par contre, la section «société» est la plus dynamique. Elle est constamment actualisée grâce à la pression sociale. Elle reprend les rixes de quartier et vandalisme, harcèlements sexuels et viols de mineurs (es), agressions à l’arme blanche, informations sur la prostitution, les mouvements sociaux, marches de protestation et solidarité, faits divers. La plupart des informations reproduites sont en même temps traitées dans d’autres journaux électroniques (remaking). Il existe un effet «boomerang» puisque la concurrence est très intense entre les journaux que nous avons analysés pour apporter le plus de développements des mêmes faits signalés. Les informations reprennent généralement des communiqués officiels et sont obtenues de sources qui préfèrent garder l’anonymat.

Le «sport» est une section pauvre en informations traitant du sport marocain. Les responsables et rédacteurs de cette section privilégient tout ce qui se rapporte au football européen et ses grandes vedettes mais surtout à la violence des «hooligans» marocains. Souvent intervient un clin d’œil aux footballeurs marocains évoluant au sein des Ligues européennes et les luttes entre dirigeants de clubs.

Le reste des sports est quasi-totalement ignoré. Nous considérons que les journaux électroniques étudiés ne disposent pas de journalistes spécialisés en sport et que la section «sport» est conçue comme appendice alors que les informations diffusées sont élaborées sans esprit d’analyse.

Le «régional» est une section où règne une grande confusion dans la production de ces journaux entre le national et le régional. Les informations traitant de la chose régionale manquent de précision mais sont bourrées de détails qui frisent le plus souvent la futilité. La «culture» est, par contre, le parent pauvre des journaux électroniques.

Les principales catégories qui dominent les productions des quatre journaux électroniques sont «grosso modo» déterminées selon la fréquence: Monarchie (actes et activités du Souverain sans commentaire), gouvernement (mais les journaux omettent d’analyser les grandes décisions promulguées au Bulletin officiel de l’Etat - BOE), islamisme (tout ce qui se rapporte au mouvement islamiste, au recrutement d’éventuels combattants dans les rangs de Daïch, manifestations des leaders religieux takfiriyines), social (marches de protestation, mouvements estudiantins, actions syndicales, sous-développement régional, maux sociaux ou vie des artistes).

Une presse sans ressources

Compte-tenu des résultats obtenus de l’analyse du contenu des quatre journaux numériques, il est possible d’avancer quelques réflexions. Il est à noter particulièrement l’absence le plus souvent de sources fiables dans l’élaboration des informations diffusées, ce qui conduit à une confusion entre ce qui est réel et ce qui est rumeur. De même, il est indispensable de signaler le non-respect des genres du fait que souvent le reportage se confond avec la chronique ou l’information avec le commentaire. Ces journaux souffrent également d’un déficit en informations culturelles, économiques et technologiques, de papiers d’analyse, de reproductions d’études scientifiques, littéraires ou sociologiques élaborées par des experts et spécialistes sur des questions de grand intérêt pour le public. Ils sont en même temps victimes de la redondance et de l’abus de la technique copier-coller.

Dans certaines circonstances, ils passent outre le respect des règles de l’écriture journalistique et techniques du journalisme numérique mais abusent des techniques persuasives. A ce titre, nous relevons souvent la non-concordance des archives graphiques avec le contenu du texte et des imprécisions dans les titres pour susciter la curiosité des internautes. C’est là une pratique malhonnête qui n’est nullement recommandée par les professionnels. Les longues phrases y sont monnaie courante ce qui est en contradiction avec les règles du journalisme numérique (phrases courtes, concises et claires).

En conclusion, la presse numérique indépendante au Maroc est victime d’un boycott généralisé de la part des annonceurs. Dimanche, 8 novembre 2015 par exemple, les éditions des quatre journaux numériques analysés étaient totalement démunies de placards publicitaires. Dans ces conditions, ils ne peuvent présenter un produit parfait et susceptible d’intéresser un large public ni améliorer leurs méthodes et instruments de travail par le renforcement de leurs rédactions et la perfection de leur technique de production.

Le 28 Mars 2016
SOURCE WEB Par Libération

 

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