Sécheresse : Fouad Amraoui, professeur hydrologue, tire la sonnette d’alarme
												
						Le monde rural demeure très fragilisé par la sécheresse actuelle que traverse le royaume.
Fouad Amraoui, professeur chercheur en hydrologie à la faculté des sciences Ain Chock de Casablanca fait le point de la situation hydrique au Maroc et esquisse quelques pistes de travail pour réduire l’impact de la sécheresse et rationaliser l’utilisation de l’eau.
– Le Maroc enregistre ces dernières années une faible pluviométrie, avec un impact majeur sur l’approvisionnement en eau. Comment se présente la situation aujourd’hui ?
La situation hydrique actuelle est inédite et très préoccupante, car nos réserves en eau sont au plus bas dans la majorité de nos barrages. A fin janvier, on est censé être dans une période d’apport, de recharge et de constitution des stocks, nécessaires pour les mois d’été. Or la pluie n’a pas été au rendez-vous durant les quatre derniers mois, et le tout récent épisode de sécheresse qui a commencé en 2019, se poursuit avec des déficits forts par rapport à la moyenne, qui se cumulent, rompant ainsi l’équilibre nécessaire entre l’offre et la demande.
Depuis 2022, la desserte en eau potable des agglomérations urbaines qui ne représentent que 10% des réserves hydriques n’est plus garantie comme auparavant, sans parler des besoins agricoles en eau des périmètres irrigués, qui ne pourront pas être satisfaits, menant au recours accru à l’exploitation intensive des eaux souterraines, déjà en état de surexploitation avec des bilans largement déficitaires.
Nous subissons depuis 1980, les effets des changements climatiques qui se manifestent chez nous par une tendance à l’aridité, une réduction des apports d’eau, une augmentation des températures et des phénomènes extrêmes (inondations, vagues de chaleurs…).
En cette fin du mois de janvier, nos barrages ne sont remplis en moyenne qu’à hauteur de 23%, avec des disparités très fortes entre les régions. Les barrages de l’Oriental, du Centre et du Sud du pays affichent des taux de remplissage très bas, à l’image des deux grands barrages : Al Massira qui est presque à sec ou encore Bin El Ouidane qui est à environ 5%.
Compte tenu de la situation hydrique actuelle marquée par la pénurie d’eau dans plusieurs régions du pays, notre relation avec l’eau devra changer. Les mots clés devront être : la gestion raisonnée, la consommation responsable, l’économie, la rationalisation…
Même s’il pleut les mois suivants, les quantités d’eau non reçues depuis le mois d’octobre dernier, ne pourront pas être rattrapées et les réserves qui doivent être là durant les mois secs ne seront pas au rendez-vous. Ceci se traduira par des difficultés réelles à pouvoir assurer une desserte correcte en eau potable, telle qu’on l’a connue jusqu’à maintenant dans nos villes et nos campagnes.
– Quelles solutions préconisez-vous pour éviter que la situation ne se dégrade davantage ?
Le Maroc s’est distingué par la gestion de ses ressources en eau puisqu’il a réussi à mobiliser une très grande partie de son eau conventionnelle superficielle et souterraine. Parmi les réalisations, on dénombre actuellement 153 barrages d’une capacité de stockage de presque 20 milliards de m3 ; l’irrigation de plus de 1.5 million d’hectares ; la desserte totale en eau potable en milieu urbain et un bon renforcement en zone rurale ; la protection contre les inondations ; la production de l’énergie hydraulique ; la réalisation de plus de 167 stations de traitement des eaux usées.
Malgré tous ces efforts, cette politique a commencé à montrer ses limites car l’offre ne répond plus à la demande sans cesse croissante. La population marocaine avoisine aujourd’hui les 38 millions d’habitants, le pays développe des projets d’envergure dans les secteurs agricoles, industriels, touristiques…, tous très gourmands en eau. Le défi d’aujourd’hui est comment concilier, dans un contexte d’irrégularité des apports d’eau, entre une offre en baisse et une demande en croissance.
La sécheresse au Maroc n’est plus considérée comme conjoncturelle mais elle est devenue plutôt la normalité. Les stratégies de l’eau mises en place s’efforcent d’en tenir compte, même si nous n’avons pas de regard prospectif sur son étendue et son ampleur. Le plan national de l’eau 2020-2027 comprend toute une panoplie de mesures capables d’assurer une adaptation à cette situation de stress hydrique. En effet, l’Etat met les moyens financiers et techniques nécessaires pour une mise à niveau en termes d’infrastructures hydrauliques : construction d’une multitude de nouveaux moyens et petits barrages ; transfert d’eau entre bassins ; dessalement d’eau de mer ; renforcement de l’alimentation en eau potable rurale ; détection et réparation des fuites d’eau dans les réseaux agricoles et urbains ; subvention de l’irrigation localisée ; réutilisation des eaux usées traitées ; sensibilisation à l’économie et à la sauvegarde de la ressource en eau.
Le secteur agricole au Maroc consomme 85% de nos ressources en eau. Il est impératif d’adapter notre politique agricole, de manière à se focaliser d’abord sur les cultures (céréales, betteraves ou cannes à sucre, graines pour les huiles) qui nous permettent d’atteindre une certaine souveraineté alimentaire. Il faut encourager aussi les cultures peu consommatrices d’eau (oliviers, amandiers, caroubiers…), et ne permettre les cultures gourmandes en eau que là où la ressource en eau est bien présente et se renouvèle. Il faut également pour ces cultures fixer des objectifs en termes de superficies et de tonnages au-delà desquels aucune subvention ne devra être apportée.
– Le rôle des utilisateurs est important dans l’économie de l’eau. Quel comportement le citoyen devrait-il adopter face à cette situation ?
L’eau est convoitée par beaucoup d’acteurs qui ont souvent des intérêts contradictoires. En période de sécheresse, l’Etat gère la rareté en donnant la priorité et l’exclusivité à l’eau potable au détriment de tous les autres usages. Des instructions fermes sont données à l’échelle régionale, en fonction des spécificités, afin de rationaliser l’eau, détecter et réparer les fuites dans les réseaux, interdire l’arrosage des espaces verts avec l’eau de ville, fermer quelques jours par semaine les hammams et les unités de lavage des voitures, interdire le remplissage des piscines.
Toutes ces démarches ont pour rôle essentiel une sensibilisation large de la population pour adhérer à l’effort national d’économie d’eau. Chaque personne à son échelle, par esprit civique, doit réduire sa consommation en eau dans ses pratiques journalières (douche, cuisine, fuites, jardin…). Tout ceci, afin de tenir le plus longtemps possible, en espérant que les mois prochains puissent nous apporter des pluies bénéfiques, pour la reconstitution d’une partie significative des réserves d’eau dans nos barrages et dans nos nappes souterraines.
Le 29/01/2024
Source web par : CHALLENGE
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mardi 30 janvier 2024
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