L’agriculture marocaine face à un manque d’eau structurel : quel diagnostic ? Un expert répond
L’agriculture marocaine, impactée par un manque d’eau devenu structurel, se divise en deux domaines, distincts, mais complémentaires : le pluvial et l’irrigué. Selon Mohamed Taher Sraïri, enseignant-chercheur et professeur à l’Institut agronomique et vétérinaire (IAV) Hassan II de Rabat, plus de 80% des terres agricoles au Maroc dépendent exclusivement des précipitations, ne pouvant bénéficier ni de l’eau des barrages ni de celle des nappes phréatiques.
Le domaine pluvial, de loin le plus vaste, représente une part prépondérante de l’activité agricole. «Les céréales, notamment, dominent ce secteur avec des besoins hydriques annuels variant entre 300 et 500 mm. Cependant, face au stress hydrique croissant, ces cultures voient leur productivité diminuer, conduisant à une dépendance marquée aux importations, ce qui impacte directement la souveraineté alimentaire du pays», indique Pr Taher Sraïri, enseignant-chercheur et professeur à l’Institut agronomique et vétérinaire (IAV) Hassan II de Rabat.
Dans le domaine irrigué, qui représente environ 18% des terres agricoles, l’eau était traditionnellement fournie par l’État. Le service de l’eau aux exploitations agricoles est géré par les Offices régionaux de mise en valeur agricole (ORMVA), en amont de grands barrages répartis dans différentes régions du pays, à des prix variant en moyenne entre 0,5 et 0,6 dirham/m3, révèle notre interlocuteur.
«Quand il y a moyen d’irriguer, on peut se permettre des cultures qui demandent plus d’eau que les apports pluviaux, notamment des cultures d’été, comme le maïs, ou certaines espèces fourragères comme la luzerne. Dans ce contexte, nous pouvons également parler d’arboriculture», affirme Pr Taher Sraïri, précisant que le besoin de ces cultures dépasse de loin celui des cultures pluviales.
«Toutefois, même dans les zones avec des possibilités d’irrigation, la pluie demeure primordiale, assurant une part conséquente des besoins des cultures, notamment en période arrosée (de l’automne jusqu’au printemps, NDLR). Cela explique pourquoi on retrouve toujours des céréales et des fourrages pluviaux dans les assolements, indispensables aux revenus des exploitations agricoles, la vente des produits animaux étant fondamentale pour leur trésorerie», explique-t-il.
Abordant plus en détail la nature de certaines cultures irriguées, l’expert cite les exemples de l’avocat, des dattes, de la pastèque et des agrumes. Il souligne ainsi que l’avocatier et le palmier dattier, principalement des cultures tropicales, requièrent respectivement entre 1.600 et 2.000 millimètres d’eau par an. «L’expansion de l’avocatier s’est concentrée dans des zones plus favorables, dans le nord du Maroc, de Kénitra à Larache, et à l’est de Rabat, entre Sidi Allal Bahraoui et Tifelt», détaille-t-il, rappelant que ces régions ne reçoivent en moyenne annuelle que 400 à 500 mm de pluies.
Pour les palmiers dattiers de variété marchande (le Majhoul), les expansions se sont faites dans des extensions d’oasis, amplifiant sévèrement les prélèvements hydriques dans des zones foncièrement désertiques. Ceci implique que les besoins en eau de ces cultures, surtout durant les périodes de canicule de plus en plus fréquentes, reposent intégralement sur des pompages.
La situation est assez similaire pour les agrumes. Ces plantations, cultivées dans des zones relativement arides comme l’Oriental et le Souss-Massa (avec des moyennes annuelles de précipitations ne dépassant pas 200 mm), exigent entre 1.000 et 1.200 mm.
Ces chiffres démontrent clairement que plus de 80% de leurs besoins hydriques reposent sur l’irrigation, assurée en grande partie par des pompages, le niveau de remplissage des barrages étant si bas que les volumes disponibles sont réservés en priorité à l’eau potable. Ce qui a, par ricochet, précipité l’épuisement des nappes phréatiques, dont le rythme d’exploitation dépasse souvent celui de son renouvellement.
Concernant la pastèque, elle se contentait auparavant de l’humidité stockée dans le sol et de la rosée dans les zones côtières de l’Atlantique où elle était cultivée. Et contrairement à une idée répandue, cette culture n’a pas un besoin hydrique élevé, ne nécessitant en réalité que 400 millimètres annuellement.
Cependant, son introduction dans des zones désertiques telles que Zagora, Tata, etc. (où il pleut entre 50 et 100 millimètres au maximum), afin de profiter de la précocité de la production, a contribué à l’amplification du manque d’eau, menaçant même l’approvisionnement en eau potable des agglomérations urbaines, ce qui a mené à une stricte régulation par les autorités locales des surfaces exploitées annuellement.
Pr Mohamed Taher Sraïri tire la sonnette d’alarme quant aux conséquences de la persistance dans cette voie, illustrées par des scénarios dramatiques où des arbres, considérés comme un véritable patrimoine par les agriculteurs, doivent être arrachés en raison de la pénurie d’eau. Cette tragédie, au-delà de ses implications sociétales, souligne aussi l’urgence d’une approche plus durable de la gestion des ressources hydriques, basée sur de la planification sérieuse à l’échelle de chaque territoire.
L’expert conclut en mettant en garde contre le choix de privilégier les cultures irriguées, avec d’importants besoins hydriques, comme solution pour améliorer les revenus agricoles, a fortiori dans un pays à climat structurellement aride ou semi-aride. Et d’user d’une métaphore parlante pour décrire la situation actuelle: «Lorsque nous gérons un compte en banque et que nous dépensons plus que nos revenus, la banque nous contacte pour nous alerter. C’est ce que fait aujourd’hui la nature, qui nous fait comprendre de différentes manières que nous sommes dans le rouge d’un point de vue hydrique».
Le 14/01/2024
Source web par : le360
www.darinfiane.com www.cans-akkanaitsidi.net www.chez-lahcen-maroc.com
Les tags en relation
Les articles en relation
Conséquence de la baisse du taux de remplissage des barrages / Le potentiel hydrique soumis à rude
A septembre 2016, les retenues des principaux barrages du Royaume, tous usages confondus, ont atteint plus de 7,30 milliards de m³, enregistrant ainsi un taux ...
Solutions envisagées par Nizar Baraka face au stress hydrique
Le ministère de l'Équipement et de l'Eau du Maroc a pris quatre mesures d'urgence pour faire face à la rareté de l'eau et atténuer ses cons...
Analyser la sécheresse : faire la distinction entre sols secs et aridité
Analyse de la sécheresse et de l'aridité : Comprendre les nuances entre deux réalités climatiques liées au manque d'eau La sécheresse et l'...
Au Maroc, le manque d’eau désespère les villages
Le royaume chérifien subit une grave sécheresse depuis plus de quarante ans. Dans les années 1960, la disponibilité en eau était quatre fois supérieure à...
Stress hydrique : les actions réussies de la Radeej
Depuis l’annonce de l’état d’urgence, en raison de la pénurie d’eau, la Régie autonome Intercommunale de distribution d’eau, d’électricité et d...
Sécheresse au Maroc : 1,9 million de migrants climatiques potentiels d’ici 2050
Face à la raréfaction croissante des ressources hydriques et aux effets du changement climatique, l’exode rural devrait aller en s’amplifiant. Au cours...
Ahmed Lahlimi : « L’inflation deviendra une donnée structurelle de l’économie marocaine »
Contrairement à plusieurs économistes et institutions nationales et mondiales, le haut-commissaire au Plan estime que l’inflation que l’on vit en cette an...
Débat sur le stress hydrique au Maroc
La lutte contre le stress hydrique au Maroc a été au centre d’une demi-journée d’études technique et entrepreneuriale initiée, samedi à Rabat, à l’...
Souss-Massa : du sang neuf apporté au portefeuille de projets du PDR
Plus de la moitié des projets qui serviront d’armature à la réalisation de la feuille de route du développement de la région de Souss-Massa s’inscriven...
Réchauffement climatique : Préoccupations du CESE sur l’état des ressources naturelles
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a tenu, le 31 août 2023, la 149ème session ordinaire de son assemblée générale, laquelle s'est...
Souss-Massa : Mise en place de stations de dessalement et interconnexion des réseaux pour faire fac
L'Agence du bassin hydraulique (ABH) de Souss-Massa a récemment annoncé la mise en œuvre d'une série de mesures destinées à atténuer le stress hy...