Séisme d’Al Haouz : les leçons d’un drame analysées par trois experts
L’Office national marocain du tourisme (ONMT) répond à l’appel à la solidarité nationale Mustapha Sehimi, professeur de droit et politologue, Nabil Mekkaoui, docteur ingénieur en parasismique, ancien enseignant chercheur à l’EMI, et Selma Zerhouni, architecte, trois experts ont livré leur analyse s’agissant des leçons à tirer du séisme qui a secoué Al Haouz le 8 septembre dernier. L’Info en Face s’est déroulée – une fois n’est pas coutume – sous forme de webinaire. Les trois spécialistes ont porté un regard lucide sur ce drame, mettant en avant nombre d’actions et de décisions à prendre en compte dans l’élaboration des politiques publiques dédiées aux zones de montagne.
«Séisme d’Al Haouz, quelles leçons tirer ?» Tel est l’intitulé de la thématique du webinaire organisé par le Groupe Le Matin dans le cadre d'une édition spéciale de l'émission «L’Info en Face». Près d’un mois après le tremblement de terre, il est temps de porter un regard lucide sur ce drame et de lancer une réflexion collective sur les moyens les plus à même d’assurer un développement cohérent, harmonieux durable aux zones de montagne. À cet égard, trois experts ont livré leurs analyses sans détour.
Pour Nabil Mekkaoui, docteur ingénieur en parasismique, ancien enseignant chercheur à l’EMI, «il y a plusieurs leçons. Tout d’abord, il faut que tout le monde soit conscient du risque sismique sur le territoire marocain. Il ne faut pas se dire que cela arrive uniquement dans la région d’Agadir ou bien dans celle du Rif. Le Maroc est situé entre les deux plaques tectoniques africaine et européenne». De ce fait, quelle que soit notre position au Maroc, on est exposé au risque sismique. Et cette prise de conscience doit être bien présente dans les écoles, les universités... à tous les niveaux. Autrement dit, il faut informer et éduquer pour être préparé à faire face à ce genre de catastrophes.
Un dossier pris en charge par S.M. le Roi et une solidarité populaire
Pour sa part, Mustapha Sehimi, professeur de droit et politologue, estime que la première leçon à tirer du séisme est l’exceptionnelle solidarité du peuple marocain. «Il n’y a jamais eu une telle mobilisation du peuple marocain, probablement depuis celle autour de la Marche verte en 1975. C’était spontané, sans aucun mot d’ordre officiel. C’est venu d’en bas, c’est la société qui se prend en charge», note M. Sehimi. Et d’ajouter, «il y a eu une réactivité publique tout à fait exceptionnelle due à une gouvernance Royale. Il faut bien dire que ce dossier a été pris en charge par le Roi, ce qui a donné espoir d’abord aux sinistrés. Cela a aussi permis de gérer la situation en deux, trois semaines avec la mise en œuvre de nouvelles politiques publiques adaptées. Cela montre que lorsqu’on est confronté à de fortes contraintes et à une crise majeure, telle une catastrophe naturelle, et qu’il y a un centre de décision qui prend en main ce dossier, nous pouvons faire des choses tout à fait particulières. C’est une leçon qui va servir au gouvernement».
Échec de certaines politiques publiques, une des leçons à tirer du séisme
Toutefois, le politologue estime qu’il y a une autre leçon à tirer du séisme : l’échec de certaines politiques publiques. «Ce tremblement de terre remet sur le tapis la problématique du développement territorial. On a tout un discours officiel sur le développement social, la réduction des inégalités sociales et spatiales. Mais dans les faits, ce discours ne s’accompagne pas de politiques concrètes», déplore M. Sehimi. Et pour illustrer ses propos, le politologue pose la question de savoir qui s’occupe réellement des politiques publiques des zones montagneuses qui s’étendent sur 300.000 km², soit 42% du territoire national, et qui couvrent 800 communes, enclavées pour la plupart et qui ont pourtant de grandes potentialités. «70% des ressources hydriques du Maroc sont dans les zones montagneuses qui abritent 62% de la forêt marocaine. Mais ces territoires ne contribuent qu’à hauteur de 5% du PIB national», rappelle le politologue. Selon lui, «il y a eu une stratégie de développement du monde rural et tout le monde à le souvenir du Plan Maroc vert qui a été mis en relief dans différentes circonstances. Mais cette grande stratégie n’a été appliquée que pour le secteur agricole moderne et pour les grands périmètres d’exploitation avec des cultures destinées à l’exportation». Et M. sehimi d’enchaîner : «Est-ce que le Plan à Maroc vert a ruisselé, si je puis dire, dans la direction des zones montagneuses ? Pas du tout. La preuve, c’est la situation qu’on a découverte. Pourtant, les urbanistes, les géographes et les gens de terrain, les élus et les populations savent qu’il y a un monde qui est enclavé». C’est un monde resté en marge de toute dynamique de développement et dont les besoins, les attentes et les aspirations ne sont pas pris en charge. «Le monde rural enclavé dans les zones montagneuses n’a pas de lobby pour le défendre», regrette le politologue.
Le coût économique de l’exode rural
Vivant dans ces zones, l’architecte Selma Zerhouni note avec amertume que dans ces régions et ces villages, les puits ont tari et les petites exploitations vivrières ont été anéanties. Dans une configuration macroéconomique, cela peut ne pas prêter à conséquence, mais au niveau local cela a un impact désastreux. Résultat, un exode rural non maîtrisé vers les villes avec des répercussions économiques et sociales néfastes. «Les économistes devraient inclure cela dans leur calcul à l’échelle macroéconomique», insiste l’architecte. Selon cette dernière, pour réduire le coût économique de cet exode rural, il faut qu’il y ait dans les villages, même les plus petits, un minimum d’urbanité (route, canalisations...). Aussi, il faut éviter le stéréotype d’habitat permanent, comme on en fait avec le logement de masse. «L’enjeu est de pouvoir construire avec les personnes et non pas pour ces dernières», précise l’architecte. Certes, il faut construire en prenant en compte les mesures parasismiques, mais les premières réactions en cas de catastrophe sont décisives. Nabil Mekkaoui propose à cet égard, une formation des populations locales aux premiers secours, comme cela se fait sous d’autres cieux.
Une politique de développement territorial efficace et durable
Compte tenu de tous ces éléments, une question mérite dès lors d’être posée : est-on capable de mettre en place une politique de développement territorial efficace et durable dans les zones montagneuses enclavées ? «C’est à l’ordre du jour, cela fait partie des Orientations Royales qu’il faut traduire dans des politiques publiques de terrain. Maintenant, il y a une ardente obligation pour tous les acteurs publics et les opérateurs privés d’élaborer, de réfléchir à quelque chose d’autre pour éviter de revivre le même drame. Cela implique un certain nombre de principes», affirme M. Sehimi. Il s’agit tout d’abord d’être à l’écoute des populations. Il ne s’agit nullement d’imposer un modèle de développement technocratique, mais de prendre en compte les besoins des populations en termes d’habitat salubre et ensuite leurs aspirations socioéconomiques. «Le Maroc est dans une zone sismique, mais les politiques publiques regardaient sans doute ailleurs. Avec cette catastrophe naturelle, il y a enfin une prise de conscience de la nécessité de prendre en compte cette donne. Il y a eu le séisme de février 2004, celui d’Agadir en février 1960, mais on a tendance à l’oublier», regrette le politologue.
Les matériaux de construction ne sont pas la cause
Sur ce point, Selma Zerhouni souligne que «nous avons pris l’habitude de créer des normes, des règles et des réglementations, et parfois même des lois pour se débarrasser du problème. Aujourd’hui, on ne construit pas les choses de façon cosmétique, mais de façon structurelle. Dans le monde, il y a énormément de lieux qui sont devenus antisismiques avec des techniques faciles à réaliser, même sans béton». Un avis que partage Nabil Mekkaoui. «J’ai fait une investigation rapide de quelques dégâts observés. Que ce soit dans les sites urbains ou ruraux, la première chose que je peux dire, c’est que ce n’est pas un problème de matériaux. On peut construire avec les matériaux traditionnels : pierre, terre, bois, chaux... et en même temps assurer une structure parasismique, c’est faisable». L’expert en veut pour preuve les douars qu’il a visités où des structures ont résisté alors que d’autres se sont effondrées.
Selon l’expert, la majorité des bâtiments qui ont résisté sont conformes à la réglementation parasismique des constructions en matériaux conventionnels et aussi à la réglementation technique des constructions avec les matériaux traditionnels. Donc les matériaux ne sont pas à incriminer. Il faut juste adopter quelques dispositions parasismiques pour que le bâtiment, quel que soit le matériau qui a été utilisé, puisse résister au tremblement de terre. Outre la dimension parasismique, l’architecte Selma Zerhoun soulève la dimension esthétique : «Les zones dévastées par le tremblement de terre abritent des villages authentiques bien construits. Mais il y a eu des rajouts différents de l’architecture traditionnelle, en raison notamment de l’exode qui autorise les gens à revenir et à construire autrement que leurs grands-parents. De ce fait, il y a une perte de savoir-faire» déplore-t-elle.
Le 03/10/2023
Source web par : lematin
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