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Tourisme au Maroc : la guerre des chiffres a commencé

Tourisme au Maroc : la guerre des chiffres a commencé

Le Maroc a connu une hausse de 20% de ses arrivées touristiques entre janvier et mai 2023, par rapport à la même période en 2019. Un résultat qui ne fait pas l’unanimité. Voici ce qu’en pensent deux experts: Zoubir Bouhoute, consultant dans le secteur, et Hamid Bentahar, président de la Confédération Nationale du Tourisme (CNT).

La ministre du Tourisme, Fatim-Zahra Ammor, a annoncé au début du mois une augmentation de 20% des arrivées touristiques entre janvier et mai 2023, par rapport à la même période en 2019. Cette croissance est portée notamment par les marchés espagnol (+46%), britannique (+29%), israélien (+158%) et italien (+10%).

« Nous sommes très fiers de ces réalisations qui sont le résultat du plan d’urgence de deux milliards de dirhams que le gouvernement a mis en place pour soutenir les professionnels en 2022 et leur permettre notamment de mettre à niveau l’offre hôtelière, des nombreuses actions offensives que nous menons en termes d’aérien, de promotion et de référencement du Maroc auprès des grands tour-opérateurs, ainsi que du dynamisme des opérateurs du secteur. Sans oublier bien sûr l’exploit des Lions de l’Atlas qui a propulsé notre pays sur le devant de la scène internationale », a-t-elle déclaré.

Zoubir Bouhoute, expert et consultant en tourisme, ne lit pas ce résultat d’aussi bon aloi. Selon lui, cette croissance de 20% des arrivées tait un détail important: celui du volume de nuitées. « Généralement, dans l’activité touristique, nous prenons en compte deux paramètres: les arrivées et les nuitées », explique-t-il.

« Par exemple, pour les touristes espagnols, nous avons généralement un nombre important d’arrivées mais peu conséquent de nuitées. Si on a dix touristes et cinq nuitées, ça fera 50 nuitées alors que si on a 20 touristes sur deux nuitées, cela n’en fera que 40. Ainsi, connaître le volume de nuitées est important, voire plus important que celui des arrivées », illustre l’expert pour qui le ministère tente de « cacher des contre-performances ».

« Volonté délibérée de dissimuler les chiffres et indicateurs clés »

« Ce problème de transparence sur les chiffres est récurrent. La ministre a annoncé un chiffre global il y a environ deux semaines mais à ce jour, je constate que l’Observatoire du Tourisme n’a toujours pas mis les chiffres à disposition des professionnels, de la presse, etc. De plus, les nouveaux tableaux ne donnent pas les informations concernant les nuitées par nationalité, alors que c’était mentionné auparavant », proteste encore le spécialiste qui a envoyé une lettre ouverte dans ce sens à la ministre.

« Il est regrettable de constater que cela semble être le résultat d’une volonté délibérée de dissimuler les chiffres et indicateurs clés, plutôt que de les présenter de manière transparente et honnête », lit-on dans le document dont H24Info a reçu copie.

En fonction des données sur lesquelles on place le curseur, l’analyse peut s’avérer plus ou moins satisfaisante. Si la ministre du Tourisme se réjouit des derniers résultats, Zoubir Bouhoute les considère plutôt alarmants, au regard justement des chiffres sur les nuitées par rapport aux nombreuses actions de partenariat et de promotion du Maroc mises en place (contrats signés avec les tours-opérateurs, les compagnies aériennes, campagne « Maroc, terre de lumière », rayonnement relatif au succès des Lions de l’Atlas à la dernière Coupe du monde…).

Après ses calculs personnels, il parvient au résultat d’une augmentation de 2% des nuitées pour janvier-mai 2023 par rapport à 2019. « Il y a un déséquilibre avec le nombre d’arrivées qui n’est pas bon pour l’activité. J’attends que le ministère explique ces faibles performances et agisse en conséquence. Il ne suffit pas de signer des contrats mais il faut les mettre en place. » De plus, il souligne que l’on doit majoritairement ces 20% supplémentaires d’arrivées aux MRE.

« Au niveau des arrivées, entre mai 2019 et mai 2023, on a une augmentation de 20%, c’est vrai. On a gagné 900.000 arrivées mais parmi celles-ci, il y a 800.000 MRE, ce qui fait une augmentation de 48% des MRE. Quant aux touristes étrangers, nous en avons gagné seulement 100.000, soit une augmentation approximative de 3,5%. Si on souhaite comprendre dans le détail ce chiffre de 20%, il faut reconnaître que c’est surtout grâce à l’augmentation des MRE. Ainsi, nous vivons selon moi une perte de nos parts de marché », s’alarme le consultant.

D’ailleurs, la ministre ne s’est pas attardée sur les marchés déficitaires. Entre janvier et avril 2023, les arrivées allemandes ont chuté de 37%, les belges de 30%, les hollandaises de 32%, les canadiennes de 22% et les françaises de 6% par rapport à 2019. Au total, l’arrivée de touristes étrangers a baissé de 2%.

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© Observatoire du Tourisme

« Je m’inquiète par rapport au marché français. Ce n’est pas normal, c’est notre premier marché. Il y a eu beaucoup d’opérations de promotion, de contrats avec les agences, les TO, les compagnies aériennes. +2% de nuitées c’est peu pour un marché comme la France qu’on connaît bien et avec qui on a une proximité », explique l’expert.

Le mois de mai 2023 se distingue par une croissance record de 55% avec 1,1 million d’arrivées comparé à 2019, précisait encore le ministère il y a quelques semaines. « Effectivement, +55% en termes d’arrivées avec un détail important: +99% pour les MRE, +33% pour les touristes étrangers, en sachant qu’on compare un mois d’activité normal en 2023 avec un mois de mai 2019 qui coïncidait avec Ramadan », nuance Bouhoute.

Comme cause à ces résultats mitigés, Bouhoute évoque le montant du budget alloué au tourisme dans la loi de finance 2023, resté le même que l’année précédente. « Il y a un hic, on ne peut pas augmenter la promotion du pays et signer des contrats en gardant le même budget. Il y a un mois, il y a eu une injection supplémentaire de 1,2 MMDH, c’est bien, mais je crois que ça a été fait tardivement, il fallait l’inscrire dans la LF. Je pense que le problème se situe ici car les responsables n’avaient peut-être pas les moyens financiers pour exécuter les contrats », explique-t-il.

« Certains marchés nécessitent plus d’attention »

De son côté, Hamid Bentahar, président de la Confédération Nationale du Tourisme (CNT), voit les choses d’un tout autre œil. « On ne peut pas dire qu’un +20% soit alarmant. C’est plutôt une bonne nouvelle. Quand on regarde dans le détail, il y a effectivement des marchés qui connaissent une grande progression, et d’autres des régressions. Revenir déjà au niveau de 2019 après trois années, c’est plutôt quelque chose de positif », tempère-t-il.

Et de poursuivre: « Même si on a que +2% au niveau des nuitées par rapport à 2019, ça reste une bonne nouvelle, cela veut dire qu’on a récupéré la totalité des nuitées d’hébergements mais que sur certains marchés, il faut redoubler d’efforts ou alors ça n’a pas encore donné de résultats. »

Pour ce faire, Hamid Bentahar invite à plus de créativité et à opérer un « travail chirurgical, plus ciblé, marché par marché, ville par ville ». « Il faut accompagner les marchés où il y a de la croissance, comprendre les différentes causes du retard des autres et mettre en œuvre des plans d’action spécifiques. »

De plus, le président de la CNT considère « normal » le fait que les MRE constituent le marché le plus important. « Dans le monde entier, le marché local est le premier marché pour les pays qui en ont un important, ensuite la diaspora constitue le deuxième segment. Puis les segments du luxe et du loisir reviennent beaucoup plus vite tandis que le secteur affaires prend un peu plus de temps », détaille l’expert qui indique que « cela s’est passé de la même manière dans le monde entier ».

Contrairement à Zoubir Bouhoute, il n’estime pas qu’il y a de la part du ministère « une volonté de cacher » les chiffres. « Ils finiront bien par sortir. Il y a toujours eu du retard dans la publication des chiffres. C’est l’un des chantiers les plus importants et urgents de la feuille de route 2030: à l’ère du digital, produire des tableaux de bord dans un temps plus rapide et plus détaillés pour pouvoir bénéficier de la bonne data au bon moment et agir de sorte à gagner des parts de marché vis-à-vis de nos concurrents », argue Hamid Bentahar soulignant la diversité de sources de ces chiffres (Office des changes, aéroports, frontières, etc.).

« Il faut être optimiste et vigilant. Ces chiffres ne sont pas alarmants mais certains marchés nécessitent plus d’attention. La tendance est bonne mais il y a des opportunités sur lesquelles nous pouvons être meilleurs », conclut-il.

Le 30/06/2023

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Source web par : h24info

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