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Au pays des sans-emploi

Au pays des sans-emploi

Que pourrions-nous faire grâce aux industries du tourisme Marocain ?

A la grisaille actuelle du ciel marocain, s’ajoute un autre coup de grisou. Celui-là provient d’une note publiée par le HCP. Si on dit des chiffres qu’ils sont froids et impersonnels, ceux-là provoquent une émotion particulière. Une déception tendant vers la gêne, voire le dégoût. En livrant sa radioscopie annuelle du marché du travail, le HCP jette un énorme pavé dans la mare.

Qu’y apprend-on ? Eh bien, que le Marocain est essentiellement un sans-emploi. Sur 27,5 millions de citoyens en âge de travailler, 15,3 millions n’ont aucune activité, et sont donc irrémédiablement marginalisés par le marché du travail.

Jamais le taux d’activité au Maroc n’a été aussi bas. À peine 44,3%. D’année en année, de plus en plus de personnes décrochent, perdent espoir et s’en vont rejoindre les limbes de l’invisibilité. Quant aux femmes, que dire ? Les chiffres sont encore plus consternants. Celles-ci n’ont jamais été autant exclues de toute activité.

A cela, il faut ajouter un chiffre des plus navrants. En 2022, l’économie marocaine aura détruit (oui, vous avez bien entendu) 24.000 emplois nets. L’esprit peine à saisir la profondeur de cette spirale de l’oisiveté. D’autant que l’arrivée d’un gouvernement de technocrates, chapeautés par un homme dont le sens des affaires a fait la renommée et la fortune, avait laissé espérer la naissance d’une dynamique positive.

Il n’en sera rien. En dépit de tout le battage médiatique autour de dispositifs comme Forsa ou Awrach ; en dépit des annonces tonitruantes accompagnant le “go live” de la charte d’investissement ; en dépit des poussées auto-congratulatrices qu’accompagne la mise sur orbite du “Made in Morocco”, au final, tout cela n’aura servi qu’à détruire 24.000 emplois…

Alors oui, la sécheresse a eu ses effets, la crise ukrainienne aussi. Mais ces occurrences seules n’expliquent pas la sévérité du diagnostic que pose le HCP. En vérité, le Maroc, même dans les années les plus fastes, est incapable d’absorber les 400.000 jeunes qui s’agglutinent annuellement aux portes du marché de l’emploi. Ni l’industrie, ni le secteur agricole, ni même les services à faible valeur ajoutée ne peuvent accueillir autant d’aspirants à un salaire.

La faute à plusieurs facteurs bien sûr, dont les plus connus sont un environnement des affaires peu souple, un secteur informel battant des records, une justice toujours en manque de réforme profonde, provoquant la méfiance des investisseurs, surtout étrangers. Tout cela est bien connu. Mais outre ces éléments imperméables à toute correction, se cachent des choix humains.

La grande vague d’investissements en infrastructures des années 2000 a certes fait du bien au pays. Ce secteur, dopé par la commande publique, a pu absorber des centaines de milliers de travailleurs peu qualifiés, donnant l’illusion que la machine économique était optimale. Or, pendant deux décennies, on a négligé l’essentiel : l’éducation et la formation des jeunes. Avec une école de l’échec, l’absence du préscolaire et l’enclavement de larges territoires, le Maroc a failli à produire un citoyen adapté aux nouvelles logiques du travail.

Aujourd’hui que le pays est tapissé d’infrastructures adéquates, les besoins en main d’œuvre fondent comme neige au soleil et, naturellement, l’inactivité frise des records d’insolence. Dans le dossier de cette semaine, Mohamed Alami Berrada, ancien conseiller à la primature, détaille par le menu les distances immenses qui séparent le jeune de l’employabilité. Et ce, en raison de ses déficits cognitifs, de son absence de “soft skills” et de son isolement social. Du coup, les quelques emplois valorisants que crachote l’économie sont trustés par l’élite, au sacrifice de générations entières de citoyens modestes, dépourvus de codes comportementaux, d’atouts familiaux et techniques.

Face à cela – aucun gouvernement ne le dira ouvertement -, la stratégie consiste à simplement occuper les jeunes pendant quelques années. Par le service militaire, et surtout par le sacro-saint entrepreneuriat, devenu le catéchisme du gouvernement. On sait que sur 100.000 porteurs de projets accompagnés, seuls quelques milliers parviendront à se prendre en charge. Pour le reste, au moins les aura-t-on occupés quelques années. Histoire de les détourner de la radicalisation, de la délinquance, et surtout de toute volonté de protestation. Dans une sorte de réflexe sécuritaire, faute de mieux.

Alors certes, le ministre de l’Éducation nationale a engagé une réforme louable pour transformer les canaux de formation. Des initiatives d’écoles de la deuxième chance lancées par l’OCP donnent de l’espoir, mais elles sont trop concentrées pour produire un ruissellement global. Il faudra donc patienter une génération de plus pour voir les résultats concrets de la réforme Benmoussa. D’ici là, des millions de jeunes connaîtront le sort de leurs aînés. Un cruel rejet par le monde du travail et une vie consacrée aux petits débrouillages du quotidien. Quelle tristesse !

©? 2023 TelQuel

Le 9 Mars 2023

Source web par : Telquel

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