À quoi sert aujourd’hui d’avoir un doctorat au Maroc?
Précarité de l’emploi, désintérêt des étudiants, rareté des embauches dans la recherche, le nombre de doctorants est en chute. À se demander si, aujourd’hui, obtenir le diplôme le plus élevé de l’université en vaut toujours la peine?
Le doctorat, le diplôme le plus élevé de l’université, doit en principe ouvrir grand les portes des emplois hautement qualifiés et bien rémunérés, tant dans les entreprises privées que dans la fonction publique. Un sésame tant convoité par les étudiants qui ont le souffle long. Car, en règle générale, il faut entre 3 et 6, voire même 7 ans à temps plein pour terminer un doctorat.
Si le nombre de doctorants a augmenté ces dernières années, peu d’entre eux vont au bout du cursus. Entre 2013 et 2018, le nombre de doctorants a fortement progressé (75,2%) passant de 19.585 à 34.313 doctorants durant cette période. Or, celui des doctorats soutenus ne dépasse jamais les 2.000 par an, d’après le rapport sur la recherche scientifique et technologique au Maroc de l’Instance Nationale d’Evaluation (INE), relevant du Conseil supérieur de l’éducation.
Cette situation est souvent liée aux contrats «post-doctoraux», une main-d’œuvre décisive de la recherche censée déboucher sur l’emploi pérenne dans l’université, les centres de recherche ou encore dans l’ingénierie. Mais la raréfaction des recrutements ces dernières années provoque des défections. De plus en plus d’étudiants décrochent s’ils ne parviennent pas à présenter leur thèse au-delà de trois ans.
“Le cycle doctoral au Maroc devient visiblement un goulot d’étranglement, où les effectifs s’accumulent sans pour autant que le rythme des soutenances ne suive”, résume l’Instance Nationale d’Évaluation dans son rapport. Pire encore, le cycle doctoral n’est plus performant, selon l’avis des enseignants-chercheurs exprimés lors des ateliers de réflexion, organisés par l’INE.
L’octroi de la bourse d’excellence pour la recherche en doctorat, instaurée depuis 2004 pour les plus méritants, n’a rien changé à la situation. En effet, l’analyse du cycle doctoral entreprise par l’INE en 2017 montre que le taux d’abandon est de 32,7% pour toute la période 2004- 2013. Celui-ci s’élève à 41,4% si on se limite à la période d’analyse 2004-2010. Alors que le nombre d’étudiants ne cesse d’augmenter, le doctorat attire de moins en moins.
Une bourse décourageante
Si cette filière d’élite ne séduit plus personne, c’est qu’il y a forcément une raison. L’INE en dénombre plusieurs. Il y a d’abord la bourse, dite d’excellence, qui n’est que de 3.000 dhs par mois. “C’est un peu plus du tiers du salaire dans la fonction publique pour un lauréat de Master (ou ingénieur), et à peine l’équivalent d’une fois et demie le SMIG au Maroc pour un doctorant talentueux (alors que c’est une bourse d’excellence) après 5 années d’études supérieures”, commente l’INE.
L’enfer de la bureaucratie
La complexité et la lenteur des procédures dissuadent beaucoup d’enseignants-chercheurs à s’engager dans des activités de recherche ou génératrices de recettes pour leur institution. Selon les enseignants-chercheurs, ces écueils poussent certains porteurs de projets à abandonner leurs projets, car au moment du versement de la première tranche qui intervient très en retard, l’idée elle-même du projet est souvent caduque.
Une élite qui ne se renouvelle pas
Ramené à la population totale, le nombre des ressources humaines en recherche scientifique au Maroc est encore faible. De plus, ce capital humain est peu renouvelable malgré les différentes initiatives publiques lancées pour son renforcement. Déjà en 2014, la Vision Stratégique de la réforme 2015- 2030 préconisait dans ses recommandations de recruter 15.000 enseignants-chercheurs à l’horizon 2030, pour renforcer les structures de recherche et préparer la relève.
Absence de leadership
À quelques exceptions près, les laboratoires ne disposent pas toujours d’un projet ou programme de recherche qui mobilise ses chercheurs. Souvent, il s’apparente à un regroupement formel de chercheurs pour constituer un laboratoire. En outre, l’absence d’un leadership scientifique doté de savoir-faire dans la gestion des équipes et d’une animation scientifique de la structure accentue l’activité conjoncturelle et occasionnelle. En gros, tout le monde fait tout sans que personne ne sache qui fait quoi…
Peu de personnels qualifiés
Le manque cruel de ressources humaines dans d’autres catégories du personnel de recherche tout aussi importantes : ingénieurs, assistants, post-docs, techniciens, administratifs, financiers, etc. Ces catégories deviennent indispensables pour la recherche. Plusieurs études montrent l’impact très positif des post-docs aux côtés des chercheurs dans la production scientifique.
Le 17/04/2022
Source web par : h24info
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