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Figuig, victime d’une double peine

Figuig, victime d’une double peine

Si plusieurs centres urbains au Maroc ont été affligés par la pandémie, Figuig est habituée à l’isolement et au confinement géographique. Sous-peuplée et enclavée, elle possède cependant plusieurs atouts culturels et historiques. Reportage.

Entre «confinement» et «enclavement», les limites sémantiques sont très poreuses. Mais, rares sont les lieux auxquels on peut attribuer simultanément ces deux vocables aux sens nuancés. Durant la pandémie, Figuig, ville située à l’extrême est de l’Oriental, s’est vue affliger une double peine. Le confinement étant suspendu depuis une année et demie, la ville-palmeraie vit son enclavement hérité de la période coloniale et de la fermeture des frontières maroco-algériennes depuis 1994. Le plus naturellement du monde.

Actuellement, la saison de la cueillette des dattes est terminée et on est en pleine campagne de commercialisation. La variété Aziza, la plus prisée, ne plait pas en raison de la sécheresse accablante cette année, comme nous l’a confirmé sur place une jeune commerçante de la ville : «Quand il ne pleut pas, Aziza perd beaucoup en qualité !» Son prix, qui atteint parfois 150 dirhams le kilo, ne dépasse pas 60 dirhams aujourd'hui.

Seules les autres variantes, comme Boufkouss, Gharass ou El-Âssiane restent actuellement disponibles dans les échoppes qui ornent le boulevard principal de la ville. Ces petites boutiques, que rien ne différencie des autres commerces, sont difficiles à remarquer, si ce n’est l’étalage des dattes à l’intérieur et la localisation au centre d’une ville qui n’a pas de centre-ville. En tout cas, une grande partie de la récolte est d’habitude stockée ou acheminée par les Faguig (habitants de Figuig) à Casablanca ou même en Europe, où une large diaspora vit depuis plusieurs décennies. Cette logistique a été chamboulée à cause de la pandémie et des difficultés de déplacement au Maroc et à l’étranger.

figuig

Place Ajdir, connue pour ses six galeries souterraines. / Ph. Hicham Ait Almouh

Dans l’Oriental où se trouve la province de Figuig, la superficie occupée par la filière phoénicicole avoisine 3 000 ha, les deux tiers revenant à la palmeraie de Figuig. Cette surface constitue 5% au niveau national seulement, très loin derrière la région de Draâ-Tafilalet qui accapare 77% de la superficie phoénicicole globale du pays (60 000 ha). La production nationale dépasse, quant à elle, 100 000 tonnes annuellement.

Les aléas de l'histoire et du climat

Cette année, en sus de la sécheresse et de la Covid-19, les Faguig ont aussi été accablés après leur éjection de la palmeraie El-Ârja par l’armée algérienne. Ils y ont perdu de larges plantations qu’ils avaient peiné à faire grandir. L’affaire, connue depuis qu’elle a éclaté en avril dernier, est un énième épisode d'un long feuilleton de dépossessions qui a commencé au XIXe siècle avec l’invasion de l'Algérie par l’armée française. Selon les historiens, Figuig a d’abord perdu le ksar de Béni Ounif, puis des monuments centenaires comme le minaret de Ksar Zenaga, détruit dans le bombardement du général O’connor en 1903, puis les terres que les Faguig cultivaient au-delà de la frontière actuelle. Ce ne sont là que les événements les plus saillants. Cela dit, en amoureux inconditionnels du palmier-dattier, certains en ont déjà planté ailleurs. Les jeunes plantations phoénicicoles aux alentours de Figuig auront besoin de temps pour donner leurs fruits.

En 2020, une route touristique a été construite en bas de la falaise qui sépare le Haut-Figuig et le Bas-Figuig. Si elle a doté la ville d’un circuit qui en révèle beaucoup sur les systèmes d’irrigation et d’agriculture ancestraux, elle a aussi divisé les sept ksour de la ville. Certains, comme le professeur Abderrahman Harradji de l’université d’Oujda, natif de Figuig, avait alerté les médias de la menace du projet sur «la mémoire naturelle» de la ville.

Pas plus tard que la semaine dernière, on nous a révélé que les propriétaires des plantations par où son tracé est passé n’ont toujours pas été indemnisés. En tout cas, en arpentant cette route longue d’environ 3,65 kilomètres, on constate des merveilles qu’on ne trouve nulle part ailleurs. L’eau est acheminée à partir des sources situées sur la falaise surplombant Ksar Zenaga vers les champs, où elle est stockée dans de grands réservoirs. Un lacis de petits canaux se charge de la distribuer sur les parcelles selon une configuration ancestrale. Le visiteur risque de s’y perdre, mais il découvrira pourquoi, en vain, la France coloniale a tout fait pour annexer cette oasis.

Il n’y a pas que les palmiers

En bas, la palmeraie de Zenaga, qui a donné à la ville un côté carte postale, s’étend presque jusqu’à la cluse Lekhnage, où se trouve ce qui reste du poste-frontière maroco-algérien. Ici et là, quelques mausolées, comme Sidi Mohamed ou Fdal, situé à quelques dizaines de mètres de l’Algérie, rappelle le lustre scientifique et religieux de Figuig qui abritait plusieurs Zaouïas. Celles-ci constituaient le socle d’un centre littéraire et scientifique qui rivalisait jadis avec Fès et Marrakech. La nouvelle route a mis en valeur le mausolée de Sidi Benaissa Laâraj, dont la blancheur contraste avec un Aferdou, grande tour de contrôle circulaire en pisé surplombant la palmeraie.

Les six autres ksour de Figuig (Loudaghir, El-Maïz, Oulad Slimane, Laâbidate, Hammam Tahtani et Hammam Foukani) ont aussi leurs perles cachées. C’est Ksar Loudaghir qui se targue d’abriter les plus anciens monuments historiques, notamment le minaret octogonal (XIIe siècle), et la mosquée Ait Jammal (XIIIe siècle). Cette dernière est actuellement en rénovation, de même que la place Ajdir vient d’être renforcée par un mur d’enceinte en pisé et deux tours de contrôle. Du haut de ces nouveaux édifices, les ruines du Ksar Ait Jaber, détruit au XVIIIe siècle, témoignent encore des anciennes guerres intestines entre les Ksour pour le contrôle de la ressource en eau. Il nous reste cependant de cette époque belliqueuse un nom illustre : le philosophe Jabri, dont les aïeuls se sont éparpillés entre les ksour après avoir déserté le leur.

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Place Ajdir, connue pour ses six galeries souterraines. / Ph. Hicham Ait Almouh

Dans l’Oriental où se trouve la province de Figuig, la superficie occupée par la filière phoénicicole avoisine 3 000 ha, les deux tiers revenant à la palmeraie de Figuig. Cette surface constitue 5% au niveau national seulement, très loin derrière la région de Draâ-Tafilalet qui accapare 77% de la superficie phoénicicole globale du pays (60 000 ha). La production nationale dépasse, quant à elle, 100 000 tonnes annuellement.

Les aléas de l'histoire et du climat

Cette année, en sus de la sécheresse et de la Covid-19, les Faguig ont aussi été accablés après leur éjection de la palmeraie El-Ârja par l’armée algérienne. Ils y ont perdu de larges plantations qu’ils avaient peiné à faire grandir. L’affaire, connue depuis qu’elle a éclaté en avril dernier, est un énième épisode d'un long feuilleton de dépossessions qui a commencé au XIXe siècle avec l’invasion de l'Algérie par l’armée française. Selon les historiens, Figuig a d’abord perdu le ksar de Béni Ounif, puis des monuments centenaires comme le minaret de Ksar Zenaga, détruit dans le bombardement du général O’connor en 1903, puis les terres que les Faguig cultivaient au-delà de la frontière actuelle. Ce ne sont là que les événements les plus saillants. Cela dit, en amoureux inconditionnels du palmier-dattier, certains en ont déjà planté ailleurs. Les jeunes plantations phoénicicoles aux alentours de Figuig auront besoin de temps pour donner leurs fruits.

En 2020, une route touristique a été construite en bas de la falaise qui sépare le Haut-Figuig et le Bas-Figuig. Si elle a doté la ville d’un circuit qui en révèle beaucoup sur les systèmes d’irrigation et d’agriculture ancestraux, elle a aussi divisé les sept ksour de la ville. Certains, comme le professeur Abderrahman Harradji de l’université d’Oujda, natif de Figuig, avait alerté les médias de la menace du projet sur «la mémoire naturelle» de la ville.

Pas plus tard que la semaine dernière, on nous a révélé que les propriétaires des plantations par où son tracé est passé n’ont toujours pas été indemnisés. En tout cas, en arpentant cette route longue d’environ 3,65 kilomètres, on constate des merveilles qu’on ne trouve nulle part ailleurs. L’eau est acheminée à partir des sources situées sur la falaise surplombant Ksar Zenaga vers les champs, où elle est stockée dans de grands réservoirs. Un lacis de petits canaux se charge de la distribuer sur les parcelles selon une configuration ancestrale. Le visiteur risque de s’y perdre, mais il découvrira pourquoi, en vain, la France coloniale a tout fait pour annexer cette oasis.

Il n’y a pas que les palmiers

En bas, la palmeraie de Zenaga, qui a donné à la ville un côté carte postale, s’étend presque jusqu’à la cluse Lekhnage, où se trouve ce qui reste du poste-frontière maroco-algérien. Ici et là, quelques mausolées, comme Sidi Mohamed ou Fdal, situé à quelques dizaines de mètres de l’Algérie, rappelle le lustre scientifique et religieux de Figuig qui abritait plusieurs Zaouïas. Celles-ci constituaient le socle d’un centre littéraire et scientifique qui rivalisait jadis avec Fès et Marrakech. La nouvelle route a mis en valeur le mausolée de Sidi Benaissa Laâraj, dont la blancheur contraste avec un Aferdou, grande tour de contrôle circulaire en pisé surplombant la palmeraie.

Les six autres ksour de Figuig (Loudaghir, El-Maïz, Oulad Slimane, Laâbidate, Hammam Tahtani et Hammam Foukani) ont aussi leurs perles cachées. C’est Ksar Loudaghir qui se targue d’abriter les plus anciens monuments historiques, notamment le minaret octogonal (XIIe siècle), et la mosquée Ait Jammal (XIIIe siècle). Cette dernière est actuellement en rénovation, de même que la place Ajdir vient d’être renforcée par un mur d’enceinte en pisé et deux tours de contrôle. Du haut de ces nouveaux édifices, les ruines du Ksar Ait Jaber, détruit au XVIIIe siècle, témoignent encore des anciennes guerres intestines entre les Ksour pour le contrôle de la ressource en eau. Il nous reste cependant de cette époque belliqueuse un nom illustre : le philosophe Jabri, dont les aïeuls se sont éparpillés entre les ksour après avoir déserté le leur.

Le 13 décembre 2021

Source web par : yabiladi

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