Au Maroc, le patrimoine architectural contemporain négligé
Une vente organisée par Artcurial à Marrakech, au cours de laquelle risquent d’être dispersés des œuvres et des éléments de décoration, inquiète une association de sauvegarde du patrimoine.
Un élément de décoration de l’hôtel Rose du Dadès réalisé par Mohamed Melehi. ARTCURIAL
Les plafonds peints de l’hôtel marocain Rose du Dadès vont-ils être vendus à la découpe ? C’est ce que redoute l’association Mamma (Mémoire des architectes modernes marocains), fondée par les architectes Imad Dahmani et Lahbib El Moumni pour veiller sur le patrimoine architectural moderne du royaume. Une crainte qu’alimente l’enchère publique organisée par Artcurial le 30 mai à Marrakech, au cours de laquelle risquent d’être dispersées une trentaine d’œuvres et d’éléments de décoration.
Conçues par les artistes Mohammed Chabâa et Mohamed Melehi, « ces œuvres ont été pensées pour l’hôtel et intégrées de manière pérenne à l’architecture », souligne l’association, à l’origine d’une lettre ouverte adressée le 24 avril au ministère de la culture et à la Fondation nationale des musées. « Ne pas conserver ces bâtiments dans leur intégralité revient à oblitérer la mémoire de l’art moderne marocain », lit-on dans leur pétition publiée sur le site Avaaz.
Dans nos archives L'œuvre d'un architecte-urbaniste : Henri Prost
Construit entre 1971 et 1972 à Kelaat M’Gouna, au sud du Maroc, par les architectes Abdeslem Faraoui et Patrice de Mazières, l’hôtel Rose du Dadès a fait partie du réseau touristique développé dans les zones rurales du royaume chérifien dans les années 1970. Il est considéré comme l’un des exemples du mariage réussi entre des créateurs et des architectes, et le témoignage des racines vernaculaires du groupe d’artistes de Casablanca.
Sur le site bauhaus.imaginista.org, la chercheuse Maud Houssais rappelle ainsi que Mohamed Melehi s’est inspiré pour le plafond d’une onde colorée qui habillait les mosquées rurales de la région du Souss, découvertes dans les années 1960. L’architecture locale avait aussi influencé les parois ajourées (claustras) de Mohammed Chabâa.
« Leur place est dans un musée »
Sa fille, Nadia, insiste : « Il ne s’agit pas d’œuvres individuelles, mais d’intégrations, qui n’ont d’existence que là où elles ont vu le jour. » Pour l’héritière du peintre mort en 2013, la vente contrevient au droit moral des artistes et de leurs descendants.
Un élément de décoration de l’hôtel Rose du Dadès réalisé par Mohamed Melehi. ARTCURIAL
Directeur d’Artcurial Marrakech, Olivier Berman encaisse les attaques, mais veut dépassionner le débat. « Je comprends le point de vue des ayants droit, confie-t-il, mais cet hôtel a été créé il y a cinquante ans et personne ne s’y est jamais intéressé, pas plus qu’à d’autres hôtels qui ont été vidés ou détruits. C’est au ministère de la culture de prendre ses responsabilités. »
Ce dernier a justement annoncé le 13 avril sur Twitter le lancement d’une procédure de classement de l’hôtel, qui toutefois n’en interdirait pas la cession. Mais, « les œuvres seront interdites de sortie du territoire marocain », confirme Olivier Berman qui estime « qu’idéalement leur place est dans un musée ».
Article réservé à nos abonnés Lire aussi Voyage immobile avec Corinne Vezzoni à Casablanca
Pauline de Mazières, la veuve de l’architecte de l’hôtel, en est aussi convaincue. Voilà trois semaines, elle a envoyé une requête à la Fondation nationale des musées pour que ces intégrations soient préemptées par l’Etat et protégées dans un musée national.
« Un patrimoine marginalisé ou dénaturé »
Sans nouvelle pour l’instant des autorités publiques, l’association Mamma prévoit de déposer une demande de classement des Roses du Dadès, mais aussi de deux autres établissements construits sur le même mode par le duo Faraoui-De Mazières : l’hôtel Ibn Toumart à Taliouine, abandonné depuis longtemps, ainsi que les Gorges du Dadès, déjà vidé de ses décorations. Si le ministère de la culture accède à leur demande, ce sera indéniablement une première.
Un moucharabieh réalisé par Mohammed Chabâa pour l’hôtel Rose du Dadès. ARTCURIAL
Car, à ce jour, la loi de 1980 relative à l’inscription et la conservation des monuments historiques n’a presque jamais été appliquée aux bâtiments élevés après les années 1960. Sur la centaine de constructions classées par le ministère de la culture visibles sur son site, on ne relève que le village de vacances de Cabo Negro, construit sur le littoral de Tétouan par l’architecte Elie Azagury dans les années 1974-1985.
« Les bâtiments traditionnels marocains ont été protégés, observe Imad Dahmani, mais le patrimoine post-indépendance est marginalisé ou dénaturé. » Ainsi de l’hôtel Almoravides à Marrakech, datant de 1970-1972, dont les intérieurs ont été totalement dépecés dans l’indifférence générale. Certains bâtiments ont même tout bonnement été détruits, à l’image de l’Office national de thé, érigé en 1960-1962 par Elie Azagury et Henri Tastemain, puis démoli en 2018.
Lire aussi Casablanca, laboratoire architectural du XXe siècle
L’association Mamma a vécu comme une victoire la suspension provisoire, en février, des travaux d’aménagement du tribunal administratif d’Agadir, qui auraient altéré ce symbole de la reconstruction de la ville après le tremblement de terre de 1960. « En 2018, au moment des journées du patrimoine, on a fait des conférences autour de cette architecture brutaliste, pour sensibiliser l’opinion, et aujourd’hui cela porte ses fruits », se félicite Lahbib El Moumni.
Mais l’inscription au patrimoine n’est pas tout. Classée en 2000, la façade de l’ancien hôtel Lincoln érigé en 1914 à Casablanca s’est partiellement effondrée en décembre 2020, faute d’entretien. Si la loi interdit la démolition d’un bâtiment jugé historique, elle ne contraint pas son propriétaire à entreprendre une restauration.
Roxana Azimi
Contribuer
Le 8 mai 2021
Source web Par : le monde
Les tags en relation
Les articles en relation
Mehdi Qotbi, président de la Fondation nationale des musées, élevé à la dignité de Grand offic
L'artiste et président de la Fondation nationale des musées (FNM), Mehdi Qotbi, a été élevé à la dignité de Grand officier de l'Ordre national d...
Coronavirus. Les musées du Maroc fermés
Dans le cadre des mesures préventives prises par le gouvernement pour lutter contre la propagation du virus Covid-19, la Fondation Nationale des Musées (FNM) ...
Séisme : La FNM à pied d’œuvre pour la réouverture des musées touchés à Marrakech
La Fondation Nationale des Musées (FNM) a entrepris, dès samedi dernier, de grands efforts pour la réouverture à Marrakech, des musées des Confluences Dar ...
#MAROC_MUSEES_OEUVRES_D_ART_AMDGJB#: Don de 170 œuvres d'art majeures à la Fondation nationale des
Ce don est "un acte de confiance à l'égard de la Fondation nationale des musées pour le travail qu'elle effectue en faveur du rayonnement de la cultu...
Tourisme: l’ONCF lance des offres estivales attractives
En partenariat avec l’Office national marocain du tourisme (ONMT), l’ONCF invite les Marocains au voyage local à tarifs très avantageux vers toutes les de...
#MAROC_Fondation_Nationale_Des_Musées: Une rentrée marquée par un hommage soutenu à la photograp
Mehdi Qotbi, président de la Fondation nationale des musées (FNM), présente la riche programmation de la rentrée culturelle (2021-2022), dans laquelle une p...
FT : Le Roi Mohammed VI, ou l’art de faire de la culture, un vecteur de développement
La culture a occupé une place de choix dans sa vision stratégique d’un Maroc moderne. Dans le discours du trône de 2013, marquant le 14è anniversaire de s...
A Marrakech, l’ancienne agence Bank Al Maghrib place Jamaâ El Fna transformée en musée
L’ancienne agence Bank al Maghrib de la place Jamaâ el Fna à Marrakech sera bientôt transformée en « un musée pérenne sur l’histoire de la célèbre ...
SM le Roi a insufflé une véritable dynamique à la chose culturelle et artistique au Maroc
SM le Roi Mohammed VI a su insuffler une véritable dynamique à la chose culturelle et artistique au Maroc, a affirmé le Président Délégué d’Artcurial, ...
#Maroc_FNM_CULTURE8HISTOIRE: Vers la création de musées dans la région Guelmim-Oued Noun et dans
Après un exposé des différents atouts de la région de Guelmim-Oued Noun, son patrimoine archéologique, artistique, culturel et historique en tant que porte...
« Le Cheval » du sculpteur Fernando Botero est exposé à Rabat
Ses oeuvres sont exposées dans plusieurs grandes métropoles mondiales : New York, Paris, Londres, Moscou, Florence, Madrid, Singapour ou encore Tokyo. Le s...
La FNM remet aux archives du Maroc des documents historiques du Musée de l'histoire et des civilisa
La Fondation Nationale des Musées (FNM) va verser aux Archives du Maroc plus de 50 ans de documents d'archives du Musée de l'histoire et des civilisat...